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Une nation entière prisonnière d’Israël

samedi 16 juin 2007 - 13h:13

John Pilger - il manifesto

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John Pilger

On est en train d’autoriser Israël à détruire la notion même d’Etat palestinien et de garder toute une nation en prison. C’est ce qui apparaît de façon évidente dans les dernières attaques sur Gaza, dont la souffrance est devenue une métaphore de la tragédie imposée aux peuples du Moyen-Orient et au-delà. Selon l’agence d’informations britannique Chanel 4 News, ces attaques « avaient pour cibles des militants importants du Hamas » et « l’infrastructure du Hamas ». La BBC a parlé d’un « affrontement » entre ces mêmes militants et les F-16 israéliens.

Considérons un de ces affrontements. La voiture des militants a été détruite par l’explosion d’un missile lancé par un bombardier. Qui étaient ces militants ? Selon mon expérience, tous les habitants de Gaza sont des militants en tant que résistants à leur gardien et bourreau. Quant à l’ « infrastructure du Hamas », il s’agissait du siège du parti qui a gagné les élections démocratiques de l’an dernier en Palestine. Dire cela fait mauvaise impression. Cela suggérerait que les gens qui étaient à l’intérieur de la voiture et tous les autres, au cours de ces années, les enfants et les vieux qui ont eux aussi « affrontés » les bombardiers, ont été victimes d’une monstrueuse injustice. Et cela suggèrerait la vérité.

« Selon certains », a dit le reporter de Chanel 4 News, « Hamas a provoqué cela... ». Peut-être faisait-il référence aux missiles lancés contre Israël depuis l’intérieur de la prison de Gaza, qui n’ont tué personne. Selon le droit international, une population occupée a le droit de se servir d’armes contre les forces d’occupation, mais ce droit n’est jamais rappelé. Le journaliste de Chanel 4 a fait référence à une « guerre infinie ». Il n’y a aucune guerre. Il y a la résistance de la population la plus pauvre, la plus vulnérable sur terre à une occupation qui perdure illégalement, imposée par la quatrième plus grande puissance militaire au monde, dont les armes de destruction de masse vont des bombes à fragmentation aux appareils thermonucléaires, payés par la superpuissance. Dans les seules six dernières années, a écrit l’historien Ilan Pappé, « les forces israéliennes ont tué plus de 4.000 Palestiniens, dont la moitié sont des enfants ».

Considérons comment fonctionne cette puissance. Selon des documents de United Press International, auparavant les Israéliens finançaient secrètement le Hamas dans une « tentative directe de diviser et noyer le consensus pour une OLP forte et laïque, en utilisant ?une alternative religieuse rivale’ », comme a dit un haut fonctionnaire de la Cia.

Aujourd’hui, Israël et les USA ont renversé leur intervention et soutiennent ouvertement le rival du Hamas, le Fatah, avec des liasses de millions de dollars. Récemment, Israël a secrètement permis à 500 combattants du Fatah d’entrer à Gaza par l’Egypte, où ils avaient été entraînés par un autre protégé des Américains, la dictature du Caire. Objectif d’Israël : affaiblir le gouvernement palestinien élu et fomenter la guerre civile. Pour toute réponse, les Palestiniens ont créé un gouvernement d’union nationale, avec le Hamas et le Fatah. C’est cela que les dernières attaques visent à détruire.

Avec Gaza enfermée dans le chaos et la Cisjordanie ceinte par un mur, le plan israélien, comme l’a écrit l’universitaire Karma Nabulsi, est « une vision hobbesienne d’une société anarchique : estropiée, violente, impuissante, détruite, inhibée, gouvernée par des milices, des bandes, des extrémistes et des idéologues religieux les plus disparates, divisée par le tribalisme ethnique et religieux et par les collabos cooptés. Regardez l’Irak d’aujourd’hui... ».

Le 19 mai, The Guardian a reçu cette lettre d’Omar Jabary al-Sarafeh, habitant à Gaza : « La terre, l’eau et l’air sont sous observation constante par un système sophistiqué de surveillance militaire... La Bande de Gaza doit être montrée comme ce qu’elle est : un laboratoire israélien soutenu par la communauté internationale où les êtres humains sont utilisés comme des lapins pour tester les pratiques les plus dramatiques et perverses d’étouffement économique et de réduction à la famine ».

Le journaliste israélien Gideon Lévy a décrit la faim qui touche les habitants de Gaza, plus d’un million deux cent cinquante mille personnes, et les « milliers de personnes blessées, rendues invalides et choquées par les bombes, qui ne peuvent recevoir aucune assistance... Ombres d’êtres humains qui errent dans les ruines... Ils savent seulement que ça reviendra, et ils savent ce que cela signifiera pour eux : plus d’emprisonnement dans leurs maisons pendant des semaines, plus de morts et de destruction dans des proportions monstrueuses ».

Chaque fois que j’ai été à Gaza, j’ai été pris par cette mélancolie, comme si j’étais entré dans un lieu secret de deuil. Les inscriptions sur les murs transpercés par les projectiles rappellent les morts, comme cette famille de 18 personnes, hommes, femmes et enfants qui se « sont affrontés » avec une bombe israélo-américaine de 500 libbre, lancée sur leur maison pendant qu’ils dormaient. Militants, on suppose.

Plus de 40% de la population de Gaza est composée d’enfants au-dessous de 15 ans. Rapportant une étude de terrain réalisée pendant 4 ans pour le British Medical Journal, en Palestine occupée, le docteur Derek Summerfield a écrit que « deux tiers des 621 enfants tués aux check-points, dans la rue, sur le chemin de l’école, dans leurs maisons, l’ont été par de petites armes à feu visant, dans plus de la moitié des cas, la tête, le cou ou la poitrine : la « blessure du tireur d’élite ». Un de mes amis qui travaille à l’ONU les appelle « les enfants de la poussière ». Leur magnifique puérilité, leurs chahuts, leurs rires, leur charme, donne une fausse idée de leur cauchemar. J’ai rencontré le docteur Khalid Dahlan, un psychiatre qui dirige un des multiples projets de santé infantile à Gaza. Dahlan m’a parlé de sa dernière recherche. « La statistique que personnellement je trouve insupportable, est que 99,4% des enfants que nous avons étudiés souffrent de trauma. Si on observe les taux d’exposition au trauma, on comprend pourquoi : 99,2 % du groupe a vu sa maison bombardée ; 97,5 % a été exposé aux gaz lacrymogènes ; 96,6 % a été témoin de tirs ; 95,8 % a assisté à des bombardements et à des funérailles ; presque un quart d’entre eux a vu des membres de sa propre famille blessés ou tués ».

Dahlan explique que des enfants d’à peine trois ans ont vécu la dichotomie causée par le fait de devoir faire face à ces conditions. Ils rêvaient de devenir médecins ou infirmiers, puis tout a été bouleversé par une vision apocalyptique d’eux mêmes comme prochaine génération de kamikazes. Ils en faisaient invariablement l’expérience après chaque attaque israélienne. Pour certains garçons, leurs héros n’étaient plus des footballeurs mais un méli-mélo de « martyrs » palestiniens, et même l’ennemi, « parce que les soldats israéliens sont les plus forts et qu’ils ont des hélicoptères Apache ».

Peu de temps avant sa mort, Edward Saïd reprocha amèrement leur attitude aux journalistes étrangers pour ce qu’il jugeait comme leur rôle destructeur dans leur façon d’ « effacer le contexte de la violence palestinienne, la réponse d’un peuple désespéré et horriblement opprimé, et la souffrance terrible qui en résultait ». Exactement comme la guerre en Irak a été une « guerre des médias », on peut en dire autant du « conflit » grotesquement unilatéral qui est en cours en Palestine. Comme le montre le travail de pionniers du Media Group de l’université de Glasgow, on dit rarement aux téléspectateurs que les Palestiniens sont victimes d’une occupation militaire illégale ; le terme « territoires occupés » est rarement expliqué. Seuls 9 % des jeunes interviewés au Royaume-Uni savent que les Israéliens sont la force d’occupation, et que les colons illégaux sont juifs ; beaucoup croient que les colons sont Palestiniens. L’usage sélectif du langage par les émetteurs radiotélévisés est cruciale dans le maintien de cette confusion et de cette ignorance. Des mots tels que « terrorisme », « meurtre » et « assassinat sauvage, de sang froid » décrivent la mort d’Israéliens, presque jamais celle de Palestiniens.

Il y a des exceptions louables. L’envoyé de la BBC enlevé, Alan Johnston, en est une. Et pourtant, dans l’avalanche d’informations sur son enlèvement, aucune mention n’est faite des milliers de Palestiniens enlevés en Israël, dont beaucoup ne reverront pas leurs familles pendant des années. Pour eux, il n’y a pas d’appels. A Jérusalem, l’Association de presse étrangère (FPA) informe comment ses membres sont soumis au feu et aux intimidations des soldats israéliens. Pendant une période de 8 mois, autant de journalistes, dont le responsable de CNN à Jérusalem, ont été blessés par les Israéliens, dont certains gravement. Dans aucun des cas, il n’y a eu de réponse satisfaisante.

Une censure par omission traverse en profondeur le journalisme occidental sur Israël, en particulier aux USA. Le Hamas est rejeté comme « groupe terroriste voué à la destruction d’Israël », qui « refuse de reconnaître Israël, veut se battre, et non dialoguer ». Ce discours occulte la vérité : le fait qu’Israël est déterminé à détruire la Palestine. En outre, les propositions du Hamas, faites depuis longtemps, d’un « cessez-le-feu » de 10 ans sont ignorées, de même qu’un récent - et prometteur - déplacement idéologique interne, qui envisage une acceptation historique de la souveraineté d’Israël. « La Charte [du Hamas] n’est pas le Coran », a dit un membre du Hamas, Mohamed Ghazal. « Historiquement nous pensons que toute la Palestine appartient aux Palestiniens, mais à présent nous parlons réalités, de solutions politiques. Si Israël en arrivait à pouvoir discuter avec le Hamas, je ne pense pas qu’il y aurait un problème à négocier avec les Israéliens [pour une solution]. »

La dernière fois que je suis allé à Gaza, alors que je me rendais en voiture vers le check-point israélien et ses barbelés, j’ai pu assister à un spectacle de drapeaux palestiniens qui flottaient à l’intérieur des enceintes des camps. C’était des enfants, m’a-t-on expliqué. Ils fabriquent des hampes avec des baguettes fixées les unes aux autres, et un ou deux d’entre eux grimpent au sommet d’un mur en tenant le drapeau en silence. Ils le font quand ils savent qu’il y a des étrangers dans les environs, et ils pensent qu’ils pourront le faire savoir au monde.

Traduit de l’anglais en italien par Marina Impallomeni

John Pilger - il manifesto, le 14 juin 2007
Traduit à partir de la version italienne par Marie-Ange Patrizio
Version anglaise : Imprisoning a whole nation - johnpilger.com


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