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Un partitionnement de la Syrie serait une catastrophe pour tout le monde arabe

mercredi 6 avril 2016 - 08h:15

Ramzy Baroud

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Le retrait militaire Russe apparent soudain de Syrie, entamé le 15 mars, a laissé les commentateurs politiques perplexes, mais peu des analyses proposées devraient être prises au sérieux.

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Janvier 2014 - Rebelle dans la ville syrienne de Deir Ezzor. Le Moyen-Orient de l’accord Sykes-Picot est mort et les portes sont largement ouvertes pour de nouvelles fractures - Photo : AFP/Ahmad Aboud

Il y a peu d’informations solides sur pourquoi le dirigeant russe a décidé de sursoir à l’offensive militaire de son pays en Syrie. L’intervention, qui a commencé en septembre dernier, a suffi à changer la direction de la guerre sur beaucoup de fronts.

Cependant, une chose est certaine : le retrait russe est réversible, comme Vladimir Poutine l’a lui-même expliqué. « Si nécessaire, littéralement en l’espace de quelques heures, la Russie peut réinstaller son contingent dans la région dans une ampleur proportionnée à la situation du moment, et employer la totalité de l’arsenal à sa disposition, » a-t-il dit depuis le Kremlin le 17 mars.

En fait, toutes les parties concernées prennent cette menace au sérieux, parce que le brusque retrait n’a pas remplacé l’appétit pour la guerre et ne représente, dans le cadre des entretiens de paix de Genève, aucun avantage pour aucun des partis en conflit.

Il est clair qu’après cinq ans de guerre en Syrie, le conflit entre dans une nouvelle phase. Il n’est pas question d’une solution politique, mais plutôt d’un jeu politique à grande échelle qui pourrait bien diviser le pays en plusieurs entités, sur des bases sectaires.

Si cela se produisait, ce serait de très mauvaise augure, non seulement pour la Syrie mais pour toute la région. La division deviendrait la solution à la mode, qui permettrait de résoudre tous les conflits en cours.

Alors que les motifs à l’origine du retrait russe doivent être encore clarifiés, le lien intrinsèque entre cette initiative et les entretiens actuels - dans lesquels la division de la Syrie dans une fédération a été inscrite à l’ordre du jour - est indubitable.

« Le médiateur de l’ONU, Staffan de Mistura, devrait avoir honte d’avoir mis le ’fédéralisme’ à l’ordre du jour des entretiens de cette semaine pour mettre un terme à la guerre en Syrie et façonner à une ’nouvelle’ Syrie, » a écrit Michael Jensen dans le Jordan Times. « Moscou, ainsi que quelques pouvoirs occidentaux, devraient également être vivement critiqués pour avoir imaginé une telle possibilité. »

En fait, le modèle n’est pas entièrement le fait des Russes. Ces derniers sont parvenus à rééquilibrer le conflit en faveur du gouvernement de Bashar Al-Assad, mais les divers autres partis, occidentaux et arabes, en plus de la Turquie et de l’Iran, sont également parvenus à orienter le conflit dans une impasse virtuelle. Sans une forte bonne volonté, et avec si peu de confiance entre les partis rivaux, la division du pays passera du stade de la possibilité à une vraie probabilité.

En soi, ce n’était pas vraiment une surprise. Alors que le retrait russe prenait effet, et peu de temps après la reprise des discussions à Genève, la zone contrôlée au nord par les Kurdes s’est auto-déclarée une région autonome dans le cadre d’une future fédération.

Naturellement, cette initiative est anticonstitutionnelle, mais la violente désorganisation qui règne en Syrie est devenu l’occasion parfaite pour différents groupes, pour traiter différentes questions sans en référer à quiconque. Après tout, Daesh s’est taillé par une extrême violence un État pour lui-même, et a façonné une économie, des ministères et même de nouveaux manuels scolaires.

Cependant, l’initiative du du PYD (Partiya Yekîtiya Demokrat ou Union Démocratique Kurde) syrien est, en fait, plus lourd de conséquences. Daesh est un groupe de parias qui n’est reconnu par aucun des protagonistes en conflit, alors que le PYD, qui est une ramification du PKK (Partiya Karkerên Kurdistan ou Parti des Travailleurs du Kurdistan), bénéficie de beaucoup de sympathie et d’appui, de la part des États-Unis comme de la Russie.

Le groupe a à son crédit d’avoir avec détermination combattu Daesh, et il s’attend à des dividendes politiques pour le rôle qu’il a endossé. Il n’était cependant pas invité aux entretiens de Genève.

Bien que la déclaration sur le fédéralisme ait été interprétée comme une sorte de dessous de table, ou compensation, pour avoir été exclu de ces entretiens, il est peu probable que le PYD ait pris sa décision sans un appui tacite de ses principaux bienfaiteurs, qui avaient émis l’idée d’une fédération depuis des mois.

Pour exemple, l’idée du fédéralisme a été énoncée par Michael O’Hanlon de l’Institut Brookings dans un document de l’agence Reuters, en octobre dernier. Il demandait que les États-Unis trouvent « un but commun avec la Russie », avec à l’esprit le « modèle de la Bosnie ».

Plus récemment, lors d’une parution devant un comité du Sénat américain pour discuter du cessez-le-feu en Syrie, le Secrétaire d’État John Kerry a indiqué que son pays préparait un « Plan B » si le cessez-le-feu échouait. Il sera peut-être « trop tard pour garder la Syrie dans son intégralité, si nous attendons encore plus longtemps, » a-t-il dit.

La participation russe à la guerre peut avoir changé le conflit sur le terrain, mais elle a cimenté également le modèle de l’éclatement. Les récents commentaires du Ministre adjoint russe des affaires étrangères, Sergei Ryabkov, selon lesquels un modèle fédéral pour la Syrie « fonctionnera en préservant une nation unie, laïque, indépendante et souveraine, » étaient le pendant russe des remarques faites par Kerry.

Vu l’équilibre actuel des forces en Syrie et dans la région dans son ensemble, cela risquerait par la suite de devenir la solution ad-hoc pour un pays déchiré par la guerre et épuisé par des tueries sans fin.

Le Qatar et d’autres pays du Golfe ont déjà rejeté l’idée du fédéralisme, bien que si l’on considére les derniers gains territoriaux du gouvernement syrien, leur rejet ne pourrait pas être un facteur déterminant.

La Turquie trouve également que le fédéralisme est problématique parce qu’il permettra à ses ennemis de longue date, les Kurdes, de disposer de leur propre région autonome. L’annonce du PYD était au mieux un ballon d’essai, ou pire, une première étape vers la division de la totalité de la Syrie.

Considérant combien effroyable a été la guerre en Syrie toutes ces années, le fédéralisme pourrait bien ne pas sembler une si terrible éventualité, et pourtant elle l’est. Historiquement, les pays arabes sont les produits des interventions occidentales et étrangères qui ont divisé la région dans le sens de leurs intérêts stratégiques et à leur convenance.

La mentalité du « diviser pour régner » n’a jamais disparu, et elle a même été renforcée sous l’occupation américaine de l’Irak.

« Le ’fédéralisme’ dans le cadre de cette région est un autre mot pour la division et la séparation, » poursuit Jensen. « C’est un mot de malédiction et un concept de malédiction pour des pays où les communautés sectaires et ethniques ont été plantées pendant des siècles dans des corps étatiques, comme des raisins secs dans un gâteau de Noël. »

La région arabe a été divisée en 1916, comme une solution aux intérêts opposés de la Grande-Bretagne, de la France et, dans une moindre mesure, de la Russie. La « fédération » proposée en Syrie suit la même logique.

Si cette boîte de Pandore est ouverte, elle est susceptible d’être inscrite à l’ordre du jour de futurs entretiens de paix dans d’autres endroits, avec par exemple les Libyens et les Yéménites qui pourraient se trouver confrontés à la même éventualité. Chacun de ces deux pays était divisé à un certain moment dans le passé, et la division n’est donc pas une notion entièrement invraisemblable.

Il est important que la division des Arabes ne devienne pas le modus operandi dans la gestion des conflits et des ressources de la région. Le fédéralisme minerait non seulement l’identité de la nation syrienne, mais sèmerait également les graines d’autres conflits entre des communautés antagonistes en Syrie et à travers le Moyen-Orient dans son ensemble.

Seule une Syrie unie peut offrir un espoir pour l’avenir. Aucune autre voie ne le permettra.

* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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22 mars 2016 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/f...
Traduction : Info-Palestine.eu - Lotfallah


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