Palestine : Accumulation d’erreurs stratégiques et politiques
mardi 26 juin 2007 - 06h:10
Khader Khader - L’Humanité
Comment sortir du chaos ?
« Les événements de ces dernières semaines n’étaient pas des combats limités exclusivement à la sphère palestinienne. Replacés dans un contexte régional, on a, en simplifiant, d’un côté, les Frères musulmans qui entendent bien montrer qu’ils sont capables de gouverner la région et, de l’autre, les Américains et leurs alliés au Proche-Orient qui sont décidés à tout faire pour les empêcher de réussir.
Dans les territoires palestiniens, la situation actuelle est bien sûr le résultat d’une accumulation d’erreurs stratégiques et politiques. Que ce soit les accords d’Oslo avec
Israël ou bien récemment l’accord inter-palestinien de la Mecque qui a donné naissance au gouvernement d’union national, les clauses n’ont jamais été assez précises, assez claires. Et comme on le sait, le diable est dans les détails. Le manque de clarté des accords d’Oslo nous laisse aujourd’hui incertain sur ce qu’Israël va nous rendre réellement. Le manque de précisions dans l’accord de la Mecque n’a pas permis de résoudre le conflit interne entre le Fatah et le Hamas. Et notamment en ce qui concerne une question clé : le contrôle des forces de sécurité.
Le ministre de l’Intérieur du gouvernement d’union nationale a sans surprise jeté l’éponge très vite car il n’arrivait pas à se faire obéir. L’accumulation de toutes ces erreurs a créé une accumulation de colère générale. Dès son élection le Hamas a été isolé, et s’est senti acculé. Je pense que, jusqu’à un certain point, le président Abbas a tenté d’aider le Hamas, élu démocratiquement, au nom de l’intérêt national. Mais le pouvoir financier et sécuritaire n’a pas réellement été donné à ce mouvement et l’anarchie sécuritaire a donc continué. Or les questions sécuritaires sont bien entendu une question cruciale. Car il n’y a pas de reprise économique possible sans stabilité sécuritaire.
À cela s’est ajouté l’embargo économique occidental. Mais je pense que le Hamas a commis une erreur en prenant ainsi par la force le contrôle de la bande de Gaza. Ou qu’ils sont tombés dans un piège. Et ils ont commis pendant cette période des actes inacceptables sur le plan des droits de l’homme. Ces erreurs risquent par ailleurs de nous coûter cher à l’extérieur, où certains auront beau jeu de dire que nous sommes « incapables » de nous gouverner.
Nous avons pu jouir de nos droits démocratiques jusqu’à un certain point ces dernières années, notamment par l’organisation des élections législatives qui ont porté le Hamas au pouvoir. Mais ce processus démocratique vient d’être gelé. Ceci en raison de ce qui s’est passé à Gaza et des décisions prises par le président Abbas dans le cadre de l’état d’urgence. Je crains une réelle paralysie de nos organes démocratiques à court et même moyen terme.
Il est donc difficile de voir comment nous allons nous sortir de cette situation. Les deux mouvements, le Fatah et le Hamas, ont commis de graves erreurs qui ont accentué les problèmes déjà existants. De leur côté Israël et les États-Unis affichent aujourd’hui leur soutien pour le président Abbas, et l’argent est censé couler à flot. Ils insistent à nouveau sur la nécessité de dialoguer avec ce qu’ils appellent les « Palestiniens modérés ».
À chaque fois que nous entendons ce genre de slogans, nous devenons suspicieux, car entendre un Américain ou un Israélien parler de « soutien aux modérés », cela veut généralement dire qu’on va nous demander de faire encore plus de concessions que nous en avons déjà faites. Mais nous sommes arrivés au bout des concessions possibles. Il n’y a pas un seul Palestinien aujourd’hui qui est prêt à accepter moins qu’un État palestinien dans les frontières d’avant la guerre de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale, et à concéder moins que les résolutions des Nations unies concernant le droit au retour des réfugiés. »
Khader Khader est journaliste palestinien au Centre d’informations de Jérusalem (JMCC). Propos recueillis par Valérie Féron.
Khader Khader & Valérie Féron - L’Humanité, le 23 juin 2007