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Les jeunes Palestiniens nous enseignent comment résister

vendredi 16 octobre 2015 - 09h:27

Nadia Naser-Najjab

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La génération des Palestiniens devenus majeurs pendant la première intifada, à la fin des années ’80, a souvent critiqué ses successeurs. Loin de donner à cette nouvelle génération des « leçons » sur notre lutte, c’est ma génération, celle de la première intifada, qui devrait chercher à apprendre des jeunes.

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Des étudiantes palestiniennes manifestent à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 octobre - alors qu’une trentaine de Palestiniens ont déjà été tués. (Abed Rahim Khatib APA)

Nous avons fréquemment accusé les jeunes générations d’être apolitiques et sans éducation politique. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu accuser les jeunes Palestiniens d’être centrés sur leur nombril, de ne pas comprendre le sens de la résistance collective et du sacrifice.

A l’écoute de ces récriminations on se croirait facilement en droit de croire que l’idée même de résistance populaire n’a pas existé avant la venue de ma propre génération. Mais les événements récents de Palestine nous ont montré combien ces critiques étaient fausses et injustes : la génération devenue adulte pendant la première intifada n’avait rien d’unique.

Comme le pensait le philosophe Frantz Fanon, la lutte populaire est issue des conditions mêmes du colonialisme, des multiples manières dont celui-ci affecte et ne cesse de dégrader les conditions de vie au quotidien.

Il faut reconnaître que certaines choses jamais ne changent. La réponse du gouvernement israélien aux événements récents découle clairement d’un état d’esprit colonial inflexible et intransigeant. Donc, en vertu du fait que les autochtones ne peuvent avoir de revendications politiques, les administrateurs coloniaux israéliens ont considéré que les « perturbations » actuelles relèvent du dossier « maintien de l’ordre public ».

L’ordre et la tranquillité seront restaurés lorsque la population autochtone aura été confrontée à la force brute – après tout, c’est le seul langage « qu’ils » sont censés comprendre. Pour les Palestiniens ces mots sont d’une familiarité lassante – les désirs de Benjamin Netanyahu et Moshe Yaalon participent d’une filiation coloniale qu’on peut remonter jusqu’à Yitzhak Rabin et plus haut.

Au cours de la première intifada, Rabin, alors ministre de la Défense, avait ordonné à l’armée israélienne de « briser les os » des manifestants palestiniens ; aujourd’hui, les administrateurs actuels du pouvoir colonial lancent le même appel.

Les défis

Mais certaines choses ont incontestablement changé. Indépendamment du reste, les défis auxquels sont confrontés les jeunes Palestiniens sont infiniment plus impressionnants que ceux qui se posaient à ma génération. Pendant la première intifada, notre principal opposant était l’armée israélienne. La colonisation de la Cisjordanie était encore limitée, de même que l’engagement des colons. Mais aujourd’hui tant de nouvelles colonies sont construites tout près des agglomérations palestiniennes.

En outre, lors de la première intifada, les activistes palestiniens jouissaient d’une relative liberté de mouvement et pouvaient encore circuler dans les villes, les villages et les camps de réfugiés pour organiser des sit-in, des veillées, des grèves et des séminaires.

L’opinion publique arabe et internationale les soutenait davantage. Des groupes de solidarité israéliens prêtaient leur concours à notre lutte et travaillaient à faire changer l’opinion publique dans leur société.

A cet égard les changements qui se sont produits ont amené de nouvelles dimensions dans la question de la lutte palestinienne.

La jeune génération a trouvé de manières innovantes de répondre à cette réalité modifiée. Elle a identifié de nouvelles façons de créer une conscience politique et sociale - « résister pour exister » est l’un des mots d’ordre que j’ai vu postés sur Facebook l’autre jour.

A présent des images d’incarcération, de brutalités et de déshumanisation circulent sur les réseaux sociaux, créant de nouvelles solidarités et un nouveau langage de combat. Les deux éléments sont interdépendants : quand les réalités politiques se modifient, les formes de résistance s’ajustent.

Néanmoins les défis auxquels sont confrontés les jeunes Palestiniens sont bien plus que simplement géographiques ; ils sont aussi politiques. Une autonomie palestinienne restreinte flanquée d’une entité politique d’auto-gouvernance – l’Autorité palestinienne – voilà comment l’occupant a renforcé et consolidé sa mainmise sur le territoire et sur la population.

Quand je lis ou visionne des interviews de jeunes Palestiniens, je suis souvent frappée par la différence d’état d’esprit par rapport à celui de ma propre génération.

Nous veillions jadis à structurer notre combat conformément à un discours politique internationalement acceptable, et à nous aligner sur des dynamiques politiques plus vastes. Pendant la première intifada, nous écoutions le Commandement national unifié pour coordonner au jour le jour les tactiques et stratégies de résistance, et nous suivions l’Organisation de Libération de la Palestine comme l’incarnation symbolique du combat national palestinien.

Contraste éclatant et direct, un membre de la jeune avant-garde informait récemment l’Agence Ma’an : « Nous ne soucions pas de leaders. Nous voulons être les leaders », tandis qu’un autre interviewé traitait sèchement l’Autorité palestinienne de « traître ».

Les présents développements en Cisjordanie correspondent à une grave crise de la direction politique palestinienne. L’antagonisme actuel vise manifestement tout autant l’un des mécanismes centraux de la puissance coloniale – un leadership politique palestinien qui se comporte effectivement en sous-traitant de l’occupant – que sa cause originaire.

Gestion de la stratégie

A certains égards, toute distinction entre les deux est évidemment redondante. Outre son formidable arsenal d’instruments de coercition et de force, l’occupation s’assure des formes plus subtiles d’influence politique, qui cooptent et gèrent stratégiquement l’institution des partenaires locaux – l’AP en est un bon exemple.

Dans cette optique, le processus de paix formel peut s’analyser rétrospectivement comme une reconfiguration des relations de domination et de contrôle :
- "le compromis" a ancré l’occupation 
- "l’auto-gouvernance" a consacré l’inefficacité et la corruption
- "la paix" est devenue l’équivalent de la dégradation morale et politique.

Tout ceci contribue peut-être à expliquer pourquoi je n’ai pas entendu la jeune génération lancer le moindre appel au leadership politique palestinien. Il est temps pour ceux d’entre nous qui s’étaient engagés dans la première intifada d’admettre notre inutilité. Non seulement à cause des circonstances qui ont changé, mais aussi parce que les stratégies et les approches que nous défendions ont depuis été complètement discréditées.

Pour tous nos efforts, nos sacrifices et nos progrès limités, nous avons en fin de compte contribué à une colonisation politique qui a renforcé et consolidé les conditions et les relations de l’occupation. Nous avons perdu de vue le fait essentiel, comme Fanon l’observait un jour, à savoir que « le colonialisme ne cède jamais rien pour rien ».

Loin de donner à la nouvelle génération de Palestiniens des « leçons » sur notre lutte, c’est ma génération qui devrait chercher à apprendre.


Nadia Naser-Najjab est chercheuse associée au Centre Européen d’Etudes palestiniennes-Institut d’Etudes arabes et islamiques à l’Université d’Exeter (GB).

14 octobre 2015 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
https://electronicintifada.net/cont...
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM


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