Quatre décennies de héros
lundi 18 juin 2007 - 23h:35
James Zogby - Al Ahram Weekly
Quarante ans d’occupation israélienne, de destruction et d’humiliation n’ont pas réussi à écraser la dignité et le courage du peuple palestinien écrit James Zogby*
Cela fait 40 ans que dure cette occupation et que la destruction systématique de la Palestine, de son peuple et de sa culture continue. Je ne suis pas Palestinien mais, depuis que je suis devenu adulte, leur histoire m’est devenue importante.
- Vivre 50 ans sous une tente... Photo : Solidarité Socialiste
Depuis ma première visite dans les camps palestiniens du Liban en 1971, qui m’a conduit à faire mon mémoire de doctorat : « Arabs in the Promised Land », une étude de l’émergence de la conscience nationale palestinienne et qui, plus tard, m’a motivé pour créer la « Palestine Human Rights Campaign », le sort de cette nation captive et déracinée me hante.
Sur mon chemin, j’ai rencontré des personnes extraordinaires dont l’engagement pour la justice et leur persévérance face à l’adversité, m’ont inspiré et interpellé.
Les premiers parmi eux étaient les gens d’Ain Al-Helweh, le camp de réfugiés que j’avais visité en 1971. Malgré un quart de siècle d’exil et les difficiles conditions du camp, ils avaient, avec une créativité résolue, reconstruit dans leur camp un facsimilé de la vie palestinienne. Ils parlaient avec respect de leurs maisons, villages et leur mode de vie perdus, de leurs souvenirs de l’exode forcée de 1948 et leurs espoirs vis-à-vis du futur.
Je me souviens tout particulièrement de la grand-mère de mon hôte dans le camp. Um Abed était une femme forte avec des yeux d’un gris d’acier et un visage durci par l’histoire et les éléments. Le jour de mon départ, elle m’a longuement regardé (regard soutenu) en me disant : « maintenant que tu as entendu nos histoires, que vas-tu faire ? ». Et d’une certaine façon, de par mon travail depuis 36 ans, je suis en train de répondre à sa question.
J’ai également eu la chance de rencontrer des poètes et des artistes palestiniens, des hommes comme Kamal Boulatta et Ismail Shamout qui personnifient à travers leur art l’âme même de la Palestine. La calligraphie de Kamal et ses dessins aux traits délicats et évocateurs définissent pour moi les thèmes de l’espoir palestinien. Son travail a donné forme au mien et orne toujours les murs de mon bureau. Les représentations de la vie pastorale d’Ismail continuent à me hanter avec ses visions de tout ce qu’ont perdu les Palestiniens mais qu’ils cherchent encore à regagner. Puis il y avait les poètes comme Tawfiq Zayed et Mahmoud Darwish dont les ?uvres provoquaient les occupants tels des prophètes de l’ancien testament défiant l’injustice, tout en apportant aux Palestiniens un nouveau et audacieux langage identitaire.
A travers mon travail avec la « Palestine Human Rights Campaign » commencé en 1977, j’ai eu le privilège de rencontrer des dirigeants palestiniens des territoires occupés : certains d’entre eux avaient été expulsés, d’autres, torturés. Parmi eux des dirigeants comme Hanna Nassir, président de l’université de Birzeit et Abdul-Jawad Saleh, le maire d’Al-Bireh, tous deux arrêtés, humiliés et expulsés par Israël le 10 décembre 1973 : la journée des « Droits Humains Universels » des Nations Unies.
Hanna, qui était un homme réfléchi et digne avec un sens de l’humour ironique, n’a jamais montré d’amertume. Tout en préférant étudier les étoiles, me disait-il, il acceptait le défi de l’exil. Abdul-Jawad était un dirigeant politique charismatique qui, en tant que maire, avait organisé des coopératives afin de donner du pouvoir à sa communauté. En exil, lui aussi a refusé de se rendre. Les deux hommes ont démontré par exemple les caractéristiques de ténacité de la lutte des Palestiniens face à l’injustice.
Au cours des années, j’ai interviewé tant d’hommes et de femmes qui avaient souffert des horreurs inimaginables aux mains des autorités de l’occupation. Ils étaient les victimes de tortures grossières dont les histoires m’ont ému jusqu’aux larmes. Il y avait ceux dont les maisons avaient été démolies lors des punitions collectives ou dont les vergers vieux de plusieurs siècles avaient été déracinés pour faire place à des colonies. Il y avait des jeunes hommes durcis par des années d’emprisonnement sans inculpation et sans procès. Et il y avait ces hommes et ces femmes, jeunes et vieux, qui racontaient des histoires d’affronts, d’actes d’humiliation sans fin qu’ils subissaient chaque jour sous le joug du colonialisme militaire.
Ce qui me reste de toutes ces rencontres c’est l’absence de colère. Ce que voulaient avant tout ces Palestiniens c’était de revenir à une vie normale et d’obtenir le droit de vivre en tant que peuple libre afin de reconstruire la Palestine.
Mon travail m’a également mis en contact avec quelques activistes des droits humains israéliens extraordinaires. Deux surtout m’ont marqué : Felicia Langer et Israel Shahak. Ce dernier, enfant interné dans le camp nazi de Bergen-Belsen, présidait la ligue israélienne pour les droits humains et civils. Sa devise était : des droits égaux pour chaque être humain » et il vivait selon cette devise, ne laissant passer aucune injustice. Analyste et chercheur brillant, avocat infatigable, il a dévoué sa vie à combattre l’hypocrisie et les exactions d’où qu’ils viennent que ce soit de la part des Israéliens ou des Arabes.
Tournée en dérision par ses détracteurs en tant que communiste, Langer était une avocate et une défenseuse passionnée des Palestiniens victimes de vols de terres par Israël, de démolitions de maisons et de répression politique. Elle m’écrivait chaque semaine une prose élégante pour me raconter ses nouveaux cas et pour demander un soutien. « Vos lettres venant des USA » disait-elle « peuvent retenir la main du tortionnaire et maitriser les bulldozers ».
En parlant de Langer et de Shahak, un jeune Palestinien disait : « ils nous défendent. Mais ils défendent aussi les leurs car ils nous rappellent que nos deux peuples peuvent coexister ».
Mais ce n’est pas fini. L’occupation continue et de nouveaux héros ont émergé. Il y a les courageux internationaux comme Rachel Corrie et les équipes de « Christian Peacemakers » qui risquent leurs vies pour arrêter les exactions. Il y a aussi les Israéliens de la Campagne de Surveillance des colonies de Peace Now et ceux de B’Tselem. Les risques qu’ils prennent sont importants mais leurs rapports sont inestimables.
Puis il y a des hommes comme Zahi Khouri, Ibrahim Abu Lughod et Sam Bahour : des Palestiniens américains qui, à la suite d’Oslo, ont décidé de tout quitter aux Etats-Unis et de revenir pour construire leur terre bien aimée. Zahi, un homme d’affaires couronné de succès à New York, Ibrahim, un professeur titulaire renommé et Sam, un jeune et dynamique entrepreneur, ont tous pris des risques importants mais dont l’engagement leur a coûté cher.
Ce ne sont que quelques uns des nombreux héros que la Palestine a produit. Leurs vies et leur travail m’ont inspiré. Et d’eux, j’ai appris encore beaucoup plus.
La tragédie bien sûr c’est que 40 ans plus tard, le cauchemar continu. Gaza est étranglée par un blocus permanent. La Cisjordanie et Jérusalem Est ont délibérément été mutilés par les colonies, les routes pour les seuls colons, les check-points et maintenant ce mur insidieux qui taille la Palestine et les Palestiniens en petits morceaux. La violence, la punition collective et l’humiliation de ces quarante décennies passées ont également laissé des traces sur l’âme des Palestiniens ordinaires et sur leur culture.
- James Zogby
Mais je connais les Palestiniens, leur ténacité et leur capacité remarquable à faire naître des héros de leurs épreuves. Et je sais qu’il reste des Israéliens engagés dans la lutte pour la justice et qui, comme le vieux Jeremiah, continuent à interpeller leur peuple à cette fin.
A cause de tout cela, je crois que ce cauchemar continuera à produire des héros qui, un jour, mettront fin à tout cela.
*James Zogby est le président de l’Institut Arabe Américain.
14 juin 2007 - Al-Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2007/849...
Traduction : Ana Cléja