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Rencontre avec Mohammad Mouna, journaliste et ex-prisonnier

jeudi 10 décembre 2015 - 11h:22

Elsa Grigaut

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Mohammad Mouna est journaliste correspondant de l’agence Mohammad Mouna, journaliste correspondant de l’agence Quds Press International News Agency

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Mohammad Mouna

« Je suis né à Naplouse en 1982. Si l’on met bout à bout toutes mes périodes d’incarcération, j’ai passé six ans dans les prisons israéliennes.

Toutes mes arrestations se sont déroulées de la même façon : des dizaines de soldats entouraient ma maison, lançaient des bombes sonores puis s’introduisaient chez moi au beau milieu de la nuit.

J’ai été arrêté cinq fois. Je suis passé par une dizaine de centres d’interrogatoire et de prisons israéliens.

Lors de ma première arrestation, un responsable militaire israélien m’a fait la mauvaise promesse d’être toujours présent à chaque étape importante de ma vie. Il a tenu parole.

En 2007, l’armée est venue m’arrêter dix jours avant ma remise de diplôme. Quelques années après, les Israéliens sont revenu me chercher vingt jours avant mon mariage, puis en 2012 dix-sept jours après la naissance de mon fils.

Une autre fois, c’était avant l’anniversaire de mariage, mon anniversaire et l’aïd. Le responsable m’a dit : « félicitations pour tout ça, tu viens avec nous ! ».

Il y a une fois où ils ont tout cassé dans la maison, ils ont également pris mon ordinateur et mon téléphone portable et m’ont empêché de prendre des vêtements et de saluer ma famille avant de partir. J’ai récupéré mes affaires neuf mois après mon arrestation.

En 2003, j’ai été détenu dans la prison secrète israélienne appelé « L’établissement 1391 » (1). C’est un endroit où les conditions de détention sont particulièrement difficiles. La Croix-Rouge, les avocats, les familles ne peuvent pas y entrer.

Pendant l’interrogatoire, il n’y a aucun soin apporté au détenu. La nourriture est exécrable.

Les cellules d’isolement y sont particulièrement étroites et sales. La lumière est rouge ou orange, très agressive, constamment allumée, les murs sont gris, il n’y a pas de fenêtre. Les toilettes sont une espèce de boîte en plastique, l’administration pénitentiaire israélienne attache les détenus palestiniens pendant des heures sur de minuscules tabourets, les privent de sommeil, les obligent à écouter une musique extrêmement forte.

Lorsque les gardiens m’ont transféré de la cellule d’isolement à la cellule collective, j’avais les yeux bandés, un sac en toile de jute sur la tête, les pieds et les mains liés. Ils jouaient au football et je devais avancer devant moi, j’ai chuté plusieurs fois à cause de leur ballon.

Les modes de détention, les punitions infligées varient en fonction de chaque prisonnier, je parle de mon expérience.

Je crois que la prison qui m’a semblait le plus difficile, c’est celle d’Askalan car la plupart des détenus ont écopé de la perpétuité et les mesures de « sécurité » y sont plus sévères. Quand j’étais là-bas, je voyais ma famille une fois tous les quatre mois.

Il y a une chose particulièrement difficile pour les détenus palestiniens, c’est le transfert d’une prison à une autre.

Régulièrement, les Israéliens déportent les Palestiniens d’un établissement pénitentiaire à un autre, ou au tribunal, d’un centre d’interrogatoire à une prison.

Les bus utilisés à cet effet sont blindés, les sièges sont en fer, les prisonniers ont les pieds et les mains liés. Le voyage peut être très long car le véhicule suit un circuit. Un détenu peut passer une semaine dans le bus si sa destination finale est le dernier arrêt. Il passe la nuit dans différents centres pénitentiaires et reprend la route tous les jours.

Ma dernière détention était administrative (2), elle a duré 20 mois, j’ai retrouvé la liberté le 2 avril 2014.

Le principe de la détention administrative c’est que la personne ne connaît la raison de sa détention mais le juge m’a accusé « de faire du terrorisme à travers mes mots ».
Je suis journaliste, c’est mon droit et mon devoir d’informer les gens sur la situation. Israël prétend être démocratique, il doit donc respecter cela.

Lors de ma dernière incarcération, en avril 2014, moi et mes codétenus avons fait une grève de la faim de 63 jours. Nous voulions mettre fin à la détention administrative.

Pour nous faire céder, l’administration pénitentiaire israélienne a d’abord séparé les prisonniers en petits groupes. Puis, nous avons été transférés dans des prisons avec des prisonniers israéliens de droit commun.

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Juin 2014 - Rassemblement de familles de prisonniers devant l’immeuble de la Croix-Rouge à Jérusalem - Photo : AFP

Le traitement entre eux et nous était très différent. Les prisonniers israéliens avaient le droit à la télévision, à de la nourriture correcte, au téléphone.

Pour nous faire craquer il arrivait que les gardiens de prison fassent des barbecues et utilisent un ventilateur pour diffuser l’odeur de nourriture dans nos cellules. Ils multipliaient aussi les fouilles des cellules, nous enfermaient dans des cages en fer pendant des heures avec les pieds et les mains attachés.

Moi et cinq autres personnes nous sommes tombés malades, nous avons attrapé un parasite à l’estomac tant notre cellule était insalubre.

La loi israélienne prévoit qu’après 34 jours de grève de la faim les prisonniers doivent être transférés à l’hôpital.

Nous avons donc été hospitalisés. Puis, nous avons décidé de suspendre notre action au bout de 63 jours.

Il faut savoir que la grève de la faim arrive quand on n’a pas d’autre solution. C’est le dernier choix qu’on ait.

Israël n’a rien d’un état démocratique. Le monde entier doit prendre conscience de cela, ainsi que de la grande souffrance des prisonniers et du peuple palestinien. »

Notes :

1 : L’Établissement 1391, renommé par un média israélien de « Guantanamo d’Israël » ne figure sur aucune carte et a été effacé des photographies aériennes.

2 : Détention administrative : cette procédure judiciaire est utilisée par les Israéliens afin de détenir des Palestiniens sans motif ni jugement pendant une durée indéterminée. Les raisons de ces incarcérations ne sont jamais révélées au prisonnier ou à son entourage et bien évidemment, aucun avocat ne peut avoir accès au dossier du détenu. Au début de ce type d’incarcération, les administrations pénitentiaires israéliennes font savoir au « détenu administratif » qu’il est enfermé pour une durée de trois mois.
A la fin de cette période, l’ordonnance peut être renouvelée pour une durée identique et ce, à l’infini. La détention administrative est une forme de torture psychologique utilisée dans le but de briser l’individu et de lui ôter l’esprit de résistance. Cette procédure est héritée du mandat britannique en Palestine avant 1948 et permet d’emprisonner des années sans procès toute personne.
Le traitement des « détenus administratifs » contrevient non seulement aux droits de l’Homme internationaux mais aussi aux dispositions de la quatrième convention de Genève. Sont violés : le droit de se défendre, le droit à être entendu publiquement et équitablement, le droit de faire appel, d’examiner les témoignages et la présomption d’innocence.
De plus, le droit humanitaire interdit le transfert de civils de territoires occupés vers le territoire de l’Etat occupant. Le droit international interdit la détention administrative car elle est arbitraire. Elle bafoue la quatrième convention de Genève, visant à protéger les civils des territoires occupés et interdisant la détention arbitraire comme moyen de contrôle sur une population.

* Elsa Grigaut, journaliste indépendante, a écrit plusieurs livres concernant la Palestine. « Femmes de Naplouse emprisonnées en Israël » (2011), « Vivre sous l’occupation » (2012), « Palestiniennes ! » (2013) et « Réfugiés » (2014).
Email : lille-naplouse@laposte.net

De la même auteure :

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Décembre 2015 - Propos recueillis par Elsa Grigaut


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