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En 2015, l’ordre ancien a été mis sens dessus dessous

jeudi 31 décembre 2015 - 08h:52

Abdel Bari Atwan

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Tout au long de l’année 2015, Daech a démontré de façon éloquente qu’il ne constitue plus simplement une menace d’ordre régional, mais d’ordre mondial.

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En Irak, la ville de Ramadi a été détruite à 80 % dans les combats entre l’armée de Bagdad et les troupes de l’Etat islamique

L’année écoulée a apporté des bouleversements sans précédent dans la région MENA, en grande partie liés, d’une manière ou d’une autre, à la montée tonitruante de Daech, autoproclamé « État islamique en Irak et au Levant », qui n’a annoncé sa présence que l’été dernier et qui a effectivement déclaré la guerre au monde entier.

L’ordre ancien a été mis sens dessus dessous alors que des ennemis se sont alliés pour combattre ce nouveau venu singulièrement brutal.

Tout au long de l’année 2015, Daech a démontré de façon éloquente qu’il ne constitue plus simplement une menace d’ordre régional. L’année a commencé et s’est terminée avec des massacres à Paris, tandis que des groupes ou individus alignés avec Daech ont également revendiqué le massacre de touristes pour la plupart britanniques sur une plage de Sousse (Tunisie), des attaques à la bombe en Arabie saoudite, au Yémen, en Afghanistan, au Liban et en Turquie, l’attentat contre un avion russe dans le Sinaï (Égypte) ou encore la récente fusillade en Californie (États-Unis). En tout, Daech a tué près de 1 000 personnes dans des attaques en dehors de la Syrie et de l’Irak.

Au début de l’année 2015, la principale préoccupation régionale de l’Occident était l’éviction du président Bachar al-Assad. À la fin de l’année écoulée, toutefois, le consensus difficile à accepter semble être que, la défaite de Daech étant désormais prioritaire, le régime syrien et son armée feront probablement partie de la solution. Ce n’est pas le seul changement de cap que la crise de Daech a produit.

Le sectarisme alimente l’idéologie de Daech et se trouve au cœur des conflits qui sévissent actuellement au Moyen-Orient. L’alignement initial des puissances étrangères de chaque côté de la fracture entre chiites et sunnites a vu Washington se ranger fermement derrière le bloc sunnite, tandis que la Russie et l’Iran ont soutenu l’« autre camp », c’est-à-dire le régime d’al-Assad en Syrie et les militants houthis au Yémen.

Tout au long de l’année 2015, cependant, les décideurs en matière de politique étrangère à Washington ont répondu à l’évolution rapide de la situation sur le terrain par des volte-faces spectaculaires. Comprenant qu’aucune solution au problème syrien (qui devient de plus en plus synonyme d’un « problème Daech ») n’est possible sans la participation de l’Iran, la Maison Blanche a arrêté de battre le tambour de guerre pour négocier un accord de limitation nucléaire avec Téhéran, lever les sanctions et saluer prudemment le retour de la République islamique dans la communauté internationale en octobre.

Pendant ce temps, le président russe Vladimir Poutine a pris l’initiative diplomatique et a commencé à façonner une réponse concertée et internationale à la menace Daech en Syrie, comprenant le maintien d’al-Assad au pouvoir, ne serait-ce que temporairement au cours d’une période de « transition ». Les anciens rivaux de Moscou (dont les États-Unis et le Royaume-Uni) se sont apparemment alignés et le plan initié par Poutine est le principal moteur du « processus de Vienne », qui a débuté en octobre et qui a vu l’Iran se présenter à la table des négociations pour la première fois, devant l’insistance de Poutine.

Moscou a commencé ses propres frappes aériennes en Syrie fin septembre, dont beaucoup ciblent les rebelles plutôt que Daech. Actuellement, quatorze nations bombardent la Syrie et l’Irak depuis les airs, mais la plupart des experts conviennent qu’il faudra une guerre terrestre pour vaincre les extrémistes.

Les efforts visant à former un groupe de combat d’élite à partir de l’armée irakienne pour un coût de 2 millions de dollars par soldat ont été un échec total : seulement cinq d’entre eux sont allés sur le champ de bataille et se sont immédiatement rendus. À ce jour, les combattants les plus efficaces sur le terrain, opérant en coopération avec le Pentagone, sont les marxistes kurdes du PKK et leur filiale syrienne, les YPG, ce qui constitue une nouvelle volte-face impressionnante, étant donné que le PKK figure toujours sur la liste américaine des « entités terroristes » et a mené une insurrection contre la Turquie qui a coûté la vie à 40 000 personnes en 30 ans.

Un bastion littoral

Pendant ce temps, Daech a répondu aux défis militaires en éloignant une partie importante de son leadership et de ses brigades du danger immédiat. Raqqa et Mossoul faisant l’objet d’attaques soutenues, Daech s’est lui-même taillé un nouveau bastion littoral en Libye. Paradoxalement, en faisant pression sur le groupe en Irak et en Syrie, l’Occident a rapproché le danger de ses propres côtes en le déplaçant de l’autre côté de la Méditerranée.

Comme en Irak, où plusieurs dirigeants de Daech sont d’anciens commandants des brigades d’élite de Saddam Hussein, des hommes qui ont perfectionné leurs techniques de combat sous Mouammar Kadhafi sont désireux d’offrir leurs services et leur savoir-faire aux extrémistes en Libye.

Daech continue de se développer à travers les allégeances et compte désormais au moins 42 autres organisations extrémistes sous son égide. Tout comme il a adopté une stratégie du « nénuphar » pour créer des pans contigus de territoire sous son contrôle en Irak et en Syrie, le groupe semble adopter une approche similaire aux quatre coins du monde musulman, de la Malaisie (où le groupe Abou Sayyaf a fait allégeance à Daech) au Nigéria (où Boko Haram se targue d’appartenir au « califat » du chef de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi).

En outre, le groupe comprend actuellement au moins 30 000 combattants étrangers issus de plus de 86 pays et les contrecoups constituent une préoccupation majeure. La plupart des auteurs des attentats terroristes perpétrés et avortés cette année en Occident avaient passé du temps en Syrie.

J’ai sous-titré mon livre « The Digital Caliphate » (« Le califat numérique ») en raison de la manipulation sophistiquée et soutenue des technologies et des réseaux sociaux à laquelle le groupe procède pour maintenir ses activités horribles à la vue du public, pour recruter, pour informer et pour inciter.

Tout comme les acteurs non étatiques se sont montrés les plus efficaces pour faire face à Daech sur le terrain, les groupes de guérilla tels que le collectif de hackers des Anonymous s’attaquent aux extrémistes dans les confins du « dark web » et les services de renseignement occidentaux recrutent activement des hackers pour opérer sur le champ de bataille numérique.

Daech est le groupe terroriste le plus riche de l’histoire, en grande partie en raison du pétrole qu’il a pillé. La coalition a tenté d’endiguer une partie de son flux de revenus en bombardant des installations pétrolières et des transporteurs ; Daech a riposté en saisissant encore plus de pétrole en Libye.

À la mi-décembre, les États-Unis et la Russie ont proposé une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies demandant aux nations membres de « prendre des mesures plus affirmées afin d’interrompre le financement de [Daech] ». Étant donné que les pays où Daech a le plus de succès ne disposent pas de gouvernement central ou de service de sécurité nationale efficace et sont gangrenés par la criminalité et la corruption, cette résolution semble pour le moins optimiste.

Au fil du temps, il devient de plus en plus évident que le programme de Daech est bien conçu et planifié. Sa stratégie comporte trois volets : un volet militaire, un volet économique (les coûts énormes liés à la guerre ont dans l’Histoire causé la chute de nombreux empires) et un volet psychologique. La violence extrême et crue du groupe a permis d’affaiblir ses ennemis par la peur ; aujourd’hui, certains avancent que le groupe fomente délibérément une islamophobie débridée qui menace le tissu des sociétés occidentales, créée par plusieurs générations de diversité.

Que peut-on donc faire ? La première étape vers la défaite de Daech serait de combler les vides en matière de sécurité qui lui ont permis de prospérer ; actuellement, la communauté internationale cherche activement à négocier la formation de gouvernements d’unité nationale en Syrie et en Libye. Ce n’est pas sans ironie que l’ingérence occidentale a provoqué l’effondrement de deux des régimes les plus puissants (bien qu’autocratiques et oppressifs) de la région, à savoir l’Irak et la Libye.

Il est possible de voir des luttes intestines causer l’implosion du groupe ou de le voir s’engager dans une guerre totale avec son plus proche rival, al-Qaïda ; toutefois, je pense que cela est peu probable, étant donné que Daech a désormais tellement à perdre et peut se révéler plus pragmatique que nous puissions l’imaginer.

Le scénario catastrophe, qui n’est pas tout à fait invraisemblable, serait que les poids lourds extrémistes que sont Daech, al-Qaïda et même les talibans, mettent leurs différences de côté et unissent leurs forces dans leur tentative de rétablissement du califat.

Ce dont nous pouvons être sûrs, c’est que 2016 sera probablement aussi mouvementé que 2015, dans la mesure où le problème Daech ne sera pas résolu facilement, ni rapidement.

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* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai Alyoum :. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération.Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

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20 décembre 2015 - Raï al-Yaoum - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.raialyoum.com/?p=362429
Traduction : Info-Palestine.eu - Valentin B.


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