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Voix de Gaza : où allons-nous ?

samedi 2 juin 2007 - 23h:49

Laila El-Haddad - Al Jazeera.net

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« Le Fatah se fiche du Hamas et vice-versa. Ils ne se soucient que de gagner. Dominer est plus important que les vies humaines. »

Des affrontements internes dans la Bande de Gaza, combinés avec la reprise des attaques israéliennes, ont tué plus de 65 personnes pendant la semaine écoulée.

Bien qu’il y ait encore eu un autre cessez-le-feu négocié, beaucoup de Palestiniens craignent le pire.

Laila El-Haddad d’Al Jazeera.net s’est entretenue avec quatre habitants de Gaza, de la violence interne et de la manière dont le siège israélien a touché leurs vies, comment ils font face et s’ils sont optimistes quant à ce que l’avenir leur réserve.

Taghreed El-Khodary, 36 ans, journaliste

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Taghreed El-Khodary, journaliste

En tant que journaliste, j’ai couvert la deuxième Intifada ; j’ai couvert le retrait israélien et puis, brusquement je me suis trouvée en train de couvrir des combats acharnés entre Palestiniens. Il est choquant de les avoir vus se battre contre l’occupation israélienne ensemble et de les voir brusquement se battre entre eux.

Le plus lamentable est que les civils soient pris au milieu dans leurs affrontements.

Et quand vous entendez les histoires des civils qui ont perdu des êtres chers, ou dont les proches ont été blessés, c’est la même chose que ce que les Israéliens leur ont infligé sauf que cette fois-ci les balles sont palestiniennes et alors, vous vous rendez compte de la déception, de la dépression que les gens éprouvent.

Un exemple : une femme appelée Hoda, 60 ans, qui avait très peur de mentionner son nom de famille, peur d’être tuée par le Fatah ou le Hamas. Elle me dit : « Une attaque venant d’Israël, nous pouvons y faire face. Mais quand ce sont des Palestiniens qui s’affrontent, c’est psychologiquement déprimant ».

Quelqu’un d’autre, un membre du Fatah dont le frère a été blessé dans les affrontements m’a dit : « Ce qui se passe entre Palestiniens est causé par l’embargo imposé par la communauté internationale. Une fois que vous affamez les gens, ils deviennent vulnérables et sont facilement manipulés par les deux parties qui n’agissent que pour leur propre intérêt ».

Pour la première fois de ma vie, j’ai été arrêtée par des hommes masqués qui m’ont demandé où j’allais dans la ville de Gaza ; pour la première fois, j’ai vu des forces de sécurité palestiniennes arrêter des hommes parce qu’ils ont une barbe et leur demander leur pièce d’identité.

Pour la première fois je vois des gens qui ont peur de se déplacer. C’est ce qui se passait pendant la première Intifada. Toutefois, c’étaient des Israéliens qui arrêtaient des Palestiniens. Brusquement, je vois des postes de contrôle à Gaza établis par des Palestiniens. Il y a donc maintenant un couvre-feu que nous nous imposons à nous-mêmes. C’est triste de voir Gaza devenir un cauchemar.

Par ailleurs, quand je suis en voiture avec le chauffeur, j’ai peur qu’Israël rate sa cible et que son missile ne mette ma voiture en pièces.

Vous avez peur quand vous travaillez, quand vous êtes en voiture, quand vous vous déplacez. La peur de la mort vous hante, mais vous devez apprendre à la repousser, continuer à vous déplacer et à vous concentrer sur ce que vous écrirez concernant les événements à Gaza.

Je suis une optimiste au sujet des gens. Je crois que ce sont eux qui apporteront le changement. A ce stade, on peut sentir que la majorité silencieuse en a marre, tant du Hamas que du Fatah, qu’elle se sent déçue et je crois que l’un et l’autre se rendent compte que s’ils continuent leurs luttes internes, ils perdront l’appui populaire. Il est certain que le moment est venu pour une solution alternative.

Malheureusement, il n’y en a pas.

La communauté internationale, le Fatah, le Hamas et Israël doivent comprendre que toutes les parties doivent entrer en concertation pour arriver à un règlement politique.

Hadeel Abou Dayya, 17 ans, étudiante dans le secondaire

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Hadeel Abou Dayya a été bloquée dans une cave pendant des heures

Nous en avons vu, mais jamais rien de semblable. Ils ont perdu leur sens de ce qui est humain.

Mes quatre frères et s ?urs, mes parents et moi sommes restés bloqués dans la cave de notre immeuble avec 35 autres habitants - dont certains dans une chaise roulante, certains âgés - pendant plus de six heures sans nourriture ni rien à boire pendant que des hommes armés envahissaient le bâtiment et que de l’extérieur d’autres commençaient à attaquer et à échanger des coups de feu avec eux.

Des membres des forces du Hamas étaient dans notre bâtiment et à l’extérieur, dans un autre bâtiment, il y avait les forces de sécurité du Fatah ; ils leur tiraient dessus avec des mitrailleuses et des RPG ainsi que des mortiers. Quelques RPG ont atterri dans des appartements et touché les rideaux y mettant le feu ; finalement, ce sont des appartements entiers qui ont été détruits par le feu.

Le Fatah se fiche du Hamas et vice-versa. Ils ne se soucient que de gagner. Dominer est plus important que les vies humaines. Les deux camps ont perdu leur humanité et leur entendement.

Nous sommes descendus à la cave après que quatre tirs de mortiers et de RPG ont atteint les chambres. Nous ne voulions pas mourir tous - nous tentions de penser stratégie à ce stade. Des balles sifflaient littéralement au-dessus de nos têtes. Ensuite, d’autres RPG ont touché les rideaux qui ont commencé à brûler. Nous risquions nos vies et avons fui sous le feu des armes. A présent, nous sommes dans un hôtel jusqu’à ce que nous puissions trouver un nouvel appartement.

Où est le président ? Où est le premier ministre ? Où sont-ils ? Ils ne veillent que sur leurs propres intérêts.

Nous savons que le bureau du président peut arrêter ceci, mais il préfère ne pas le faire. Nous ne demandons que trente minutes de couvre-feu pour pouvoir sortir avec d’autres passants bloqués, mais on ne nous accorde même pas ça.

Après ce qui s’est passé, après avoir pensé que j’allais mourir, après avoir vu que même les ambulances n’étaient pas autorisées à arriver jusqu’à nous, j’ai pensé : qu’est ce c’est que ces gens, cette nation que j’essaie si fort de construire ?

Je suis accablée. Et puis j’ai pensé : comment le monde extérieur m’aidera-t-il ? Je dois rester forte et persévérer. Ce que j’ai appris est que le monde est comme un crayon. Votre mémoire, votre vie, tout ce que vous savez ou pensez, peut être effacé en un instant. Mon passeport, nos pièces d’identité, nos voitures, tout a disparu dans cet incendie.

Khalil Yaziji, 26, commerçant, banquier

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Khalil Yaziji a trouvé deux corps devant son magasin

J’étais en train de fermer, et j’ai trouvé sur le trottoir de mon supermarché les corps de deux personnes exécutées par les forces du Fatah. Il y avait du sang partout.

Franchement, la situation est lamentable et déprimante.

Nous avons l’impression de travailler pour rien. Une vie dans laquelle vous travaillez juste pour arriver à manger, n’est pas une vie du tout.

Franchement, je sens qu’à tout moment quelqu’un peut arriver et me tirer dessus. La situation est si mauvaise que ça.

Enfin, je viens de me marier et je n’ai même pas pu sortir avec ma femme. La situation est trop dangereuse et imprévisible.

Nous avons ouvert le magasin aujourd’hui, mais la situation est toujours tendue et tout le monde a peur de voir les choses tourner terriblement mal à n’importe quel moment.

Néanmoins, les gens ont besoin d’acheter des marchandises et mes vivres vont se gâter si je reste fermé.
Les clients entrent, achètent rapidement ce dont ils ont besoin et sortent. Beaucoup de gens ont stocké des produits ces jours passés. Ils avaient vraiment peur de se faire enlever ou exécuter sur place à cause de leur aspect, par exemple s’ils portaient la barbe.

Il n’y a simplement aucune sécurité. On peut arriver à tout moment et même me voler mon argent.

La seule issue est que les Israéliens continuent à bombarder jusqu’à ce que nous mourions. Au moins, ce serait une fin plus honorable.

Ce qui se passe, ce sont des crimes gratuits, des exécutions. L’homme dont nous avons trouvé le corps devant chez moi a été obligé de se prosterner devant les hommes armés du Fatah d’être alors tué. La situation a permis à des criminels de droit commun de faire ce qu’ils voulaient. Ils ont profité de la situation pour laisser libre cours à leurs vendettas et à leurs griefs personnels. Ce n’est même plus une question de Hamas contre Fatah.

Les dirigeants des deux côtés sont responsables. Tous ces hommes armés rendent des comptes à quelqu’un. Non ?

Mais ils n’ont pas voulu venir voir comment nous mourons dans les rues.

Tout ceci est le fruit du blocus mondial, du siège israélien de Gaza ainsi que du chômage et de l’absence de revenus qui en résulte. Ajoutez à cela, le fait que les Etats-Unis aident les milices du Fatah, militairement et financièrement ; cela joue un rôle énorme.

Nous voulons qu’ils lèvent le siège. Nous voulons qu’ils commencent à parler avec notre gouvernement, Hamas y compris.

Et sur le plan local, il nous faut un seul responsable de la sécurité.

Mohammad Salim, 45 ans, sans emploi/travaille à temps partiel comme balayeur

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Mohammad Salim sera à nouveau sans travail dans deux semaines

Les querelles internes nous affectent tous. Elles touchent nos familles et nos enfants psychologiquement. L’économie ne fonctionne pas.

Quand j’ai envoyé mes enfants à l’école ce matin, je n’avais pas assez pour leur donner l’argent de poche quotidien.

Le plus jeune, Mahmoud, a neuf ans. Ces derniers jours, il avait l’air déprimé et je lui ai demandé ce qu’il avait. Il m’a répondu : « Je m’ennuie. Je ne trouve personne avec qui jouer ».

Et je me suis mis à pleurer, tellement je me sentais impuissant. Je me rendais compte que ce n’est pas simplement nous autres adultes qui étions déprimés, mais les enfants aussi. Je lui ai donné un shekel. J’ai pensé que je pourrais le distraire pour un moment. Il est tellement triste.

Ces assassinats ne nous aident pas. Nous ne savons plus où nous allons. Je veux demander à Mahmoud Abbas et à Ismaïl Haniya : Où allons-nous ?

Tout cela profite à Israël.

Nous demandons simplement à Dieu Tout puissant de nous libérer de cette folie et de ces jours noirs.

Franchement, je ne suis pas optimiste. Pas du tout.

La cause de tout ça, c’est le siège et l’absence de travail et l’absence d’argent. Quand il y a de l’argent et du travail, les gens n’ont pas le temps pour ces bêtises ; de même, les parents peuvent empêcher leurs enfants d’aller se battre. Parfois, j’ai l’impression que les garçons s’ennuient et cherchent quelque chose à faire ; c’est pour cela qu’ils sortent et vont se battre.

Pourquoi est-ce qu’Israël ne nous laisse pas simplement travailler, ne nous laisse pas simplement vivre ?

Il n’y aurait alors pas de problèmes à Gaza. Personne n’autoriserait ses enfants à travailler chez les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ou les tanzim. Pour 1200 misérables shekels, ils détruisent tout.

S’ils levaient le siège, les gens pourraient commencer à se sentir plus en sécurité.

Le comble, c’est que 450 hommes de la garde présidentielle sont entraînés en Egypte avec des fonds américains et israéliens, ce qui n’est bon pour personne.

Ces derniers jours, les gardes ont jeté à terre des femmes portant le niqab [voile couvrant le visage] et des hommes portant la barbe. Ils ont exécuté trois hommes. Cela ne s’était jamais produit auparavant. Quatre ou cinq hommes de mon quartier se sont fait raser la barbe par crainte d’être visés. Je ne vais plus à la mosquée ces jours-ci. Qui va s’occuper de mes enfants si un tireur fou me tue ?

Nous sommes des êtres humains et voulons simplement vivre comme le reste du monde.

Mon fils, il regarde parfois des chaînes de télévision comme Abou Dhabi ou Dubaï ; il voit des terrains de jeu et des parcs avec de l’herbe verte. Je me sens si triste et si impuissant pour lui.

L’occupation a fait de nous des mendiants. Chacun de nous, depuis Abu Mazen jusqu’aux balayeurs de rue comme moi. Et à tout cela, ajoutez les querelles internes.

J’ai honte de balayer les rues. Vraiment. Mais qu’est ce que je peux faire ? J’ai treize bouches à nourrir. Et les dettes s’accumulent. Et même maintenant, c’est un travail du programme humanitaire. Dans deux semaines, je suis à nouveau sans travail.

* Laila El-Haddad est une journaliste free-lance qui vit dans la ville de Gaza. Elle a appelé son blog Raising Yousuf en reprenant le prénom de son fils âgé de deux ans.

20 mai 2007 - Al Jazeera.net - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/NR/exe...
[Traduction : AMG - Info-palestine.net]

De la même auteure :
- Gaza : rues désertes et ciel de cauchemar
- Oeil pour ?il
- « La poigne invisible » d’Israël sur Gaza


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