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Le projet de destruction d’al-Aqsa n’a rien d’une théorie du complot

jeudi 12 novembre 2015 - 09h:16

Ilan Pappe

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Les groupes réclamant la destruction du site de la mosquée al-Aqsa font partie des pouvoirs établis en Israël.

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Les groupes appelant à la destruction de l’enceinte de la mosquée al-Aqsa font partie de l’establishment politique d’Israël - Photo : ActiveStills/Oren Ziv

« Il est inutile, » affirme le colonisateur dans le pamphlet classique d’Albert Memmi, The Colonizer and the Colonized ,[ Portrait du colonisé, précédé du portrait du colonisateur, ] « d’essayer de prévoir les actes du colonisé (‘ ils sont imprévisibles ! ‘Avec eux, vous ne pouvez jamais savoir !). Il semble au colonisateur « que des impulsions étranges et inquiétantes s’emparent du colonisé. »

La seule raison qu’ont pu apporter officiellement Israël et ses partisans pour expliquer le soulèvement récent des Palestiniens, c’est qu’ils ont été influencés par la propagande islamique. Cette propagande, selon les services de communication/manipulation israéliens, n’a eu ces dernières semaines aucun mal à inciter les Palestiniens « impulsifs et imprévisibles » à réagir.

De manière générale, les commentateurs occidentaux sont plus enclins à replacer la résistance dans le contexte plus large de l’oppression subie par les Palestiniens.

Pourtant cette approche occidentale formulée principalement par des universitaires et des journalistes progressistes a en commun avec l’approche israélienne de considérer comme sans fondement et hors de propos les allégations selon lesquelles Israël a l’intention de démolir la mosquée al-Aqsa à Jérusalem ou de construire un « Troisième temple » sur Haram al-Sharif, esplanade des mosquées. Ces allégations ne sont citées dans les médias occidentaux que comme pur prétexte n’ayant qu’accessoirement motivé le soulèvement des Palestiniens.

On ne peut nier qu’après presque 50 ans d’une colonisation brutale, il n’est pas nécessaire de chercher trop loin pour comprendre la profondeur du désespoir et le degré de colère ressentis par les Palestiniens.

Toutefois, ce désir tout à fait compréhensible d’agir contre l’oppression ne devrait pas nous amener à négliger les projets d’Israël concernant Haram al-Sharif. Nous ne devrions pas davantage accepter que les appréhensions des Arabes et des Palestiniens soient une création de l’imagination orientale sans lien aucun avec la réalité. En fait, on peut corroborer l’existence de ces plans.

Il est donc essentiel, que l’on soit croyant ou non, de poser la question : al-Aqsa est-elle en danger ? Si c’est le cas, alors la précarité de son existence n’est pas seulement un outrage à l’islam mais aussi un indice supplémentaire de jusqu’où le projet israélien de colonisation de peuplement pourrait aller .

Crime archéologique

La démolition de sites arabes et islamiques de Jérusalem n’est pas une nouveauté dans les attitudes et politiques israéliennes. En 1967, Israël a rasé le quartier marocain de la vieille ville de Jérusalem.

C’était un joyau architectural de la civilisation islamique qui remontait à la fin du 12ième siècle et avait été le siège d’ordres religieux islamiques parmi les plus importants.

Lorsque le sionisme fit son apparition en Palestine, ses dirigeants n’essayèrent pas seulement d’acquérir des terres pour s’y implanter mais aussi d’acheter ce qu’ils considéraient être la Jérusalem juive.

Le baron Edmond Rothschild essaya d’acheter le quartier à la fin du 19ième siècle, tout comme essaya de le faire la direction sioniste sous le Mandat britannique – mais en vain. Les tentatives d’acquisition n’ayant pas réussi, le quartier fut pris de force durant la guerre de 1967 et démoli.

Lors de la démolition, fut aussi détruite la mosquée Sheikh Eid construite par le fils de Salah al-Din al-Ayubi, qui libéra Jérusalem des Croisés. En apprenant la destruction des années plus tard, Benjamin Kedar, historien et président adjoint de l’Académie Nationale des Sciences israélienne, déclara au journal israélien Haaretz que « c’était un crime archéologique. »

La destruction des mosquées n’était pas une pratique nouvelle, ou limitée à Jérusalem. Les forces sionistes n’ont épargné que très peu de mosquées des villages et villes détruites pendant la Nakba – opération de nettoyage ethnique de 1948. Les autorités israéliennes ont ensuite converti un grand nombre des mosquées restantes en clubs, restaurants et enclos pour animaux.

Topologie des destructions

Ainsi, ni les monuments historiques de Jérusalem, ni les mosquées ailleurs en Palestine n’ont été à l’abri des politiques destructives du colonisateur. Cette ruine du patrimoine islamique du pays est profondément gravée dans la mémoire collective palestinienne.

Les Palestiniens sont aussi souvent les témoins de la destruction d’immeubles par Israël à l’aide de bulldozers D-9 blindés, fournis par la firme états-unienne Caterpillar.

Cependant, ce n’est pas seulement la mémoire vive de la topologie des destructions israéliennes qui a fait surgir chez de nombreuses personnes des craintes quand à l’avenir d’al-Aqsa. C’est une analyse réaliste de l’idéologie de certaines forces politiques puissantes aujourd’hui en Israël, et qui sont représentées dans l’actuel gouvernement de Benjamin Netanyahou.

La plus importante de celles-ci est le mouvement nationaliste religieux qui gagne constamment du terrain. Elle avait à une époque une influence marginale, mais elle fait maintenant partie des pouvoirs établis.

Comme l’a récemment révélé Or Kashti de Haaretz, une partie du programme d’études du système d’éducation de ce mouvement (il y a trois systèmes d’éducation en Israël : un système laïque juif, un système national religieux, et le système « arabe ») prône la construction du « Troisième Temple. »

La construction du temple est l’ambition de l’humanité tout entière, explique-t-on aux élèves. Kashti s’est entretenu avec des spécialistes qui ont lu le programme et bien que, souligne-t-il, le programme ne mentionne pas directement la destruction d’al-Aqsa, on instille dans l’esprit des élèves l’idée qu’ils sont à l’aube de la rédemption juive (Geula) du mont.

Ce programme a le soutien de Naftali Bennet, ministre de l’Education. Comme son collègue, Uri Ariel, Bennet est membre du Foyer juif, parti qui s’est engagé à remplacer al-Aqsa par un temple juif.

Suite à l’élection qui s’est tenue plus tôt cette année, Ariel a été nommé ministre de l’agriculture. Précédemment, en tant que ministre du logement, il s’est publiquement prononcé pour la construction du nouveau temple à la place d’al-Aqsa. Ce n’est pas un homme politique marginal, pas plus que ne l’est son parti.

Le gouvernement israélien soutien financièrement et par d’autres moyens plusieurs organisations qui se prononcent ouvertement en faveur d’un projet similaire. La plus importante d’entre elles est l’Institut du Temple à Jérusalem, fondée par le rabbin Yisrael Ariel. Uri Blau, journaliste à Haaretz a enquêté sur son financement.

L’objectif principal de l’institut, selon son site internet, est de « voir Israël reconstruire le Temple Sacré sur le Mont Moriah à Jérusalem [site de la moquée al-Aqsa], conformément aux commandements bibliques.

Il n’est pas du tout absurde ni inimaginable de supposer qu’un zélote sioniste mette un jour de tels projets à exécution.

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* Ilan Pappe est directeur du European Center of Palestine Studies à l’Université d’Exeter. Il a publié 15 livres sur le Moyen-Orient et la Question de Palestine.

Du même auteur :

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10-11-2015 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
https://electronicintifada.net/cont...
Traduction : Info-palestine.eu - MJB


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