Vendredi, le journal américain conservateur, The Washington Post, a édité un éditorial signé de Labib Al-Nahhas, responsable des relations étrangères pour l’organisation Ahrar al-Sham - une des principales composantes du Front Islamique, la coalition des groupes islamistes qui combattent le régime de Bachar al-Assad en Syrie.

Avec le soutien des Etats-Unis, la France, la Turquie et Israël, le front al-Nusrah s’est rendu coupable de nombreux crimes de guerre

L’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie reconnaissent soutenir ce groupe qui combat habituellement en partenariat avec le front al-Nusra, la branche officielle d’Al-Qaïda en Syrie. La CIA avait estampillé Ahrar al-Sham comme entité terroriste ayant des liens étroits avec Al-Qaïda, une affirmation que M. Al-Nahhas nie vigoureusement au dans son article, se plaignant que Ahrar al-Sham ait été « injustement diffamé par l’administration d’Obama dès le premier jour ».

Pourquoi The Washington Post ouvre-t-il ses pages au porte-parole de ce groupe - qu’il avait préalablement comparé aux Talibans et à Al-Quaida - et pourquoi maintenant ?

Il semble que il y a eu une révision importante dans la politique de Washington concernant l’utilité potentielle de Ahrar al-Sham, et même peut-être, d’Al-Nusra.

Al-Nahhas critique fortement la politique actuelle de l’administration d’Obama sur la Syrie, déclarant que cette politique ne fonctionne pas. Il écrit - et je cite directement ses propos - que « les décisionnaires à la Maison Blanche ont affecté des millions de dollars venant des contribuables des États-Unis pour soutenir les efforts inutiles de la CIA pour mettre en place des groupes soit-disant ’modérés’ en Syrie. Mais ces groupes ’modérés’ se sont avérés être une déception à tous les points de vue, dont le moindre n’est pas la capacité à se confronter à l’État Islamique. »

Al-Nahhas offre ses services - et probablement, en lisant entre les lignes, ceux d’al-Nusra - pour agir en collaboration avec les Etats-Unis tout en combattant l’État Islamique. Dans ce troc, Al-Nahhas veut que Ahrar al-Sham soit enlevé de la liste des organisations terroristes et que la collaboration ait un double objectif : combattre l’État Islamique et chasser Assad du pouvoir.

C’est une première dans l’histoire de l’idéologie islamiste extrémiste. Les Etats-Unis ont toujours été à la tête de la liste des ennemis en raison de son appui à Israël, de ses guerres destructrices dans la région et de son occupation de l’Irak.

Ahrar al-Sham et Al-Nusra ont agi de concert pour emporter des victoires stratégiques contre les forces du gouvernement syrien et de l’État Islamique. Aujourd’hui, cependant, ils s’entre-déchirent dans la province d’Idlib.

Al-Nahhas peut donc très bien ne pas parler au nom des deux groupes mais seulement en son nom propre.

L’article écrit par Al-Nahhas me remet en mémoire un autre article paru en 1988 dans The New York Times et signé de Bassam Abu Sharif, alors conseiller politique du dirigeant palestinien Yasser Arafat. Dans cet article, il exprimait la disposition de l’OLP à accepter la solution à deux Etats et à reconnaître officiellement l’Etat sioniste. Ainsi débutait le processus de négociation qui devait mener aux dits accords d’Oslo.

La comparaison sert simplement à exprimer le fait que les médias américains ont souvent à charge de préparer le public à une évolution politique importante.

Les Etats-Unis, les Pays du Golfe et la Turquie préparent une nouvelle phase dans la guerre contre l’État Islamique, l’équipe « anti-terreur » d’Obama visitant Ankara la semaine dernière.

L’entrevue fortement controversée d’Al-Jazeera avec Abu Mohammad al-Jolani, chef d’Al-Nusra, aussi bien que son entrevue il y a quatre jours avec le colonel Abud, qui est tenu prisonnier par Al-Nusra, ne doivent pas être isolées l’une de l’autre. Ces événements médiatiques font sans doute eux-même partie de ce processus de « banalisation ». Ils montrent certainement la bonne disposition des islamistes à collaborer avec les médias.

Ce que nous pensons, c’est que les Etats-Unis considèrent une alliance entre Al-Nusra et Ahrar al-Sham comme le fer de lance dans le combat contre l’État islamique et le régime d’Assad. Nous ne serions donc pas étonnés que les deux groupes soient dans un avenir proche retirés de la liste des organisations terroristes.

Ce changement important dans la politique de Washington est en désaccord avec les efforts actuellement menés par le Président russe Vladimir Poutine pour mettre en place un nouveau « quartet » afin de combattre l’État Islamique. Ce quartet se composerait de la Turquie, de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie, et du régime syrien lui-même.

Comment le gouvernement russe réagira-t-il à cette subversion de ses plans pour un nouveau quartet, et au spectacle combien étonnant de Washington allant jusqu’à quasi embrasser l’idéologie d’Al-Qaïda ?

* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai Alyoum : Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

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13 juillet 2015 - Raï al-Yaoum - Vous puvez consulter cet article à :
http://www.raialyoum.com/?p=286479
Traduction : Info-Palestine.eu - Lotfallah