Mohammad Jamal Ali Nasser : journal de prison
jeudi 8 octobre 2015 - 17h:50
Mohammad Jamal Nasser
Je m’appelle Mohammad Jamal Ali Nasser, je suis né le 14 septembre 1992, je suis originaire du village de Der Qaddis (district de Ramallah), étudiant au département de Français à l’université An Najah (Naplouse). Je suis actuellement détenu à la prison israélienne d’Eshel (Beer Sheva).
- Mohammad Jamal Ali Nasser
C’était le 28 juin 2014, il était deux heures du matin. J’étais chez mes parents, dans notre maison familiale.
J’étais sur mon ordinateur quand j’ai entendu du bruit près de la maison. J’ai regardé par la fenêtre, j’ai vu l’armée israélienne, les soldats étaient nombreux.
Vite, j’ai réveillé ma mère, mon père et mon frère pour qu’ils s’habillent.
Les soldats étaient déjà en train de tambouriner à la porte.
J’ai ouvert. Un responsable israélien nous a ordonné de nous réunir dans une pièce de la maison. Puis, un officier m’a interpellé et m’a dit qu’il voulait me voir seul.
Je suis sorti. Il m’a dit qu’il m’arrêtait.
J’ai pu saluer ma famille avant d’être ligoté et emmené.
J’ai été attaché à une chaise pendant onze heures, avant d’être incarcéré à la prison d’Ofer,
Quand je suis arrivé là-bas, les gardiens m’ont pris mes vêtements et j’ai dû mettre un uniforme de prisonnier.
J’ai ensuite était enfermé dans une section temporaire où toutes les factions politiques sont mélangées.
Le lendemain, c’était le premier jour du mois de ramadan. C’était difficile pour moi car tout le monde ne jeûnait pas.
Les deuxième et troisième jours, c’était dur car je devais prendre le bus que l’on appelle Al bosta (1).
A mon retour, on m’a transféré au département 12, c’était mieux.
A partir de là, chaque jour ressemblait au précédent et je m’ennuyais beaucoup.
J’ai ensuite était transféré au centre d’interrogatoire Petah Tikva (près de la ville de Yaffa).
Les conditions d’incarcération sont très difficiles là-bas. Au premier étage, il y a seize cellules d’isolement que nous appelons « zanzana », elles font deux mètres sur deux mètres, les murs sont noirs et rudes. Vous dormez, mangez et utilisez les toilettes, tout cela en même temps dans ce tout petit espace.
Une lumière rouge est constamment allumée, la couverture est extrêmement sale.
J’étais enfermé dans la numéro 13. J’étais fatigué, je ne pouvais pas bien manger ni dormir ni marcher ou faire quoi que ce soit.
La nourriture était très mauvaise, seulement acceptable pour un animal.
Je ne pouvais pas parler avec quelqu’un, j’étais seul.
C’était le mois du ramadan et je demandais au gardien du chocolat pour la rupture du jeûne, mais il n’y avait ni chocolat ni aucune sucrerie. Il y avait seulement deux tous petits plats.
J’avais juste deux cigarettes.
La journée, j’étais interrogé pendant douze ou quatorze heures. Tout était interdit, parfois même de prier.
Après, les Israéliens ont mis un deuxième détenu avec moi dans la toute petite cellule d’isolement.
C’est une véritable guerre psychologique contre les Israéliens et nous devons les vaincre.
Pendant ma période d’interrogatoire, j’étais très fatigué car j’étais transféré du centre Petah Tikva au centre Al Moscobiyeh (à Jérusalem) puis de nouveau au premier avant d’être emmené au tribunal militaire Salem (près de Jénine).
Tout ça pendant le mois du ramadan, c’était difficile.
J’ai perdu connaissance deux fois en cellule d’isolement.
Après, ils ont mis un autre détenu avec moi. Au début, je croyais que c’était quelqu’un qui travaillait avec les Israéliens.
Il pleurait.
Je lui ai demandé pourquoi.
Il m’a dit que les Israéliens avaient tué son frère et qu’il l’avait arrêté lui. C’était quelqu’un qui venait du village de Qabalan (district de Naplouse).
Il n’arrêtait pas de pleurer la mort de son frère.
Je ne pouvais rien faire d’autre pour l’apaiser à part réciter le Coran. Je lui ai dit que son frère était un martyr et qu’il était maintenant au paradis. J’ai ajouté que lui devait être patient et fort face aux Israéliens pour les vaincre.
Il est resté avec moi pendant trois jours.
C’est une histoire parmi d’autres dans le centre d’interrogatoire.
Je crois que c’était le moment le plus difficile pour moi.
J’ai ensuite été mis dans une autre cellule d’isolement. Quand ils veulent nous conduire d’un endroit à un autre, on doit se déshabiller complètement et quand on sort, on ne voit rien parce qu’on a un bandeau sur les yeux.
Je suis resté à Petah Tikva pendant 53 jours.
Mais je n’aime pas raconter ce qui s’est passé dans ce centre d’interrogatoire.
J’ai recommencé à écrire dix jours après avoir été de nouveau transféré en prison (Ofer).
Je m’ennuyais beaucoup.
Il n’y avait rien à faire. A l’époque, il y avait des tensions au sein de la prison et je ne quittais pas ma cellule. J’essayais de m’occuper, de parler avec quelqu’un mais c’était très difficile parce qu’il y avait toujours des gens différents.
Je lisais, j’écrivais, je faisais du sport et je dormais.
Je voulais sortir, rentrer chez moi et rester avec ma famille. J’étais épuisé.
Plus tard, je sortais marcher avec un ami codétenu puis nous revenions à notre cellule pour préparer le repas de la rupture du jeûne. Nous avions accès à seulement trois chaines de télévision différentes et c’était constamment le même programme.
On écoutait aussi les retransmissions de matchs de football.
Le soir, on discutait jusqu’à deux heures du matin puis je me levais à l’aube pour prier et je me rendormais jusqu’à midi.
Tous les jours, je faisais la même chose.
Et puis, la guerre à Gaza (2) a commencé le dixième jour du mois de ramadan.
Tous les détenus ne parlaient que de cela.
Moi, je me disais que, comme pendant la guerre de 2012(3), j’étais en prison (4) et je ne pouvais rien faire pour les aider.
Notes :
(1) Les bus utilisés pour le transfert des prisonniers d’une prison à une autre, d’une prison au tribunal militaire israélien. Ces véhicules sont blindés, les sièges sont en fer, les prisonniers ont les pieds et les mains liés. Le voyage peut être très long car le véhicule suit un circuit. Un détenu peut passer une semaine dans le bus si sa destination finale est le dernier arrêt. Il passe la nuit dans différents centres pénitentiaires et reprend la route tous les jours.
(2) Cette guerre offensive israélienne appelée « bordure protectrice » s’est déroulée entre juillet et août 2014. 2 310 Palestiniens ont été assassinés par l’armée israélienne dont 283 femmes et 521 enfants. Des milliers d’autres personnes ont été blessées.
(3) Offensive militaire israélienne sur la bande de Gaza qui s’est déroulée du 14 au 21 novembre 2012 qui a coûté la vie à environ 71 Palestiniens. Près de 1200 autres personnes ont été blessées.
(4) Mohammad Jamal Ali Nasser a été emprisonné pour la première fois par l’occupant pendant 22 mois en 2012.
Peut-être que la pire chose lorsque l’on est prisonnier, c’est quand on doit prendre Al Posta pour aller au tribunal par exemple.
C’est un véhicule qui peut contenir environ trente personnes, tout est en fer à l’intérieur et il n’y a pas de fenêtre. En fonction de là où l’on doit aller, on peut passer jusqu’à dix heures dans le véhicule. Si une personne a besoin d’aller aux toilettes, ce n’est pas possible.
Quand on est en transit, on dort à la prison de Ramleh (près de Yaffa). Un détenu peut rester là-bas de un à trois jours. C’est un endroit où il n’y a rien dans les cellules à part un lit.
Juste avant, on est dans une autre cellule où on ne connaît pas les autres détenus.
Dans cette prison de transit, il y a aussi des cellules pour les prisonniers de droit commun. Il y a toujours des problèmes là-bas.
Quand il fait chaud, il n’y a pas d’air, pas de ventilateur, pas de sanitaires corrects.
C’est la mort.
Le jour suivant, les gardiens nous réveillent à 4H30 pour que l’on soit prêt à aller au tribunal militaire.
Là-bas, on nous entasse à une douzaine dans une toute petite cellule.
Puis, on attend, parfois jusqu’à dix heures d’affilées, assis sur une chaise en béton, avant de revenir à Ramleh. Pendant tout ce temps, on a les mains et les pieds attachés.
C’est très difficile.
Quand on revient à la prison, on est épuisé et, parfois, malade.
La première chose, c’est le Shabas, le service carcéral israélien. Cette entité gère et contrôle tout ce qui se passe dans la prison. S’il y a des tensions avec les prisonniers, les gardiens utilisent la force.
Quand ils font quelque chose contre nous, on décide, par exemple, de refuser de sortir de nos cellules, tout le monde refuse de travailler dans la section. Nous sommes 144 et chaque personne se met à crier et à réclamer quelque chose.
Pour ceux qui étaient en transit et qui reviennent, ils refusent d’entrer dans la section. Les Israéliens négocient avec nous, parfois trois ou quatre heures.
Il y a un gardien qui s’appelle Soher. Tous les jours on crie son nom, parfois tous en même temps : « Soher, je veux de l’eau fraiche », « je veux manger », « je veux sortir de la cellule », « je veux faire une demande concernant les visites de ma famille ».
Et quand Soher cherche celui qui le demande dans notre section…personne ne répond.
C’est difficile pour lui.
Parfois on hurle que Dieu est grand, on sort de nos cellules, les gardiens envahissent notre section. Après on refuse de se nourrir, pour nous punir, ils ferment la section alors on se met à tambouriner sur toutes les portes.
Alors les Israéliens nous coupent l’électricité. Et puis, ils demandent à l’un de nous d’être leur interlocuteur pour négocier sur nos conditions de détention.
Si l’administration ne cède pas, on continue à résister.
Les Israéliens réfléchissent tout le temps pour savoir ce qu’ils pourraient faire contre les prisonniers.
Il y a quelque chose d’essentiel, c’est ma dignité. Jamais je ne pourrai accepter que les Israéliens me soumettent et forcent ma dignité.
Quand on est en prison, on rêve.
Ca me manque de voir les étoiles dans le ciel, de voir le soleil et la lune.
Ca me manque d’être avec ma famille et mes amis.
Ca me manque d’aller prier à la mosquée.
C’est aussi difficile quand il y a un deuil dans votre famille et que vous ne pouvez pas être là.
Pour essayer de rendre tout ça supportable, on plaisante entre détenus, on fait du sport, on écrit.
Dans ma section, il y a 144 prisonniers.
Les Israéliens aiment beaucoup empoisonner la vie des Palestiniens.
Quand les gardiens fouillent les cellules, ils sortent toutes les choses de la chambre et ferment toute la section pendant six heures.
Tous les jours en prison se ressemblent sauf pendant le mois du ramadan. A ce moment, c’est très beau. On prie toute la nuit jusqu’à l’aube puis on va dormir.
En temps normal, on peut sortir des cellules de 7h à 8h pour faire du sport.
Mais la cour où l’on marche est vraiment très petite dans la prison d’Eshel (Beer Sheba)
Ensuite on revient à la cellule puis, on peut sortir à nouveau de 8h15 à 9h45.
On s’éduque nous-mêmes, on étudie, on apprend l’anglais, l’hébreu et l’arabe.
Après, on peut ressortir et on doit revenir à 11h20 ensuite, notre section est fermée jusque 14h15. Puis, nous préparons à manger.
Après, on doit revenir à nos cellules à 16h, puis l’on ressort jusque 17h30.
Nous lisons : le Coran et toutes sortes de livres. D’autres regardent la télévision.
Mais il n’y a pas de vie. Elle est restée derrière les portes de la prison.
La vie attend notre libération.
Tout est interdit en prison.
Une fois, j’ai demandé au représentant palestinien de ma section pourquoi le parfum nous était interdit.
Il a répondu par une question : « pourquoi la pastèque, la farine, les glaces, certaines chaines de télévision sont interdits ici ? Simplement parce ce que les Israéliens font tout pour que ton cœur ne soit jamais tranquille. »
J’attends la visite mensuelle de ma famille pour savoir comment ils vont.
Mais, quand ma mère vient me voir, je n’ai pas le droit de lui prendre la main.
Je suis célibataire. Quand je vois les autres détenus qui sont fiancés ou mariés, c’est très difficile pour eux.
Ceux qui ont des enfants ne peuvent pas les embrasser.
Dans ma section, sur les 144 détenus, environ 30 personnes ont écopé de la perpétuité.
Mais ils sont croyants. Un jour, ils sortiront et ils pourront embrasser les mains de leurs mères et leurs pères.
Ils sont croyants, ils sortiront, se fianceront, se marieront, ils auront des familles et tout ira très bien.
L’aïd al Adha (la fête du sacrifice)
24 septembre 2015
Je me souviens de l’Aïd avec ma famille. Tout me manque.
On allait à la mosquée tous ensemble, on saluait tous les habitants de mon village et on rendait visite à tout le monde.
Ici, le matin, les Israéliens n’ont pas voulu ouvrir les portes de nos cellules, on a tous crié que Dieu était grand puis, ils ont ouvert.
A 6h30, on a prié, on a tous échangé des poignées de main.
Après, certains sont restés dans leurs lits à réfléchir, d’autres personnes regardaient leurs photos de famille, écrivaient leurs mémoires ou ne faisaient rien.
Après, nous avons préparé des desserts.
Septembre 2015