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Ne prenez pas les oiseaux de Palestine en otage

mercredi 25 juillet 2007 - 17h:43

Samah Jabr - Washington Report

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L’argent de l’Occident aide à créer des élites politiques et civiles, des Palestiniens domestiqués qui infléchissent leur langage face aux demandes de leurs maîtres.

A l’occasion des célébrations de l’année prochaine du 60ème anniversaire d’Israël, un oiseau national va être choisi comme emblème par Israël. Selon des officiels israéliens « ceci fait partie de la culture des pays amoureux de la nature et c’est aussi un support pour générer une identité locale. C’est également un moyen pour cultiver les questions d’environnement et de protection des animaux ».

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L’oiseau bulbul natif de Palestine

Le directeur de l’Observatoire des Oiseaux de Jérusalem a suggéré que le public israélien participe au choix de l’oiseau qui représenterait et s’identifierait au pays. Selon le Haaretz, le « bulbul », un joyeux oiseau chantant très commun dans les Wadi El Bazan, Wadi Al Qilt et Ein Qeenia et le sunbird de Palestine, un petit oiseau noir chatoyant qui prévaut dans les régions désertiques, ont également été envisagés mais le nom anglais de ce dernier a fait qu’il n’entre plus dans la compétition.

Alors que les discussions autour des oiseaux avaient lieu au sein des Israéliens, une révolution interne a été provoquée par certains Palestiniens au sujet d’un autre oiseau : celui du titre de « Speak Bird, Speak Again », une anthologie de contes folkloriques palestiniens. Le livre a été retiré des librairies des écoles par un officiel du ministère de l’éducation palestinien, soi-disant à cause d’allusions sexuelles et « d’expressions honteuses » auxquelles, selon le décret ministériel, les étudiants ne devraient pas être exposés.

Malgré le fait que le ministre de l’éducation, Naser-Al Deen Al Shaer, ait clarifié la question en disant que le livre pouvait rester aux mains des professeurs mais pas des écoliers, la controverse a provoqué plusieurs manifestations et protestations dans les rues palestiniennes et a été utilisé à cette occasion pour décrire le gouvernement comme « le gouvernement radical et militant du Hamas », « des gens des ténèbres » et le « Taliban de Palestine ».

Ces appels ont bien sûr été relayés en force par les principaux media occidentaux. Malgré le fait que cette presse ne rapporte que très peu ou pas du tout les atrocités quotidiennes des Israéliens envers les Palestiniens, tout à coup elle s’est inquiété « des intellectuels palestiniens, en colère, opprimés et inquiets que le Hamas soit en train d’utiliser sa victoire aux élections de l’année dernière pour remodeler les territoires palestiniens selon son interprétation intransigeante de l’Islam. »

Les media occidentaux ont toutefois évité de mentionner que « Speak Bird, Speak Again » n’était pas le premier livre a être interdit en Palestine. Les livres du défunt Edward Said ont été banni dans toute la Palestine par ces mêmes Palestiniens qui en font aujourd’hui une telle histoire et que cette classe « d’intellectuels » était restée silencieuse. Et est-ce seulement en Palestine que le ministère de l’éducation censure ce qui est permis ou pas à ses élèves : des controverses similaires ont surgi en France et aux Etats Unis.

Au milieu de cette propagande immonde, ni les media internationaux, ni les « intellectuels » palestiniens ni le gouvernement sur la défensive n’ont fait attention au pauvre bulbul et à l’oiseau sunbird palestinien qui sont en train d’être détournés par Israël à ses fins propres.

La Palestine est, entre autre choses, en train d’être confrontée à une crise entre d’un côté, une classe de Palestiniens d’élites soutenus par l’occident, qui a ses propres associations et institutions et qui s’identifie elle-même comme étant la face culturelle de la Palestine et de l’autre côté, les Palestiniens ordinaires dont beaucoup d’employés gouvernementaux, qui sont de plus en plus las de lutter pour joindre les deux bouts. Leurs voix ne sont entendues ni localement ni internationalement. Bien que beaucoup ne le réalisent pas, la distance entre les deux classes s’accroît et la fragmentation de la société palestinienne qui en résulte s’étend comme un fléau au sein de notre peuple.

Selon l’étude du Bureau Central de Statistiques Palestinien sur le statut démographique et socio-économique du peuple palestinien fin 2006, la classe élite palestinienne est devenue plus riche malgré l’embargo et la pauvreté largement répandue que cela a provoquée. La distribution des revenus en 2006 a été remodelée en faveur des ménages riches aux dépens de la classe moyenne. En fait, la part de revenus gagnée par 10% des ménages palestiniens les plus riches a augmenté de 24% pendant 2006 (de 25.1% en 2005 à 30.6% à la fin du deuxième trimestre de 2006). De l’autre côté, les revenus de la classe moyenne a décliné de 12% alors que la part de revenus gagnée par 20% des ménages les plus pauvres, n’a pas changé.

Les rares favorisés de Washington

Tout comme Washington, à travers son embargo punitif, prend d’une main, il donne également de l’autre main à ceux qui ont sa faveur. Le département d’Etat des Etats-Unis a mis de côté un budget énorme pour « protéger et promouvoir des alternatives modérées et démocratiques au Hamas » et il apporte de l’argent aux ONG et autres groupes ayant des liens avec des partis politiques palestiniens « non marqués comme groupes terroristes ». L’argent est utilisé pour former des politiciens et des partis laïcs opposés au Hamas « afin de créer une alternative démocratique aux choix politiques autoritaires ou venant d’islamistes radicaux ». Cet argent est aussi donné aux journalistes qui tirent sur le gouvernement et qui manipulent l’opinion publique.

Selon les rapports, les écoles privées palestiniennes recevront 5 millions de dollars afin d’offrir une alternative au système de l’éducation publique financé par le gouvernement ; ce qui signifie que le lavage de cerveau commencera dès l’enfance.

L’argent de l’occident aide à créer des élites politiques et civiles, des Palestiniens domestiqués qui infléchissent leur langage face aux demandes de leurs maîtres. En agissant à l’encontre de nos valeurs et de notre réalité, ils nous aliènent mais ont néanmoins le droit de parler en notre nom. Tant qu’ils sont prêts à liquider et à détourner le programme national palestinien, la communauté internationale est prête à leur donner tous les droits ainsi que le droit de tout faire.

Mais ils épousent le même dogme que les gens qu’ils regardent de haut : la même mentalité partielle, tribale et régionale, et dirigent le même one-man-show, avec une personne centrale en position de pouvoir sans prendre en considération l’éducation ou le niveau de professionnalisme des autres. Ceux qu’ils embauchent viennent de la même sphère politique et idéologique.

Ils considèrent leur mission comme étant de civiliser les habitants de la jungle appelés Palestiniens et nous apprendre tout sur les idéaux qui se vendent si bien à l’étranger : la paix et l’éducation à la démocratie (seulement en théorie), les questions de sexes et des droits de la femme (comme si tous les autres Palestiniens jouissent de leurs droits humains) et le dialogue et le partenariat (un sujet de rigueur ces temps-ci).

Il est peu probable que les donateurs occidentaux financent une ONG palestinienne basée à Jérusalem ou une autre travaillant pour les droits des prisonniers et des réfugiés.

Quand j’ai participé à des ateliers et conférences sur la santé mentale en Palestine, j’ai entendu parler d’inceste (ce qui est extrêmement rare en Palestine, et quand cela arrive, c’est le résultat d’une situation psychologiquement pathologique) plus souvent que de problèmes de retard mental qui prévaut si tragiquement et pour lequel nous n’avons pas d’institutions décentes. Mais diaboliser nos hommes et condamner le patriarcat palestinien est une bonne cause pour ceux qui cherchent des fonds et les donateurs qui veulent renforcer nos stéréotypes.

Oui, il y a bien du patriarcat en Palestine : un patriarcat qui protège les femmes et assure une solution aux disputes en absence total de l’état. Si ma voiture a un pneu à plat, 10 hommes que je ne connais pas viendront m’aider à le réparer. D’un autre côté, à Paris, une femme a été violée dans le métro et personne n’est intervenu.

Soyons justes envers notre communauté et concentrons-nous sur la norme plutôt que sur l’exception et apprenons comment identifier nos priorités au lieu de toujours concourir pour des fonds étrangers. Entre les donateurs occidentaux et les organisations bénéficiaires favorites, beaucoup d’oiseaux locaux ne trouvent pas de nids en Palestine.

* Samah Jabr est une psychiatre qui pratique dans sa Jérusalem natale.

De la même auteure :

- Mémoires de douleurs et blessures nouvelles
- Une alternative possible à l’amputation
- Palestine : occupation et santé mentale

Juillet 2007 - Washington Report on Middle East Affairs
Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.wrmea.com/archives/July_...
Traduction : Ana Cléja


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