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« On m’a dit qu’il valait mieux un Irakien mort que blessé »

mardi 17 juillet 2007 - 06h:43

Philippe Grangereau - Libération

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Des militaires revenus d’Irak témoignent dans la presse américaine.

Le démon est dans le détail, surtout quand il s’agit de la guerre et de ses brutalités. Ce précepte journalistique a été appliqué par le magazine new-yorkais The Nation, qui publie cette semaine les témoignages impitoyables de 50 soldats américains postés en Irak entre 2003 et 2005.

Le magazine fait état de « modes de comportement troublants » chez les GI. « Des douzaines de soldats interrogés ont vu de leurs propres yeux des civils irakiens, y compris des enfants, se faire tuer par les forces américaines. » Nombre de ces vétérans, écrit The Nation, « racontent que dès qu’ils sortent de leur base, ils tirent à volonté. Certains ouvrent le feu sur les bidons d’essence que les marchands vendent le long de la route, et jettent des grenades pour les enflammer.

D’autres tirent sur des enfants. » Beaucoup de ces soldats soutiennent que ces meurtres indiscriminés ont été perpétrés par une minorité d’entre eux, mais reconnaissent qu’ils sont « courants ». Souvent aucun rapport à la hiérarchie n’est effectué, et ces actes demeurent presque toujours impunis. « Quand j’étais là-bas, raconte le soldat Jeff Englehart, l’attitude générale était qu’un Irakien tué était juste un autre Irakien tué. Vous savez, on se disait Et alors ? Les soldats pensaient vraiment qu’ils avaient été envoyés pour aider la population et ils se sont sentis presque trahis. Vous voyez, on est là pour vous aider, on vient de très loin, on a quitté notre famille et notre maison [.] et vous essayez de nous descendre ! »

Ec ?urés

Nombre des témoins cités par le magazine sont revenus éc ?urés de leur mission. « Je me souviens que dans mes réflexions, je me disais qu’on inflige la terreur à cette population sous couvert du drapeau américain, et que c’est vraiment pas pour ça que je me suis engagé dans l’armée », dit le sergent Timothy Westphal en décrivant l’effroi que la troupe américaine suscite chez les civils lors de ses raids nocturnes dans les maisons.

La plupart de ces raids sont d’ailleurs inutiles, reconnaissent les GI, car ils agissent le plus souvent sur de fausses informations. « On a jamais trouvé de vraies bombes dans les maisons », dit un autre sergent. Sur l’une des photos prise par un GI, rapporte The Nation, un soldat fait mine de manger, à l’aide d’une petite cuillère, la cervelle répandue d’un Irakien mort. « Beaucoup de soldats avaient intégré l’idée que si ces types ne parlaient pas anglais et s’ils avaient la peau sombre, ils ne sont pas humains comme nous, et on peut faire ce qu’on veut d’eux. »

La troupe américaine a étendu considérablement son vocabulaire raciste pour désigner les Irakiens, de « haji » en passant par « sand nigger » (nègre des sables). La moitié des soldats interrogés a vu ou entendu parler de civils désarmés tués par balles ou écrasés lors du passage des convois militaires. « Une voiture s’est approchée trop près d’un convoi. Ils ont tiré sur la voiture. Tirs d’avertissement ou non, le résultat est qu’ils ont tiré sur la voiture. L’une des balles a traversé le pare-brise et s’est logé en pleine tête d’une femme [.] son fils conduisait et elle avait trois petites filles à l’arrière. »

Un autre engagé se souvient d’un supérieur le mettant en garde contre l’utilisation de tirs d’avertissements - pourtant obligatoires selon le code militaire. « On m’a même dit, je m’en souviens, qu’il valait mieux quelqu’un de mort qu’un blessé. » « Un jour, un enfant de 14 ans se met à tirer sur notre convoi avec un AK 47, se souvient le sergent Campbell. C’était obscène. Tout le monde s’est mis à lui tirer dessus en utilisant les plus gros calibres à portée. Il a été réduit en miettes. Tout le monde était si heureux d’avoir enfin pu tuer un insurgé. Quand ils ont vu que ce n’était qu’un gosse, ça en a dérangé certains. Mais d’autres ont montré les photos à tout le monde et certains étaient vraiment heureux. Eh regardez ce qu’on a fait. D’autres se sont dit qu’ils ne voudraient plus voir ce genre de truc. »

Faire croire

Plusieurs GI rapportent qu’il est courant de placer des armes ou des explosifs à proximité de civils tués par l’armée américaine afin de faire croire qu’il s’agit d’assaillants, et ainsi éviter une enquête interne. La peur du soldat américain, c’est les bombes télécommandées, responsables d’environ 40% des pertes dans leurs rangs, et les voitures suicide. Les GI chargés de garder des check points ne se gênent pas pour ouvrir le feu sur la moindre voiture suspecte. Neuf des cinquante soldats interrogés par The Nation ont vu des civils tués dans de telles circonstances. « La plupart du temps, c’est une famille [.] et de temps en temps c’est une vraie bombe, c’est ça qui est effrayant », raconte un sergent.


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