Colère contre le projet israélien de construction d’une ville sur un village musulman historique
jeudi 21 janvier 2016 - 04h:37
Jonathan Cook
Un projet du gouvernement israélien de construire des centaines de maisons pour la population druze du pays fait face à une vive opposition depuis qu’il a été révélé que la nouvelle communauté se situerait sur les terres de réfugiés palestiniens.
- La mosquée de Hattin est laissée à l’abandon - Photo : MEE/Jonathan Cook
Cette ville, qui doit être construite à l’ouest de la mer de Galilée, dans le nord d’Israël, serait la première nouvelle communauté pour les membres de la minorité palestinienne d’Israël depuis la fondation de l’État il y a 68 ans.
Les citoyens palestiniens constituent un cinquième de la population du pays, soit 1,6 million de personnes.
Les dirigeants de la minorité palestinienne ont exprimé leur indignation par rapport au site choisi par les responsables. Sur celui-ci se trouvaient deux villages palestiniens jusqu’à leur destruction après la guerre de 1948 qui a abouti à la création d’Israël.
Des documents d’archives montrent que l’armée israélienne a rasé plus de 500 villages palestiniens après la guerre pour s’assurer que leurs habitants ne reviennent pas.
« La décision de construire une ville druze sur ces villages détruits a été prise afin de semer la discorde dans les relations entre les druzes et les autres membres de la minorité palestinienne », a déclaré Samer Swaid, un activiste politique druze, à Middle East Eye.
« Israël ne fait que renforcer ses politiques visant à diviser pour régner sur nous. »
Le choix de l’emplacement est particulièrement sensible parce que l’un des villages détruits, Hattin, revêt une grande importance historique et symbolique pour les musulmans palestiniens.
Le village a été créé sur les ordres de Saladin pour commémorer sa victoire dans une bataille célèbre contre les Croisés en 1187. La défaite des Croisés, aux Cornes de Hattin, a conduit à leur exode de Terre Sainte.
Après 1948, Israël a rasé l’ensemble de Hattin hormis son ancienne mosquée.
« Déconnectée de la réalité »
Le cheikh Muwaffik Tarif, chef spirituel des druzes en Israël, aurait été « surpris » par ce projet, selon les propos de sources proches de lui au quotidien israélien Haaretz.
Un ancien ministre du gouvernement druze, Salah Tarif, y est également opposé, confiant au journal que l’idée était « déconnectée de la réalité ». Il a ajouté qu’il s’agissait d’« un pansement destiné à masquer le vrai problème : l’état des villes [druzes] existantes ».
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a annoncé ce projet de ville la semaine dernière dans le cadre d’une « vaste activité » pour promouvoir la population druze. Cette ville « faciliterait la réduction des écarts [économiques] entre les villes druzes et d’autres villes en Israël », a indiqué son bureau.
Environ 400 maisons doivent être construites pour commencer, mais la ville devrait compter au final 2 500 maisons.
Israël compte 115 000 citoyens druzes à l’intérieur de ses frontières reconnues et 25 000 dans le Golan, territoire syrien occupé par Israël en 1967 et annexé plus tard, en violation du droit international.
Les druzes sont une secte religieuse secrète, une ramification de l’islam, qui a émergé en Égypte au XIe siècle. Aujourd’hui, la plupart des communautés druzes sont situées dans les zones montagneuses du Liban, de la Syrie et de ce qui est aujourd’hui le nord d’Israël.
Contrairement à d’autres citoyens palestiniens et aux druzes du Golan, la communauté druze en Israël est tenue de servir pendant trois ans dans l’armée israélienne.
En retour, les druzes ont reçu le statut de groupe national distinct. Israël classe les autres citoyens palestiniens simplement comme « Arabes ».
Ainsi, les druzes ont droit à un système d’écoles séparées, dotées de leur propre programme. Traditionnellement, le principal avantage du service militaire pour les druzes est l’accès aux emplois liés à la sécurité après leur service, y compris dans la police et en tant que gardiens de prison.
Terres confisquées
Cependant, les critiques, y compris au sein des druzes, affirment que la communauté souffre de la même discrimination dans l’attribution des terres et des budgets que les autres citoyens palestiniens, voire pire.
« En tant que communauté, les druzes n’ont pas bénéficié du service militaire », a déclaré Hana Swaid, un ancien membre du parlement israélien qui dirige aujourd’hui l’Arab Center for Alternative Planning. « Au contraire, leur loyauté et leur respect envers les dirigeants israéliens ont été exploités à leur détriment. »
Swaid a expliqué à MEE qu’une recherche menée par son centre a montré que les trois quarts des terres druzes avaient été confisquées et beaucoup de leurs quatorze villes et villages existants en Israël n’avaient pas de plans directeurs, ce qui rend impossible tout nouveau développement.
« Beaucoup de familles druzes n’arrivent pas à obtenir de permis de construire pour leurs maisons, ce qui signifie que celles-ci peuvent être démolies ou qu’elles ne peuvent pas être raccordées légalement aux services de base comme l’eau et l’électricité », a-t-il continué.
Swaid a fait remarquer que, après les confiscations de terres de la minorité palestinienne, l’État israélien avait nationalisé 93 % du territoire israélien, en réservant la plus grande partie pour la population juive. Seuls 3 % ont été laissés aux mains de la minorité palestinienne, ce qui entraîne une forte surpopulation et des constructions sans permis.
« Sur ces 3 %, seul environ un cinquième des terrains peuvent être développés. Voilà pourquoi les communautés palestiniennes suffoquent. »
Cette semaine, les médias israéliens ont rapporté que le bureau de Netanyahou renforçait la mise en œuvre des démolitions de maisons dans un mouvement dont on craint qu’il ciblera 50 000 maisons palestiniennes sans permis en Israël.
Près de Tibériade
Le Conseil national de planification aurait pensé à dix endroits différents pour la ville druze avant de se fixer sur la zone de la mer de Galilée.
Netanyahou a déclaré que la proximité de la nouvelle ville avec la ville de Tibériade et les principales autoroutes permettrait de « faire avancer la population druze économiquement et socialement ».
Samer Swaid, qui n’a pas de lien avec Hana Swaid, affirme que la plupart des druzes ont rejeté une ville construite sur un terrain appartenant aux réfugiés et voulaient que leurs terres confisquées leur soient rendues afin qu’ils puissent élargir les communautés existantes.
« Il y a, par exemple, beaucoup de terres confisquées près de Daliyat et Isifiya [deux villages druzes au sud de Haïfa] qui pourraient nous être rendues afin que nous puissions construire là-bas. »
Swaid, un haut responsable du comité d’initiative druze, lequel rejette le service militaire pour les druzes, a noté que des centaines de manifestants druzes de Daliyat avaient affronté violemment la police en 2010 lorsque le gouvernement avait confisqué davantage de terres pour installer un pipeline de gaz entre le centre du pays et Haïfa.
« Le gouvernement trouve toujours des terres druzes disponibles pour ses propres projets, mais pas lorsque nous avons besoin de nous développer. »
Un communiqué de presse du bureau de Netanyahou a affirmé que les quatorze communautés existantes ne pourraient pas être développées davantage parce qu’elles étaient situées sur un terrain accidenté ou à côté de réserves naturelles.
Hana Swaid a précisé que ce n’était « que des prétextes » pour ne rien faire. « Israël a construit de nombreuses colonies juives sur les terres rurales confisquées aux villages druzes. Il semble que ces restrictions ne s’appliquent que lorsque les druzes veulent construire. »
Violations des droits des réfugiés
Une loi de planification de 1965 reconnaît environ 120 collectivités comme étant « arabes ». Il est presque impossible pour la plupart des citoyens palestiniens de vivre en dehors de ces communautés ou d’une poignée de villes où existent des quartiers palestiniens.
Mais alors qu’Israël a construit des centaines de communautés rurales exclusivement pour les citoyens juifs depuis la création d’Israël il y a 68 ans, Hana Swaid a souligné qu’aucune nouvelle communauté pour les Palestiniens n’avait été établie.
La décision de construire la ville druze a été approuvée par le gouvernement de Netanyahou fin 2012, mais l’emplacement – sur les deux villages détruits de Hattin et Nimrin – n’a été révélé que ce mois-ci.
Suhad Bishara, un avocat spécialisé dans les questions foncières pour Adalah, un centre juridique pour les citoyens palestiniens, a indiqué à MEE que le développement de la nouvelle ville violerait les droits fonciers des réfugiés, lesquels sont garantis par le droit international.
Dans le cadre des obligations internationales d’Israël, signale-t-elle, la terre des réfugiés était censée être détenue en fiducie par un fonctionnaire, connu sous le nom de dépositaire, jusqu’à ce que la question des réfugiés ait été réglée.
« Construire sur ce terrain signifie qu’il ne pourra être restitué aux réfugiés à l’avenir », a-t-elle poursuivi. « Cela complique tout futur accord de paix. »
« Absents présents »
En plus des millions de réfugiés palestiniens et de leurs descendants vivant à l’extérieur des frontières d’Israël, un Palestinien sur quatre vivant au sein d’Israël serait un réfugié. Les personnes déplacées sont officiellement classées comme « absents présents » – présents en Israël, mais absents de leurs maisons.
En 1948, tous les habitants du petit village de Nimrin ont été forcés de traverser les frontières d’Israël. Toutefois, certaines des familles de Hattin ont réussi à rester à proximité de leur village.
Makbula Nassar, journaliste palestinienne dont la famille maternelle était de Hattin, a déclaré que les réfugiés internes vivaient à proximité dans des collectivités comme Eilaboun, Nazareth et Deir Hana.
« Ils se battent activement pour avoir accès à leurs terres et surtout à la mosquée depuis les années 1980 », a-t-elle rapporté. « Les autorités ont immédiatement déclaré la mosquée comme hors-limites et site antique. »
La mosquée, qui a été construite sur les ordres de Saladin, est clôturée depuis 2000. « Si la mosquée est une antiquité, alors pourquoi l’État la laisse tomber en ruine ? Personne ne s’en occupe. »
Des groupes juifs se sont également opposés à la décision de construire une ville. Le mois dernier, une manifestation a été organisée devant la résidence de Netanyahou à Jérusalem par une société historique qui recrée la bataille de Hattin, ainsi que par des archéologues et des membres des communautés juives voisines.
Ils font valoir que, compte tenu de l’importance historique de la région, Israël doit pousser les Nations unies à la déclarer site du patrimoine mondial et à en interdire le développement.
Site de pèlerinage
Malgré l’opposition de nombreux dirigeants druzes, des responsables gouvernementaux ont mis en évidence le soutien d’Ayoub Kara, un membre druze belliciste du Likoud de Netanyahou et sous-ministre pour le développement des druzes.
« Ces terres appartiennent à l’État », a récemment écrit Kara dans le journal Makor Rishon. « L’endroit ne dérange personne. Il est désolé. »
Un porte-parole du bureau de Netanyahou a refusé de réagir aux critiques.
Raneen Geries, militante de Zochrot, une organisation juive-palestinienne cherchant à éduquer les juifs israéliens sur la Nakba, la dépossession des Palestiniens par Israël en 1948, a dit croire que le gouvernement espérait gagner un soutien druze plus large en exploitant leur attachement religieux à la zone.
La nouvelle ville sera située à côté d’un ancien sanctuaire de Jéthro, le beau-père de Moïse et le plus important prophète des druzes. En arabe, il est connu comme Nabi Shu’ayb. Le sanctuaire a longtemps été un important site de pèlerinage druze.
Au cours des dernières années, Israël a massivement développé le site, construisant une grande route vers le sanctuaire et un grand parking, endommageant davantage les restes de Hattin et empiétant sur sa mosquée rescapée.
Nassar, qui siège au conseil d’ADRID, une organisation palestinienne de défense des droits des réfugiés internes, a déclaré que dans le passé, on avait craint que mettre en évidence les problèmes de Hattin attiserait le conflit avec les chefs religieux druzes.
« Ce point de vue me paraît faux. Pendant des siècles, musulmans, chrétiens et druzes ont partagé la terre. Il est maintenant temps de faire alliance avec les druzes pour soutenir la cause de Hattin et Nimrin. »
* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Son site internet
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15 janvier 2015 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : MEE - VECTranslation