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Beddawi : 45.000 dans 2 kilomètres carrés

mardi 12 juin 2007 - 16h:46

A. Di Giovanni - il manifesto

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45.000 dans 2 kilomètres carrés. Et maintenant Nahr-el-Bared.

Reportage d’Annalena Di Giovanni chez les réfugiés palestiniens de Beddawi, au nord du Liban, où affluent chaque jour des milliers de réfugiés du camp assiégé de Nahr-al-Bared. Courte interview de Abu Yussef, leader des milices de Fatah-al-Intifada.

Beddawi (Liban)


La presse libanaise donne désormais pour imminente la fin des affrontements entre l’armée libanaise et les miliciens de Fatah al Islam, les jihadistes qui résistent sous les ordres de Shaker al Absi dans le camp de réfugiés de Nahr-al-Bared, à côté de Tripoli. Le Croissant Rouge maintenant ne peut plus atteindre qu’avec peine l’entrée méridionale du camp de réfugiés palestinien, et lance l’alarme sur les conditions des survivants. Tout manque : l’eau potable, l’électricité, les médicaments. Dans les rues à moitié désertes de Tripoli, les Libanais ne comprennent pas le choix de résister à l’intérieur du camp, de la part des réfugiés. « Pourquoi ne sortent-ils pas, quelles maisons voudraient-ils défendre ? Ils seront accueillis ici. En restant, ils couvrent les terroristes ».

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Camp de réfugiés de Beddawi : un camion transportant nourriture et marchandises de première urgence en provenance des Emirats Arabes Unis, destinées aux Palestiniens qui ont fui le camp de réfugiés de Nahr al-Bared (Ph. Reuters, 27 mai 2007)

Mais dans le camp voisin de réfugiés de Beddawi, dont la population est maintenant montée à 45.000 personnes sur deux kilomètres carrés, c’est justement l’arrivée des 5.000 derniers civils restés dans le camp qui fait peur. L’électricité saute continuellement, congestionnée, comme les égouts, les rues, les maisons ; l’autre matin, à côté de la mosquée , pleine elle aussi, il y avait dix autres familles déplacées.

Les réfugiés ont peur de bouger à cause des coups de filet supposés de l’armée ; l’armée libanaise nie officiellement que quiconque serait resté à Nahr-al-Bared puisse être considéré indistinctement comme milicien de Fatah Al Islam. Toutefois, Mohammed, 76 ans, qui vient juste d’arriver du camp assiégé raconte une toute autre réalité. Alors qu’il courait dans la rue avec les mains en l’air, il a été accueilli par les tirs de l’artillerie libanaise qui l’a ensuite arrêté comme terroriste, bien qu’il tienne à peine debout. « Ils arrêtent tout le monde. Tous les hommes et les jeunes qui essaient de sortir du camp. En plus, ils bombardent même la zone où ils savent que nous nous sommes rassemblés, nous les civils ». Fatigué, il montre sa propre paillasse improvisée, à l’intérieur de la petite pièce où ils sont 53 à se coucher chaque nuit à même le pavement. « Moi je voulais rester là-bas. Les refuges, l’Unrwa, les aides, l’humiliation, les bagages sur les épaules. Je me disais, plus jamais. Je ne pouvais pas m’enfuir une fois de plus. En 48, j’ai d’abord j’ai fui Haïfa. Puis Tal-el-Zataar. Et je n’ai plus jamais pu retourner. Toutes les fois, toute ma vie. Je n’en peux plus. Cette fois, j’ai pensé mieux vaut mourir en résistant. Mais finalement, mes enfants m’ont fait sortir ».

Mohammed raconte les conditions désespérées dans le camp. 90% des maisons détruites, les cadavres ensevelis sous les décombres. Quand il entend parler de Fatah al Islam, le vieil homme reprend un peu de vie : « C’est nous, les Palestiniens, qui devrions nous en occuper, de Fatha al Islam, avec une force conjointe entre les différentes factions de tous les camps. L’armée libanaise est dans l’impasse. Ils n’arriveront pas à s’en sortir dans les ruelles étroites du camp. Mais pour le moment les tractations semblent n’aboutir à rien, même si le médiateur palestinien Abbas Zaki s’est rendu en Jordanie pour s’entretenir avec le chef de l’Olp. La vraie urgence ce sont les civils pris au piège ».

Abu Yussef, leader des milices du Fatha-al-Intifada dans le nord du Liban, a déjà beaucoup eu à faire avec Shaker Absi. C’est par l’intermédiaire de son groupe, « une branche prosyrienne de Al Fatah, qui s’est détaché du courant Arafat en 83 », qu’Absi a commencé, depuis la Syrie, à s’implanter dans les camps de réfugiés palestiniens il y a plusieurs mois. « Il a rejoint mon groupe après la guerre de cet été », raconte Abu Yussef, de son quartier général à Beddawi. « Il a tout de suite été clair qu’il travaillait pour lui-même, en appelant des gens de Syrie et de Jordanie pour les infiltrer dans les camps de Burj el-Barrajna, Chatila, Beddawi et Nahr-el-Bared. Mais c’est Abu Khaled Amli qui me l’avait envoyé, le numéro deux du Fatah al Intifada en Syrie. Ils étaient très liés ».

Comment êtes-vous arrivés à l’affrontement avec Shaker Absi ?

Il est interdit aux non Palestiniens d’habiter dans notre camp de réfugiés. Le soir du 26 novembre 2006, ici à Beddawi, un contingent des milices palestiniennes a surpris 12 étrangers qui se cachaient dans une pièce. Quand on leur a demandé leurs papiers, les étrangers ont répondu en lançant une grenade. Après une nuit de combats, deux d’entre eux ont été faits prisonniers et remis à la police libanaise. Les autres, avec Al Absi, se sont enfuis à Nahr-al-Bared. 24 heures plus tard ils se reconstituaient comme « Fatah-al-Islam ».

Pourquoi n’ont-ils pas été arrêtés à Nahr-el-Bared ?

Là bas, nos factions sont divisées et inférieures aux hommes de al Absi d’un point de vue militaire. Les gens avaient peur. Ils sont tous restés à regarder pendant que al Absi, Abu Ramez Suhmurani et Abu Hureira amassaient des armes, achetaient des appartements et faisaient entrer plus de deux cents Pakistanais, Algériens, Saoudiens et Afghans. Du reste, au Liban on peut facilement obtenir un visa sans contrôles : il suffit de payer.

Qui les finançait ?

Les financements venaient de partout. Bahia Hariri, la soeur de Rafiq Hariri, en sait quelque chose... Au sud, avec le Hezbollah, un groupe de ce genre n’aurait pas duré un seul jour. Mais dans une zone à majorité sunnite, proche de la frontière syrienne et pleine de groupes salafistes, les choses ont échappé à tout le monde. Nous les Palestiniens, nous sommes le maillon faible et nous payons les comptes de tout le monde.

Annalena Di Giovanni - il manifesto, édition du dimanche 10 juin 2007
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Lire aussi : Liban : Nahr al-Bared est une ville fantôme sur laquelle flotte une odeur de mort


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