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La mort de Samir Dari

jeudi 24 mai 2007 - 07h:13

N. Gordon & Y. Bronner - Dissident Voice

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Près d’un an et demi a passé depuis que notre ami Samir Dari a été abattu par un policier israélien. Samir, un résident israélien père de deux enfants, s’était approché d’un groupe de policiers qui venaient d’arrêter son frère au coin d’une rue non loin de chez lui, et il leur avait demandé de le relâcher. Les versions divergent sur la succession des événements mais il n’y a aucune contestation à propos des faites suivants : Samir n’était pas armé et le policier Shmuel Yechezkel lui a tiré de près dans le dos.

La police israélienne a été prompte à propager une version fallacieuse de l’incident, présentant ce meurtre comme un acte de légitime défense. Il s’agit là d’une réponse typique et quasi automatique de la police, de celles qui inversent les rôles entre victime et agresseur. Lorsqu’un Arabe est tué, on dit qu’il a été violent ; lorsqu’il se fait tabasser, on dit qu’il a d’abord frappé le policier ; quand il est opprimé, c’est lui qui est coupable.

Typique également, l’absence d’intérêt du public pour la mort de Samir. Le meurtre d’un Arabe n’est, après tout, pas le genre d’événement à faire les grands titres en Israël.

La manifestation non-violente organisée par les amis de Samir en réponse à ce meurtre a pourtant retenu l’attention. Les Juifs israéliens ne digèrent pas facilement la présence d’Arabes en colère dans les rues et beaucoup n’ont pas hésité à menacer ouvertement les manifestants : « Il faut une réponse immédiate et forte » et « il faudrait une attaque au missile sur leur village » étaient quelques unes des réactions qui ont paru dans la presse locale.

Mais il apparaît maintenant, un an et demi plus tard, que l’appareil judiciaire israélien partage la perception du public, bien que sur un mode d’expression moins véhément.

Le juge Noam Solburg a récemment acquitté le policier Yechezkel. Ironiquement, le juge établit dans son verdict que Samir n’avait pas menacé Yechezkel, qu’à aucun moment il n’y avait eu de contact physique entre Samir et le policier, et que Samir s’éloignait du policier lorsqu’il a été abattu d’une balle dans le dos. « L’accusé a fait une terrible, une effroyable erreur », conclut le juge, ajoutant que « le défunt a été tué sans raison ».

Le juge a néanmoins disculpé Yechezkel parce que, selon son opinion, l’idée que le policier se soit senti agir en situation de légitime défense n’est pas totalement hors de doute. Donc, lorsque « l’erreur » tue un Arabe, personne n’en paie le prix - sauf, bien sûr, la victime, sa femme et ses enfants.

Le verdict du juge Solburg adresse un message à la famille de Samir et à tous les citoyens arabes d’Israël : ils ne doivent pas attendre justice et protection de l’Etat d’Israël. Alors que la fonction de la loi est de protéger les citoyens et que la responsabilité de la police est de faire observer la loi, ces vérités de base sont bien souvent ignorées lorsqu’il s’agit d’Arabes. Depuis septembre 2000, trente-quatre citoyens arabes ont été tués par la police, des gardiens de sécurité et des soldats. Pourtant, seules quatre inculpations ont été prononcées, et seulement après une solide campagne publique. Aucun de ces cas n’a abouti à une condamnation.

Quelquefois, pourtant, la naïveté essaie obstinément de mettre en cause la réalité politique. Lorsque Samir a été tué, nous pensions qu’il valait la peine de réclamer justice. Au départ, la famille de Samir avait refusé d’autoriser une autopsie. Ce n’est qu’après de fortes pressions exercées par des amis et des juristes qui arguaient que sans preuve matérielle, le policier repartirait libre, que la famille a donné son accord, contre ses convictions religieuses, pour permettre la procédure médico-légale. Le rapport du médecin est sans équivoque : Samir a été abattu d’une balle dans le dos, tirée de près.

Le juge Solburg n’a apparemment aucune patience pour la naïveté et il a veillé à ce que la réalité politique sorte victorieuse. Il n’a pas permis aux résultats de l’autopsie ou, en d’autres termes, à « la dimension objective » de l’affaire de changer quoi que ce soit à son verdict et il a donc adressé aux citoyens arabes d’Israël le message très clair que la preuve ne constitue pas le critère le plus important pour établir la culpabilité. Il ne sera dès lors pas étonnant que la famille de la prochaine victime refuse de donner son consentement pour une autopsie.

Ce verdict envoie également un message clair à la police : « Ne vous en faites pas ». Les policiers israéliens peuvent être tranquilles : tout sera fait pour couvrir la violence à l’encontre d’Arabes. Si les affaires internes ne font pas le boulot, alors on peut trouver un juge qui acquittera le policier, même si l’officier de police est coupable d’avoir abattu un homme de sang froid.

En outre, ce verdict renforce l’idée qui court dans le public juif que tout sang n’est pas pareil. Non pas que cela doive réellement surprendre qui que ce soit. Il y a un an et demi, lorsque Samir a été tué, nous avions écrit un article (1) pour la presse israélienne qui s’achevait par ces lignes :

« Samir n’est plus. Nous voudrions pouvoir espérer qu’il se trouvera quelqu’un d’assez courageux pour appliquer la loi dans toute sa rigueur à l’encontre de celui qui lui a tiré dans le dos. Nous aimerions croire que ce cas fissurera les moules du mensonge, de la dissimulation et du racisme qui alimentent le cercle de la violence. Nous aimerions savoir que les enfants de Samir seront les derniers à devenir orphelins par la violence de la Sécurité Générale (Shabak), de la police et de l’armée. Mais non. Nous ne nous faisons pas d’illusions. »

A notre grand regret, notre pessimisme n’était pas déplacé.


Note (1)  :

Yalla ! La police des frontières, rentrez-leur dedans !

Quand celui qui est tué s’appelle Samir Dari, c’est la manifestation spontanée de ses amis qui retient l’attention. Le coup de feu et les réactions des internautes reflètent un racisme profond. Et merci au Département d’investigation interne de la Police.

A la fin de la semaine, nous avons appris qu’un habitant de Jérusalem avait été tué par des agents de la police des frontières. Il s’agit d’un jeune père de deux petits enfants, abattu - c’est en tout cas ce qui avait été déclaré - alors qu’il tentait d’écraser un des policiers. Suite à sa mort, ses voisins sont descendus dans la rue, ont manifesté, ont mis le feu à des pneus et ont même incendié une voiture. Les réactions des internautes sur le site de Ynet n’ont pas tardé. 160 d’entre elles se sont accumulées en très peu de temps et quasi unanimement sous le même slogan : « Yalla, la police des frontières, occupez-vous d’eux » (signé : un sioniste) ; « Donner un coup, immédiatement » (un israélien qui a un coup de sang) ; « Sans pitié » ; « Calmez-les et reprenons nos habitudes » ; « Larguer quelques missiles sur les émeutiers. C’est pas la France, ici » ; « A tous les Arabes : ici ce n’est pas l’Europe ».

Il en est ainsi lorsque celui qui est tué s’appelle Samir Rivhi Dari et pas, disons, Haïm Cohen. S’agissant d’un Palestinien, sa mort elle-même ne vaut pas qu’on y réagisse puisque l’événement est perçu comme normal. C’est seulement la manifestation spontanée de ses amis et de ses voisins qui retient l’attention des internautes intervenant sur le site. Des Arabes disent leur colère dans la rue ? Il faut y répondre d’urgence et avec force, et « larguer sur eux quelques missiles ». Aussi bien la mort de Samir que les réactions sur Ynet reflètent quelques-uns des pires maux de la société israélienne. Il s’agit avant tout d’un racisme profond incitant à un comportement violent.

Ce racisme est intimement lié à une inversion des rôles entre victime et agresseur. Il s’agit d’une culture du mensonge automatique et instinctif : on tue un Palestinien et immédiatement, on dit qu’il était violent (voyez le cas des 13 citoyens arabes tués par balles en octobre 2000, ou le jeune Mohammed A-Sa’adi abattu dans sa voiture, à Lod) ; on passe un Palestinien à tabac et on prétend qu’il avait frappé un policier (comme lors des innombrables manifestations qui ont lieu à Bi’lin) ; on l’occupe et on l’opprime, mais ont soutient que c’est lui le coupable. C’est ainsi qu’un agent de la police des frontières a tiré dans le dos de Samir Dari, d’une distance de quelques mètres et tout de suite ce qu’on a prétendu, c’est qu’il avait été abattu alors qu’il tentait d’écraser un policier. Réflexe conditionné.

Mais pour fonctionner efficacement, la culture du mensonge a besoin de l’appui de sa comparse : la culture de la couverture et de la dissimulation. A en juger par l’expérience du passé, le policier qui a tiré sur Samir peut être tranquille. Après tout, le Département d’investigation interne de la police s ?occupe de l’affaire - ce fameux département qui a décidé de ne pas même déposer le moindre acte d’accusation contre ceux qui ont tiré en octobre 2000, de même qu’il n’en a pas déposé contre le policier qui a abattu le jeune homme de Lod, ni contre les policiers qui ont fabriqué en série des témoignages sur Bi’lin. Pour tout ça, il y a le Département d’investigation interne de la police.

La culture du mensonge et de la dissimulation alimente la violence. La leçon apprise - que le Juif est la victime éternelle, peu importe la violence qui est la sienne, et que par conséquent, il est à l’abri de toute investigation et de toute sanction - rend la gâchette facile et fait bon marché de la vie des Palestiniens. Si bien que nous en sommes arrivés à une situation où on peut s’attendre encore à la mort de citoyens palestiniens sous les balles des forces de sécurité israéliennes. La seule inconnue, c’est : qui sera la prochaine victime ? Nous ne pouvions pas savoir, par exemple, qu’un agent de la police des frontières tirerait justement sur notre ami Samir.

Samir était un homme de la nuit. Sa journée commençait l’après-midi, et le soir, il était assis derrière son volant et il dirigeait par téléphone sa société de transports avec une patience infinie. En quatre années de travail en commun, parfois sous tension, nous avons connu un homme fin, modeste, plein de ressources, qui était toujours là pour prêter main forte à son prochain dans les moments difficiles.

Samir n’est plus. Nous voudrions pouvoir espérer qu’il se trouvera quelqu’un d’assez courageux pour appliquer la loi dans toute sa rigueur à l’encontre de celui qui lui a tiré dans le dos. Nous aimerions croire que ce cas fissurera les moules du mensonge, de la dissimulation et du racisme qui alimentent le cercle de la violence. Nous aimerions savoir que les enfants de Samir seront les derniers à devenir orphelins par la violence de la Sécurité Générale (Shabak), de la police et de l’armée. Mais non. Nous ne nous faisons pas d’illusions.

Neve Gordon enseigne les sciences politiques à l’Université Ben Gourion (Israël) et peut être contacté à l’adresse : nevegordon@gmail.com

Yigal Bronner enseigne au département de l’Asie du Sud à l’Université de Chicago, USA et peut être contacté à l’adresse : ybronner@uchicago.edu

Neve Gordon & Yigal Bronner - Dissident Voice, le 14 mai 2007
Traduit de l’anglais par Michel Ghys

Neve Gordon & Yigal Bronner - Ynet (Yediot Aharonot), le 14 novembre 2005
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys


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