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Une alternative possible à l’amputation

mercredi 13 juin 2007 - 19h:18

Dr Samah Jabr

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Les Palestiniens ont développé une identité nationale très spécifique et très forte, liée à la Palestine historique. Toute amputation de cette terre nous blessera toujours comme la douleur fantomatique d’un membre amputé que nous sentons intensément.

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Un temps irremplaçable a été perdu en discussions sur une solution à deux Etats.
Temps utilisé par Israël pour travailler à une solution à aucun Etat.

Dans l’édition du 16 juin 2003 de Bitterlemons.org, sous le titre « Abattre les murs », j’expliquais pourquoi je considérais la solution à deux Etats comme une solution politique désespérée pour les Palestiniens. Pour avancer dans cette discussion, voyons le côté psychologique de cette question.

Un temps irremplaçable a été perdu en discussions sur une solution à deux Etats. Temps utilisé par Israël pour travailler à une solution à aucun Etat : les colonies sont plus étendues, le mur est plus long, l’occupation est de plus en plus engagée et le discours politique sur la purification ethnique se fait plus vigoureux. Israël veut une occupation sans fin de la Palestine qui fournisse pour toujours des coupeurs de bois et des puiseurs d’eau *.

En psychologie sociale, on soutient qu’il ne faut pas ignorer l’importance de la justice dans la résolution d’un conflit. La perception de l’impartialité est un déterminant important du comportement humain et des réactions affectives. Toutes les propositions de paix ont méconnu cet aspect décisif. Les accords ont été basés sur une répartition profondément injuste de la terre, de l’eau et des richesses naturelles qui met en ?uvre, de fait, la ghettoïsation, qui fait la promotion d’un travail de forçat en entretenant d’énormes différences économiques et une divergence significative dans le revenu moyen et les droits élémentaires du travail, tout en maintenant une supériorité militaire israélienne qui, toujours, menacera et mettra en péril notre survie.

Pourtant, on s’attend à ce que nous acceptions l’assimilation pathologique que fait Israël de sa sécurité avec une majorité de Juifs dans un pays qui doit leur appartenir. Il y a déjà un certain degré d’intégration physique entre Palestiniens et Israéliens, à la fois de ce côté-ci et de l’autre côté de la Ligne verte. Et il n’y a aucune garantie pour qu’Israël reste un Etat juif du fait de la croissance rapide de la minorité arabe. Que se passera-t-il alors ? Transfert ou génocide ? Que faites-vous des craintes des Palestiniens ? Pourquoi les Israéliens n’adoptent-ils pas une constitution qui octroie l’égalité devant la loi et une égalité des chances qui assureraient un respect réciproque ?

Les Palestiniens ont développé une identité nationale très spécifique et très forte qui s’inspire du patrimoine, de la culture, du récit, des gloires et tragédies, liés à la Palestine historique. Toute amputation de cette terre est un profond traumatisme à notre fierté nationale et nous blessera toujours comme la douleur fantomatique d’un membre amputé que nous sentons intensément mais que les autres ne reconnaissent pas. Je me rends compte qu’il est impossible pour les Israéliens comme pour les Palestiniens de se défaire de leur identité. Mais je crois qu’une identité d’un groupe plus vaste peut être créée, une identité qui naîtrait d’un Etat unique ne s’opposant pas aux deux autres. Sous le couvert d’une constitution respectant la vie civique, garantissant les droits individuels et collectifs et, ainsi, organisant les rapports, nous pourrions engendrer un Etat dans le respect et la confiance, plutôt que la manipulation et les maltraitances inhérentes aux rapports entre un Israël dominant et une Palestine faible et lézardée.

Après de si grandes pertes en vies humaines, de prestige, de territoire et de dignité, une nation ne peut que porter le deuil. Mais le manque de reconnaissance, les compensations seulement partielles envisagées ne laissent aucune place à un deuil qui serait souillé par un sentiment d’humiliation, de colère, d’irrédentisme à l’égard de ce qui a été perdu et par le droit logique à le reconquérir qui, toujours, compromettront tout espoir de paix. Dans une solution à deux Etats, nous intérioriserons tous ces sentiments négatifs, les identifierons à nos agresseurs et vivrons avec une déchéance psychologique. La séparation ne respecte pas l’égalité dans la loi ni l’égalité des chances et ne pourra jamais être équitable ni légitime ; elle ne fera qu’exacerber la haine, les préjugés, la peur et la méfiance.

Un Etat unique ne signifiera pas la réparation des injustices historiques infligées au peuple palestinien. Mais il nous permettra, avec une pleine reconnaissance des fautes et la possibilité ultérieure d’un véritable deuil, d’oublier le passé et de mettre fin aux injustices continuelles ; l’occupation de la Palestine et la discrimination à l’égard des Palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne.

Le 14 septembre 2003, le New York Times a publié un sondage qui indique que 25 à 30% des Palestiniens soutiennent l’idée d’un Etat unique. Mon impression personnelle est qu’une majorité de Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne envisagent la proposition pour un seul Etat comme la plus favorable, ceci sans la moindre aide sérieuse d’un plaidoyer politique ou des médias.

Aujourd’hui, cette solution semble de plus en plus populaire vu la réalité sur le terrain, créée par Israël et ne laissant aucune chance à la création d’un Etat palestinien viable et souverain, avec des ressources réelles, sur ce qui reste des frontières d’avant 1967. Les élections palestiniennes ont aussi dénoncé le mythe américain selon lequel deux Etats démocratiques ne se combattaient jamais.

Le combat palestinien pour la libération et la justice ne peut se réaliser que dans un Etat unique. C’est la seule solution viable, souhaitable et soutenable qui rendra aux Palestiniens dignité et moralité, et leur garantira la liberté.

Laissez-moi ajouter quelque chose qui m’est personnel. Je suis une jeune psychiatre palestinienne et je travaille avec une confrère israélienne expérimentée. Nous faisons le point ensemble tous les quinze jours et discutons de nos malades et des autres questions. J’apprécie mon mentor et je ne souhaite pour elle ou les siens rien de moins de ce que je souhaite pour moi-même. A mon avis, quand je défends un Etat unique, je défends mes droits autant que les siens et notre droit à rester ensemble. Si ceci est perdu pour des raisons politiques, ce sera seulement une douleur fantomatique dans un autre membre amputé.

* Josué (ch. 9,V 21, 22, 23)


Samah Jabr est psychiatre en Palestine occupée.

Après la Norvège où elle a participé début mai, à Oslo, à une conférence sur la santé mentale dans les situations humanitaires, elle est allée en tournée en Afrique du Sud pour parler de la situation actuelle de la Palestine. Elle y a fait une multitude de rencontres publiques, 4 interviews radio et une télévisée. De retour en Palestine, elle travaille à une pièce de théâtre. On peut la contacter à l’adresse : samahjabr@hotmail.com

Texte adressé par l’auteur aux Amis de Jayyous - photo du mur : R. de Hommel - traduction JPP pour les Amis de Jayyous.


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