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Si la guerre est finie, pourquoi suis-je toujours ici ?

mercredi 24 juin 2015 - 17h:45

Moath al-Alwi

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L’un des grévistes de la faim sur la plus longue durée parle de sa terrible réalité quotidienne.

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L’extérieur du Camp Delta à la base navale de la Baie de Guantanamo où 122 prisonniers croupissent toujours en toute illégalité - Photo Reuters

Moath al-Alwi est un citoyen yéménite qui se trouve incarcéré par les Etats-Unis depuis 2002. Il fut l’un des premiers prisonniers transférés à Guantànamo, où l’armée américaine lui a attribué le numéro de série interne 028.

J’ai appris que la guerre en Afghanistan est terminée.

Cette guerre était censée être la raison pour laquelle je reste piégé ici, pourrissant dans cette horreur sans fin qu’est Guantanamo. J’écris cette lettre aujourd’hui pour demander, puisque cette guerre serait finie, pourquoi je suis toujours là ? Pourquoi rien n’a changé ?

Au milieu d’une pluie de bombes et d’une hystérie collective, j’ai fui l’Afghanistan par sécurité quand les Américains ont lancé leurs opérations militaires en 2001. J’ai été enlevé alors que je n’ai jamais combattu contre les Etats-Unis, j’ai été mis sous garde militaire US puis emprisonné, torturé et abusé à Guantanamo depuis 2002, sans jamais avoir été accusé du moindre crime.

Je proteste contre cette injustice en menant une grève de la faim, refusant la nourriture et quelquefois l’eau. Je suis l’un des plus anciens grévistes de la faim à Guantanamo, je suis devenu un homme frêle ne pesant plus que 44 kg pour1,68m.

Récemment ma dernière grève est passée dans sa deuxième année. Ma santé se détériore rapidement mais ma volonté de poursuivre ma grève est ferme. Je ne veux pas me tuer. Ma religion interdit le suicide. Mais malgré les crises quotidiennes de vomissements violents et de douleur aiguë, je ne veux ni manger ni boire pour protester pacifiquement contre l’injustice de ce lieu.

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Les bourreaux de Guantanamo procèdent à l’alimentation forcée par sonde insérée dans le nez, méthode brutale et inutilement cruelle - Photo : Chantal Valery

Ma protestation est la seule forme de contrôle que j’ai sur ma propre vie et je jure de continuer jusqu’à ce que je sois libre.

Je suis confiné en isolement dans ma cellule 22 heures par jour. Malgré mon état, les autorités de la prison lâchent tout un escadron anti-émeutes de 6 gardes géants pour m’extraire de ma cellule par la force. Ils m’attachent sur une chaise et me nourrissent de force brutalement tous les jours. Ils me poussent un grosse sonde dans le nez jusqu’à ce que je saigne, et après cela je vomis.

On n’écrit plus beaucoup de choses sur cette horrible procédure qui pourtant reste ma réalité quotidienne. C’est douloureux. Et c’est à rendre fou. Comment pourrais-je résister à qui que ce soit, et encore moins à des hommes comme ça ? La grève de la faim est une forme de désobéissance civile pacifique. Ce n’est pas un crime. Alors pourquoi me punit-on ? Pourquoi pas simplement et humainement m’alimenter par tube ?

Je me demande vraiment si les Etats-Unis respectent aucune loi, que ce soit la Convention de Genève voire sa propre Constitution.

Mon temps ici a été semé de questions sans réponses. Il y a deux ans, alors que j’essayais de prier, une descente soudaine a été ordonnée et un gardien m’a délibérément tiré dessus, sans avertissement ni provocation. Une fois encore, je ne résistais pas. Alors, pourquoi a-t-il tiré ? Mes vêtements étaient trempés de mon propre sang. Je veux que le gouvernement interroge ce gardien qui a tiré et qu’il rende des comptes sur ses actes.

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En toute illégalité, les Etats-Unis laissent encore et toujours mourir à petit feu 122 prisonniers à Guantanamo

Je commençais à me demander si tirer en l’absence de toute provocation est légal aux Etats-Unis. Mais maintenant je me rends compte que les agents de police étatsuniens s’en sortent toujours même quand ils tuent impitoyablement des personnes noires.

Je me demande vraiment si les Etats-Unis respectent aucune loi, que ce soit la Convention de Genève voire sa propre Constitution. Où sont la liberté et la justice pour tous dont ils se vantent si fièrement à la face du monde ?

Pour nous à Guantanamo, ce lieu ne convient à aucun être humain ni pour vivre ni pour respirer. Les USA semblent vouloir nous étouffer, nous tuer à petit feu puisqu’ils nous laissent dans un vide d’incertitude, ne sachant pas si nous serons jamais libres.

J’ai vécu les 13 dernières années dans ce désespoir, le payant de ma dignité, acquittant le prix d’entendre au théâtre politique du gouvernement américain. Entre-temps, peu de choses ont changé pour les 122 hommes qui restent à Gantanamo.
Le monde peut regarder ailleurs et estimer que ce nombre est faible. Mais pour chacun d’entre nous le coût de notre emprisonnement indéfini et injuste est incommensurable.

Nos familles ont perdu père, frères, maris et fils dans cet enfer sur terre. Beaucoup d’entre nous ont perdu sans nécessité toute une décennie de nos vies déjà si courtes en ce monde, aspirant à retrouver la liberté.

23 juin 2015 - Aljazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine - AMM


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