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Orlando et Palestine : un deuil sélectif

vendredi 24 juin 2016 - 07h:44

Robert Fantina

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L’assassinat d’une jeune mère de deux enfants enceinte du troisième, et de son jeune frère n’a jamais fait les infos, parce que les victimes étaient palestiniennes, tout en haut de la longue liste de gens que les Etats-Unis considèrent simplement comme moins qu’humains.

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Le petit Ali Saad Dawabsheh, âgé de 18 mois, a été brûlé vif dans sa maison le 30 juillet 2015 par des colons juifs. Ses parents ont succombé tous deux à leurs blessures dans les semaines qui ont suivi - Photo : ActiveStills

Ainsi, les Etats-Unis, capitale mondiale des armes à feu, ont une fois de plus été la scène d’une fusillade, qui a fauché cinquante vies dans un night-club d’Orlando en Floride. C’est indéniablement une terrible tragédie, tragédie qui se traduira par un vain appel du président et de membres du Congrès en faveur de plus de sécurité en matière d’armes à feu. Nous savons tous que cela ne donnera rien, étant donné la puissance de la National Rifle Association (NRA) couplée à la peur d’un Congrès veule. Mais ceci est un autre sujet.

L’auteur ne regarde pas beaucoup la télévision, mais le matin lorsqu’il s’exerce sur un stepper dans la salle de fitness de son quartier, les écrans devant lui diffusent CTV news, qui, il faut le dire, est davantage une source de distraction que d’informations. Par ailleurs, tandis qu’il fait sa revue de presse des sites d’information indépendants sur l’internet, généralement il vérifie ce que CNN, ce bastion de partialité, ce laquais des dieux de l’entreprise, présente comme étant des « informations ».

Comme on pourrait s’y attendre, et à juste titre, l’horreur qui s’est produite en Floride a été rapportée, à savoir l’information qu’un autre cinglé s’est procuré une arme et l’a utilisée pour tuer des dizaines d’innocents. L’étape logique suivante, pourrait-on penser, consiste à chercher le moyen d’empêcher qu’un autre individu mentalement instable ne répète un acte similaire, dans un pays qui réglemente plus sévèrement les ours en peluche que les armes à feu. Le bon sens veut aussi que l’on cherche le mobile. DAESH (alias l’OEI) a en revendiqué la responsabilité, bien qu’il n’y ait, à ce jour, d’après des sites d’information dignes de foi, aucune preuve pour le corroborer.

Donc pendant que le Congrès blablate sur les armes à feu et que le FBI, l’un des nombreux bras de l’appareil terroriste états-unien, cherche un mobile, les soi-disant stations d’information regorgent d’autres nouvelles. On nous parle de la vie personnelle des victimes ; de leur amour pour les membres de leur famille ; de leur dévouement pour les autres ; on nous dit où ils travaillaient et ce que leurs collègues pensaient d’eux. On nous montre l’angoisse des parents et d’autres êtres chers, que la décence élémentaire voudrait qu’on les laisse pleurer les leurs en privé. Nous voyons des « selfies » des victimes récemment mis sur les réseaux sociaux.

L’auteur va citer deux noms, et demander au lecteur de s’interroger sur ce que l’on sait de chacun des deux : Maram Abu Ismail et Ibrahim Taha. Réfléchissez quelques instants. Avez-vous entendu ces noms aux informations ? Savez-vous où ils vivaient, où ils sont morts ? Savez-vous qui est responsable de leur mort ? Avez-vous vu des interviews déchirantes de leurs proches en deuil ?

Malheureusement, ces victimes de meurtres, et l’enfant de Maram qui n’a pas vu le jour, n’ont jamais fait les infos. Maram Abu Ismail, âgée de 24 ans, était une mère des deux enfants enceinte de son troisième ; Ibrahim Taha était son frère de seize ans. Ils furent assassinés à un check point à Ramallah.

Il existe un témoignage oculaire du crime, fourni par Alaa Soboh, chauffeur de bus. Selon lui Mme Ismail et Mr Taha semblaient ne pas bien connaître la procédure de passage au check point et ont vite fait l’objet d’une sommation.

« Dès que les deux franchirent le passage, [les forces israéliennes] se mirent à crier ‘Arrière, faites marche arrière’ et puis se mirent à tirer.

« Ils ont abattu la fille en premier, le garçon a essayé de repartir en arrière, quand ils ont tiré sept balles sur lui. »

Un autre témoin a rapporté que les forces israéliennes ont tiré plus de 15 balles dans le corps de la femme. Et comme si la blessure grave et mortelle ne suffisait pas les soldats/terroristes israéliens n’ont pas laissé les ambulanciers venir en aide à la femme en détresse.

Qu’avons-nous entendu sur ce crime odieux aux informations ? Avons-nous tous vu des interviews du mari en deuil, maintenant seul pour élever ses deux jeunes enfants ? La mère des deux victimes a-t-elle été interviewée, disant en pleurs au cameraman à quel point ses enfants vont lui manquer ? Le président Barak Obama, ainsi que les candidats à la présidentielle Hillary Clinton et Donald Trump ont-ils condamné ce crime, et exigé d’Israël une enquête approfondie, et se sont-ils prononcés solidaires des victimes ?

Non, rien de tout cela n’a eu lieu, parce que les victimes étaient palestiniennes, tout en haut de la longue liste de gens que les États-Unis considèrent simplement comme moins qu’humains.

Le meurtre de Mme Ismail et de M.Taha, a des points communs avec la tuerie d’Orlando ; il est tellement banal qu’il attire à peine l’attention. Entre le 1 octobre 2015 et le 21 février 2016, au moins 180 Palestiniens non-armés, âgés de dix-huit mois à 65 ans, ont été tués par des soldats/terroristes ou colons/terroristes israéliens. Pourtant, même aux États-Unis, des assassinats de masse reçoivent encore une couverture médiatique substantielle. Si, disons, seulement cinq ou six personnes sont tuées, ça ne semble pas mériter de faire les infos, tout comme le massacre quasi journalier d’hommes, femmes et enfants palestiniens non-armés ne recueille pas l’attention des grands médias.

Toutefois, lorsque quatre Israéliens ont été abattus dans un restaurant de Tel Aviv, il y a une semaine, l’événement a fait les gros titres. Toute personne qui réfléchit se demandera probablement pourquoi cela mérite de faire l’info mais pas l’assassinat d’une jeune mère de deux enfants enceinte du troisième, et de son frère adolescent.

Il n’est pas difficile pour le gouvernement de déterminer ce que ses citoyens sauront et quelles seront leurs préoccupations. Les sociétés, dont les moyens leur permettent de faire des contributions financières illimitées aux campagnes des candidats qui seront à leurs ordres, sont propriétaires des organes de presse. Les sionistes occupent une place prépondérante dans les conseils d’administration de ces sociétés. Par conséquent, les morts palestiniens ne font pas l’info, mais les morts israéliens doivent être pleurés partout dans le monde.

Dans la gouvernance états-unienne, il n’y a pas d’autel à la finance qui ne soit si impie que les hommes/femmes politiques et les élus ne se prosternent pas devant lui. Il n’y a pas de dollars même baignés de sang qu’ils n’empocheront pas ; pas de corps si tragiquement poignants, qu’ils ne piétineront pas dans leur quête du dollar, le seul dieu qu’il vénèrent.

Entre 2009 et 2015, les lobbies israéliens ont versé presque 17 millions de dollars aux campagnes de 349 agents gouvernementaux états-uniens. Et les membres du Congrès ne vont pas mordre la main qui les nourrit si généreusement ; au diable l’éthique, la morale et la justice. Voilà pourquoi les principaux candidats se rendent en pèlerinage annuel à la convention de l’AIPAC (Apartheid Israel Political Affairs Committee) à Washington, DC.

L’auteur pleure les victimes d’Orlando, comme il a pleuré celles de Newton, San Bernardino, Virginia Tech, Columbine High School et toutes les autres. Toutefois, il pleure également Mme Ismail, M. Taha, et les dizaines de milliers de victimes tuées par Israël au cours des quelques dernières décennies. Elles ont perdu leur sang de la même façon que les victimes états-uniennes ; elles n’aimaient pas moins leurs enfants, et étaient tout autant aimées de leurs parents. Leur mort est une tragédie pour leurs proches et le monde.

Le nationalisme, cette croyance que son propre pays ou nationalité est en quelque sorte meilleur que n’importe quel autre, est depuis longtemps dopé aux hormones aux États-Unis, depuis la création du concept de « Destinée Manifeste », jusqu’à celui maintes fois répété de nos jours de « l’exceptionnalisme » états-unien. Il s’accompagne de la croyance que le pays supérieur peut décider de qui mérite de vivre et de qui doit mourir. D’innombrables millions de gens sont morts à cause de « l’exceptionnalisme » états-unien, et ce concept mortel, tout comme les carnages qu’il entraîne dans son sillage, ne montre aucun signe de régression.

La farce actuelle de l’élection présidentielle ne fera qu‘aggraver le problème, car le prochain président sera l’un des deux va-t’en en guerre, l’une au bilan avéré de mort et de destruction, et l’autre qui, semble-t-il, est impatient de pouvoir appuyer sur la gâchette. Quel que soit le vainqueur, la nation et le monde ne peuvent qu’être perdants.

* Robert Fantina est écrivain et journaliste, militant pour la paix et la justice sociale. Il vit au Canada et a écrit : Empire, Racism and Genocide : A History of U.S.
Son site web : http://robertfantina.com

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17 juin - Counterpunch - Traduction : Info-Palestine.eu - MJB


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