C’est juste une autre mère qu’on a assassinée
vendredi 8 décembre 2006 - 15h:47
Alison Weir
Presque personne n’a pris la peine de l’écrire. Une recherche dans les plus grands journaux des USA de ce jour n’a rien donné ; rien dans le Boston Globe, rien dans le Boston Herald, ni dans le Chicago Sun-Times, l’Atlanta Journal-Constitution, le San Francisco Chronicle, le Seattle Times, le St. Louis Post-Dispatch, le Houston Chronicle, le Tampa Tribune, etc.
Rien sur CBS, NBC, ABC, CNN, PBS, NPR, Fox News. Rien.
Le Los Angeles Times, le Washington Post, le New York Times, et l’Associated Press ont écrit chacun une phrase, tout au plus, à ce sujet. Trois d’entre eux ont négligé les détails - le LA Times a précisé l’âge qu’elle avait - et le Washington Post a signalé qu’elle avait été tuée par l’obus d’un char.
D’après des témoins, ce n’est pas un obus tiré par un char qui l’a tuée. Ce sont des balles, de nombreuses balles, tirées à bout portant.
Des voisins disent que les soldats israéliens frappaient son mari parce qu’il ne répondait pas à leurs questions. Stupidement, ou courageusement, comme on veut, la femme de 35 ans s’est interposée. Elle a essayé d’expliquer que son époux était sourd, elle a crié aux soldats que son époux ne pouvait pas les entendre et elle a tenté de les arrêter, pour qu’ils cessent de le frapper. Alors, ils ont tiré sur elle. Plusieurs fois.
Son nom était Itemad Ismail Abu Mo’ammar
Elle n’était pas morte pourtant. Cela a pris du temps. Pour son dernier souffle, il a fallu que son sang coule pendant des heures, que les soldats israéliens refusent de laisser l’ambulance la transporter pour la secourir. Son mari et ses enfants n’ont rien pu faire pour la sauver. Enfin, après environ cinq heures, une ambulance a été autorisée de l’emmener dans un hôpital ; là, les médecins ont pu rendre un service : constater son décès.
C’était quelques jours avant le début du Ramadan, une période où la famille se réunit, comme au moment de Noël pour les Américains. Elle laisse 11 enfants.
Rien de tout cela n’a été dit dans le récit du Washington Post qui a informé de sa mort en une demi-phrase. Le frère de son époux qui vivait dans la même maison a été tué aussi. Il avait 28 ans, il était fermier.
Pourquoi est-ce arrivé ? La famille habitait derrière la maison d’un combattant de la résistance recherché par Israël. Ce ne sont que des « dommages collatéraux » dans une opération d’assassinat/enlèvement ratée par les Israéliens.
En tout, cinq Palestiniens ont été tués ce jour-là. Les trois autres étaient des jeunes bergers d’un autre secteur, deux avaient 15 ans et un 14. Il semble qu’ils se soient trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment. Gaza.
Rien de tout cela n’a été publié dans la plupart des journaux américains ; ainsi, l’opinion américaine ne saura jamais qu’une mère a perdu son sang jusqu’à en mourir, devant ses enfants, et que des jeunes bergers ont été déchiquetés. Apparemment, ce n’était pas médiatique, simplement.
Etude de cas d’un « bon » reportage
Le Washington Post, au moins, a fait mention de ces morts, peut-être que ceux qui se soucient du respect des règles journalistiques vont ainsi louer le Post pour sa couverture.
Et pourtant, le Post, dans un article si court a réussi à être tellement inexact.
En plus de l’erreur sur la cause de la mort d’Itemad et d’avoir négligé des faits cruciaux, le récit du Post en dépeint incorrectement le contexte, disant à ses lecteurs que ces cinq morts se sont produites dans une période de « calme relatif ».
Le fait est qu’il est exact que depuis six mois, pas un seul enfant israélien n’a été tué par les Palestiniens, mais pendant cette période, les Israéliens, eux, ont tué 75 jeunes palestiniens, dont l’un de 8 mois et plusieurs de trois ans.
J’ai téléphoné au Post et j’ai parlé avec une rédactrice en chef étrangère lui disant qu’il était nécessaire de faire une correction et je lui donnai des informations sur le meurtre d’Itemad. Elle m’a répondu qu’elle transmettrait à leurs correspondants (en Israël), mais elle a expliqué qu’il était impossible « pour elle de se rendre à Gaza ». Quand j’ai protesté elle a corrigé, « impossible » est devenu « très difficile ». Elle omettait d’indiquer que le Post avait des contacts avec des journalistes indépendants à Gaza, disponibles pour se renseigner sur tout évènement que les rédacteurs jugeraient importants.
Puis, j’ai adressé une lettre au journal avec les informations ci-dessus. Heureusement, le service courrier du Post qui, apparemment, l’a ouverte a décidé que c’était une bonne lettre. Ils m’ont envoyé un mel pour m’informer qu’ils retenaient ma lettre pour sa publication, il fallait que je leur confirme que j’en étais l’auteur et que je n’avais pas diffusé l’information ailleurs.
J’ai répondu par l’affirmative, nous avons échangé quelques messages encore et tout paraissait réglé. Normalement, quand la presse vous contacte de cette façon, votre lettre est publiée sous peu. Je l’ai donc attendue. Et j’ai attendu.
Ca fait maintenant deux semaines que leur article est sorti et ils m’informent juste que le journal a décidé de ne pas publier ma lettre. Le Post avait décidé apparemment qu’il n’y avait aucune nécessité à procéder à une correction.
Je pense que j’ai compris
Bien que la déclaration des principes du Washington Post stipule : « Ce journal s’engage à réduire au maximum le nombre de ses erreurs et à corriger celles qui pourraient se produire... L’exactitude est notre but ; la franchise notre défense », la Société américaine des Rédacteurs de journaux, elle, donne des précisions sur ces règles déontologiques : les corrections doivent être publiées seulement quand l’erreur de la commission ou l’omission est « significative ».
Après tout, il ne s’agissait que de Palestiniens, et c’est juste une mère qui est morte.
Alison Weir est directrice exécutive de Si les Américains savaient, elle a publié des études approfondies et des vidéos sur les reportages américains sur Israël et la Palestine.
USA -lundi 9 octobre 2006
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