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Tirer les leçons du sang versé à Gaza

mardi 17 juillet 2007 - 16h:31

Ramzy Baroud

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Les Américains se chargèrent d’assurer l’échec et l’effondrement du gouvernement d’union et la totale corruption au sein des cercles de la sécurité du Fatah rendit obsolètes les meilleures intentions.

« L’affrontement entre le Hamas et le Fatah qui a trouvé son point culminant dans une mini-guerre civile ces dernières semaines est à la fois quelque chose d’ancien et de nouveau, et pendant que certains de ses éléments sont strictement palestiniens, la plupart d’entre eux ont été fabriqués sur demande des services américano-israéliens et de leurs gouvernements.

Les tensions entre Hamas et Fatah sont vieilles de plusieurs décennies. Le Fatah a - de la fin des années 60 à aujourd’hui - revendiqué une position supérieure, si ce n’est exclusive, à la barre de la politique palestinienne. A l’époque il semblait y avoir fort peu de marge pour tout autre organisation - fut-elle laïque, socialiste ou religieuse - désireuse de partager une plate-forme avec le mouvement de Yasser Arafat.

Au fil des années, le Fatah prit en charge les intérêts des Palestiniens dans leur propre combat. Il est important, pour cette raison, que le Fatah ne soit pas perçu comme un corps monolithique. Le chef de la sécurité du Fatah, Mohammed Dahlan, et ses pareils, ont terni la réputation du Fatah pour toujours, mais il ne faut pas réduire le mouvement et son combat sur des décennies à ces individus. Le Fatah ayant été, du fait de son hégémonie au sein de l’organisation de Libération de la Palestine (OLP), si longtemps le « seul représentant légitime du peuple palestinien », l’émergence du Hamas n’a jamais été acceptée comme part du bercail.

On peut voir le second soulèvement palestinien de 2000 comme une révolte contre Israël et l’occupation, mais aussi contre ceux qui en firent leurs choux gras parmi les Palestiniens - la « légion de la honte » des Palestiniens dont la richesse s’éleva à des niveaux jamais atteints alors que la grande majorité s’enfonçait dans la pauvreté.

Un tel manque de pudeur encouragea les Palestiniens ordinaires à soutenir le Hamas, et en janvier 2006, ce dernier remporta les élections, à sa propre surprise et à celle de beaucoup ! Les élites et la minorité « friquée » avaient fait leur une société gouvernée par la brutalité, le népotisme et le favoritisme, gérée sans honte aucune avec l’aide d’Israël. Le Hamas était la seule alternative crédible : ses déclarations contre la corruption et le combat tenace qu’il poursuivait contre Israël le rendaient apte à assumer ses responsabilités du point de vue de l’homme de la rue.

Bien que les Palestiniens aient été prêts à donner sa chance au Hamas, le gouvernement américain, Israël, divers régimes arabes et le Fatah n’y étaient pas disposés. Au cours des dernières semaines à Gaza, la tragédie des assassinats et de la brutalité là-bas, tout atteste de ce dont le gouvernement américain et Israël sont capables pour tenir le Hamas écarté du pouvoir.

Ce qui s’est passé à Gaza est une tragédie, mais la question reste posée : étant donné les circonstances du moment, le Hamas et le Fatah avaient-ils d’autres options qui leur auraient permis d’atteindre leurs objectifs de façon pacifique ?

Je pense que les deux parties étaient suffisamment déterminées à prévenir une guerre civile à tout prix, l’Accord de La Mecque en fait foi. Cependant, les officiels américains se chargèrent d’assurer l’échec et l’effondrement du gouvernement d’union et la totale corruption au sein des cercles - qui ne servaient que leur propre intérêt - de la sécurité du Fatah rendit obsolètes les meilleures intentions.

C’était une violence à briser le coeur, surtout quand on lit certains détails : des gens jetés du haut de grands immeubles, des exécutions sommaires. Les palestiniens ont été pris dans bien des épisodes violents dans le passé, mais celui-ci est le plus tragique, puisqu’il se produisit sous le regard attentif d’Israël, qui continuait à tuer sans merci des Palestiniens, jeunes et vieux, au moment même où les Palestiniens s’entretuaient.

Maintenant que la tragédie s’est produite, on ne peut qu’espérer que le bon sens et la santé mentale reviennent aux palestiniens, pour qu’ils redécouvrent, une fois de plus, qu’ils sont toujours une nation vivant sous occupation, qui n’a aucune souveraineté politique digne de ce nom.

Malheureusement, le gouvernement américain et Israël restent les plus « efficaces » en ce qui concerne la détermination du cours des événements en Palestine et, naturellement, ils continuent à causer beaucoup de malheur. Israël doit à présent planifier la restitution de l’argent volé aux Palestiniens, sous la forme de taxes prélevées pour leur compte, à Mahmoud Abbas en Cisjordanie, tout en réaffirmant son intention de renforcer le blocus d’une Gaza déjà assiégée et réduite à la misère.

Même les transferts personnels d’argent, par Western Union et ses semblables, seront interrompus pour assurer l’étouffement total de Gaza. Les Etats-Unis vont déverser des dizaines de millions de dollars entre les mains de Mahmoud Abbas, et les seigneurs de la guerre du Fatah - qui se déchaînent contre les institutions du Hamas dans les territoires occupés - vont aussi obtenir bien plus que leur part normale des fonds et des armes. Il est très simple de comprendre l’intérêt sous-jacent d’une telle générosité au bout d’un an et demi d’embargo, ou d’imaginer l’horrible scénario résultant du renforcement d’un régime corrompu et assoiffé de vengeance.

Israël s’arrange pour être sûre que le conflit entre les Palestiniens va également détruire leur projet national en Cisjordanie. On ne laissera pas le Fatah réaliser ce qu’Israël a échoué à faire pendant six décennies d’occupation.

En dépit de la nature douloureuse de ce conflit, on ne peut qu’espérer que quelques précieuses leçons en soient tirées, pas seulement par les Palestiniens mais par d’autres qui subissent avec eux l’intervention des superpuissances et dont la démocratie est une cible constante.

Tout d’abord, Gaza a fait éclater au grand jour, comme aucune autre « expérience » dans l’histoire moderne, l’hypocrisie de la comédie démocratique du gouvernement américain ; si les Etats-Unis avaient une pratique vraiment démocratique, ils auraient reconnu la volonté collective du peuple palestinien et encouragé le dialogue avec leurs représentants, au lieu d’affamer, de faire le blocus et de couvrir des opérations destinées à faire tomber le gouvernement.

En second lieu, la corruption, bien que temporairement fructueuse, ne dure jamais, et bien que capables de pardon et de patience, un temps, les gens ont la capacité à résister à l’oppression, à faire prévaloir et provoquer le changement, même s’il faut user de violence.

Enfin, la politique par procuration est la plus nocive, en Palestine comme ailleurs. Les leaders palestiniens doivent apprendre que le fait de vendre leur volonté politique à des états étrangers pour sauvegarder argent, pouvoir ou justification de leur politique est quelque chose d’impardonnable aux yeux du palestinien ordinaire. Après tout, ce sont ces gens « ordinaires » qui se sont soulevés et ont affronté la puissance imposante d’Israël, des Américains et la corruption et la brutalité de certains des leurs pendant des décennies. Ils continueront à le faire, si élevé que puisse en être le prix à payer. Pour les Palestiniens, la liberté est plus précieuse que le pain, aussi irrationnel que cela puisse paraître.

Gaza peut bien avoir sombré dans le chaos pour quelques semaines ou quelques mois, mais il en est de même pour le programme dont les vestiges de la clique néo-conservatrice dans l’administration Bush se sont faits les champions, programme qui échoue à opérer en dehors des paramètres d’une doctrine de violence, secret, conspiration et coups militaires.

Ils refusent de reconnaître que ce ne sont pas des armes dont veulent les Palestiniens : simplement, la liberté.

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Ramzi Baroud




* Ramzy Baroud est un écrivain palestino-américain et l’éditeur de PalestineChronicle.com ; son dernier ouvrage est consacré à la Deuxième Intifada et s’intitule « The Second Intifida : A chronicle of a People’s Struggle » (Pluto Press, Londres).

Site Internet :
www.ramzybaroud.net

Du même auteur :

- La gauche palestinienne : une occasion manquée
- Palestine : défaite de la démocratie
- Combattre la peur

28 juin 2007 - Ramzy Baroud - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.ramzybaroud.net/articles...
Traduction : Michel Zurbach


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