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Un an après l’attaque de Gaza, le monde doit cesser de cautionner les crimes d’Israël

samedi 18 juillet 2015 - 16h:41

Shahd Abusalama

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Je crois entendre encore comme un écho mon père qui pleurait et dont la voix se brisait quand je l’ai appelé le 13 août 2014 après le meurtre de notre voisin Hazem Abu-Murad, lequel grandit dans la maison voisine et était comme un fils pour mon père et son meilleur compagnon quand il s’asseyaient ensemble devant notre porte.

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Les enfants de la famille Shabir ont été massacrés le 17 juillet 2014 dans une frappe aérienne israélienne - Photo : Mohammed Zaanoun

Avec cinq autres personnes, Hazem fut tué alors qu’il essayait de désamorcer un missile israélien de 500 kilos à Beit-Lahya.

Je me souviens du choc quand ma famille apprit le premier jour de l’Aïd al-Fitir, que mon oncle Mohammed Abu-Louz avait été tué, laissant une très jeune veuve avec un fils de deux ans et une fille de trois ans, alors trop jeunes pour comprendre ce qui se passait autour d’eux, portant leurs nouveaux vêtements de l’Aïd et demandant constamment quand leur père serait de retour pour leur offrir bonbons et cadeaux.

Je crois aussi entendre encore la voix hésitante de ma mère au téléphone me disant « Tout va bien, Dieu merci. Ne t’inquiète pas ! ». Chaque seconde, on entendait gronder l’incessant bombardement en bruit de fond. Parfois, juste après le terrifiant vacarme des explosions, l’appel était déconnecté. Cela m’affolait et de sombres pensées de mort, de destruction et de pertes emplissaient mon esprit. Envahi par la panique, j’essayais sans cesse de la rappeler. Je ne pouvais me calmer et respirer que lorsque j’entendais sa voix à nouveau, ou soupirer quand je n’arrivais pas à garder mon sang-froid.

Au cours de ces moments traumatisants, le repos était le dernier de mes soucis. Je ne dormais que quand je m’assoupissais sur mon ordinateur ou sur mon canapé. Je me réveillais de ces sommes accidentels terrifié, presque à bout de souffle, pensant que presque n’importe quoi aurait pu survenir alors que je dormais. Je me hâtais alors d’appeler ma famille et ne pouvais me détendre que lorsque quelqu’un répondait à mon appel. Je fondais en larmes ; larmes qui étaient un mélange d’émotions contradictoires : peur, trauma et bonheur. Leurs voix au téléphone prouvaient qu’ils était toujours vivants, ou pas encore morts.

Ces peurs m’ont envahi pendant 51 jours et nuits, mais se sont intensifiées alors que la guerre devenait de plus en plus démente, plus brutale puis dépassait la brutalité. Mes jours et mes nuits se confondaient, jusqu’à ma perte de la notion du temps, qui perdit alors tout son sens. Les aliments perdirent leur goût. Même le repos, alors que j’étais épuisé, devint indésirable. J’ai passé 51 jours en isolement, assis devant mon ordinateur et mon téléphone, regardant les programmes d’ Al-Mayadeen et écoutant en même temps les chaînes radio palestiniennes comme Al-Quds, Al-Aqsa and Al-Sha’b en ligne.

Pour garder ma raison, j’écrivais sur le sujet des médias sociaux, parfois remplissant mon carnet de dessins en blanc et noir, ou arpentant les rues d’Istanbul avec un groupe de Palestiniens pour exprimer notre colère. Nous criions aussi fort que possible pour la justice et réclamer qu’Israël rende des comptes pour ses crimes, pour arrêter l’attaque de Gaza et le carnage. Regardant par ma fenêtre à Istanbul, je ressentais comme une insulte de ne voir que des jours typiques et ordinaires, comme si rien ne se passait en Palestine et que personne n’y mourait à chaque moment.

Parfois, j’avais l’impression que bien qu’ayant la chance d’étudier en dehors du ghetto de Gaza où les vies de chacun, en dépit de l’âge et du sexe, étaient menacées par la machine de mort sioniste, qu’elle était plus difficile à supporter que lorsque j’y étais, sous les attaques. Mais je pense que c’est parce que je m’y trouvais quand la mort rôdait partout et que les bombardements nous encerclaient. Je savais ce que c’était et c’était ça qui me rendait fou. Nous avions survécu à de nombreuses attaques mais cela ne voulait pas dire que nous allions survivre à toutes.

Le dernier massacre de Gaza avait dépassé toutes les mesures. L’occupation israélienne avait violé toutes les lignes rouges avec ses mesures immorales et inhumaines. Des quartiers avaient été détruits, avec pas un seul habitant survivant pour transmettre les histoires et les ambitions de ceux qui avaient été assassinés. Les grands médias internationaux avaient réduit, dans leurs manchettes et même entre les lignes, le coût dévastateur qu’avait dû payer le peuple palestinien

Une année s’est écoulée depuis que le cessez-le-feu a été instauré, après que 2 200 Palestiniens, la plupart des civils, sont morts devant le monde entier alors que les puissances occidentales répétaient comme des perroquets qu’Israël avait le droit de se défendre. En attendant, le décompte des morts s’accroissait de plus en plus. Auto-défense contre qui ? Les chiffres eux-mêmes parlent clairement. 2 200 Palestiniens, la plupart étant des civils, ont été tués à Gaza et plus de 100 000 bâtiments ont été totalement détruits alors que 73 Israéliens, presque tous militaires, sont morts. Il s’agissait d’un assaut contre des occupés, pas d’armées combattant au cours d’une guerre.

Les nôtres réclament leurs droits légitimes, rejetant de brutales conditions d’existence ressemblant à une lente condamnation à mort sous un siège étouffant et résistant à une oppression qui dure depuis 67 ans, par une puissance coloniale qui ne les traite pas comme des êtres humains et continue de nier leurs droits fondamentaux, tout en attaquant leur existence, leur identité, leur culture et leur histoire.

Une année s’est écoulée et les amas de décombres subsistent comme autant de cruels rappels de tout ce que notre peuple a subi pendant l’assaut de 51 jours, ses conséquences dévastatrices et combien peu de progrès ont depuis été accomplis. La reconstruction a à peine commencé. Des milliers vivent encore dans des abris précaires, dans une vie d’incertitude en luttant chaque jour pour leur survie. Je suis sûr que tous les Palestiniens, surtout ceux de Gaza, restent encore traumatisés.

Ce à quoi nous avons survécu pendant l’été 2014, prendra une vie entière pour guérir. Cela restera toujours comme une cicatrice sur notre psyché jusqu’à ce que la justice soit rendue pour les victimes qui ont disparu et que la liberté pour laquelle nous avons payé cet énorme prix soit obtenue, jusqu’à ce qu’Israël rende des comptes, soit dénaturalisé et traité comme ce qu’il est en réalité, un Etat colonisateur.

Mais Israël n’est pas seulement responsable de ce que notre peuple a souffert. C’est une responsabilité partagée par l’ensemble de la communauté internationale, qui a donné le feu vert à Israël pour violer toutes les lignes rouges. L’impunité d’Israël est renforcée par le silence d’un monde qui non seulement contemple en silence mais est proactif dans son soutien inconditionnel aux crimes d’Israël. La solidarité internationale avec la Palestine doit passer du simple sentiment à de sérieux actes politiques qui combattent les pratiques des gouvernements qui soutiennent Israël et tous ses actes.

Ne laissez pas vos gouvernements poursuivre leur soutien d’Israël en votre nom ! Exprimez-vous ! Le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) est une tactique en plein essor à travers le monde, qui menace efficacement Israël. Renforcez-le où que vous soyez et faites entendre la voix de la justice.

Souvenez-vous toujours que « l’injustice où qu’elle soit, menace la justice partout ».

* Shahd Abusalama est une artiste palestinienne, de Gaza . Elle est actuellement inscrite en Master auprès du département consacré aux Médias et au Moyen-Orient à l’Université de Londres. Elle dispose d’un blog : Palestine From my Eyes, et elle peut être suivie sur Twitter : @shahdabusalama

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13 juillet 2015 – The Electronic Intifada – Vous pouvez consulter cet article à :
https://electronicintifada.net/blog...
Traduction : Info-Palestine.eu – Jean Cartier


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