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Comment fonctionne le soutien international clandestin aux colons de Cisjordanie

mercredi 3 juin 2015 - 16h:21

Hannah Sterling & Sara Anna

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Des montages financiers permettent aux sionistes d’acheminer discrètement les fonds étrangers destinés à l’achat de terres palestiniennes pour de nouvelles colonies illégales.

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Conçues comme autant de bunkers, les colonies juives en Palestine occupée, grignotent lentement les terres appartenant aux Palestiniens - Photo : Dan Balilty/AP

En roulant vers le sud de Bethléem à Hébron par la route 60, une voie principale réservée aux seuls colons en Cisjordanie occupée, on passe par Beit Al-Baraka, un ancien domaine religieux constitué de 8 bâtiments en pierre jaune de Jérusalem. Il se situe juste au nord du camp de réfugiés d’al-Arroub et il a été pendant de nombreuses années le site d’une mission presbytérienne, d’abord en tant qu’hôpital, plus tard comme hôtellerie. Mais aujourd’hui on s’interroge sur les propriétaires, suite aux allégations de sa vente à des colons d’extrême-droite.

Selon Haaretz, le site a été vendu à Aryeh King, qui restaure le site en prévision de
l’emménagement de colons. Quand nous avons visité Beit Al-Baraka, la chose a été niée dans les environs, mais nos investigations montrent jusqu’où les colons peuvent aller pour s’assurer que l’identité réelle et les intentions d’acquisition de la propriété demeurent secrètes.

Une importance stratégique

Le site se révèle une acquisition stratégiquement importante pour le mouvement colonial. L’un des objectifs premiers des implantations coloniales est de permettre l’annexion de terres palestiniennes, au-delà de la « frontière » internationalement reconnue qu’est la Ligne Verte entre les Territoires Palestiniens Occupés (TPO) et Israël. Au centre du dispositif il y a le découpage de la terre palestinienne via un vaste réseau de routes exclusivement réservées aux colons, qui englobent des colonies jadis non attenantes pour les connecter en blocs contigus.

Les altérations radicales qu’Israël a apportées à la carte de la Cisjordanie excluent tout réelle possibilité d’établir un état palestinien indépendant viable – le modèle de solution préconisé par l’Occident. Cela transforme le rôle d’Israël en Cisjordanie de gardien de la terre (suite aux Accords d’Oslo qui envisageaient une période de transfèrement progressif du pouvoir aux Palestiniens) en puissance souveraine de facto.

Actuellement seule une colonie - Tzar Karmei – existe (au milieu de nombreux bourgs et villages palestiniens) entre le Bloc Etzion, une collection de colonies au sud de Jérusalem, et Hébron, en Cisjordanie méridionale, où les colons sont installés à l’intérieur de la ville. L’acquisition du site de Beit Al-Baraka permettrait de poursuivre la connexion des colonies entre le Bloc Etzion et Hébron, étendant le contrôle des colons sur le sud de la Cisjordanie.

Une visite à Beit Al-Baraka

Nous approchant de la clôture toute récente qui ferme à présent le site nous avons rencontré un résident dont la famille vit et travaille sur le domaine depuis des générations. Notre visite fut brève : il fallut moins de 5 minutes aux FDI pour venir nous escorter loin de la propriété, sous prétexte que le site est une zone militaire. Avant notre départ l’ouvrier nous avait dit que le domaine est aux mains d’une église scandinave ; plus tard son fils nous a précisé qu’il s’agissait d’une Scandinavian Seamen Holy Land Church (Église des marins scandinaves en Terre sainte). Le juriste et porte-parole vers qui nous avons été dirigées nous a dit qu’une « église suédoise » était propriétaire du site et que les rumeurs de vente à Aryeh King n’étaient « pas vraies ».

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Le site de l’église de Beit Al-Baraka sur la Route 60 - Photo : Sara Anna

Jusque 2008 une église missionnaire presbytérienne, « The Independent Board of Presbyterian Foreign Missions » était propriétaire du domaine, qu’elle avait d’abord géré en tant qu’hôpital puis à partir de 1995 comme hostellerie de pèlerinage. Quand cela devint ingérable, la propriété fut vendue. Le pasteur Keith Coleman à Philadelphie nous a confirmé que l’église avait vendu la propriété à « Scandinavian Seamen Holy Land Enterprises », qui, plutôt qu’une église, s’avère avoir été monté dans le seul et unique but d’acheter ce terrain secrètement. Créée en 2007 et enregistrée comme compagnie en Suède en 2008, elle a existé sous cette forme jusqu’en 2011. Aucun rapport annuel ni aucune information ne sont disponibles pour cette compagnie à l’Office d’Enregistrement suédois des entreprises après 2011. Elle s’avère avoir été dissoute en 2012, après l’enregistrement de la vente de Beit al-Baraka à l’Administration civile en Israël.

Le soutien international aux colonies

Les anciens membres du Conseil d’administration de « Scandinavian Seamen Holy Land Enterprises » (qui ont démissionné en 2011) sont listés comme étant Gro Faye-Hansen et son mari Bruno Wenske. Faye-Hansen-Wenske est la fille du Norvégien Per Faye-Hansen dont le nom apparaît parmi les « Justes parmi les nations  » au mémorial Yad Vashem. Il a également fondé l’Institut Karmel qui affirme travailler pour « la réalisation de la prophétie biblique en Israël », pour créer des liens entre Israël et les pays nordiques, et pour « contrecarrer l’antisionisme ».

Quant à Gro Faye-Hansen Wenske elle ne cache pas son désir de nettoyer ethniquement Israël et le TPO des « arabes », dans un article d’opinion publié sur le site d’information norvégien Dagen, que « la seule solution est d’expulser les Palestiniens » et que la première erreur d’Israël en 1948 est d’avoir « donné trop de pouvoir au groupe minoritaire [les Palestiniens, après l’expulsion en masse de 1948] ». Evoquant les opinions de son père elle dit : « Je ne suis pas convaincue que mon père ait eu raison, les arabes doivent quitter Israël ».

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Il ne faut pas cinq minutes aux Forces de Défense Israéliennes pour venir empêcher les auteurs d’enquêter sur le site - Photo Sara Anna

Une enquête de Haaretz a découvert qu’en 2012, « Scandinavian Seamen Holy Land Enterprises » a été acquis par « American Friends of Everest Foundation », dirigé par Irving Moskowitz. Ce citoyen américain fait partie d’un vaste secteur d’organismes non-lucratifs étatsuniens qui se servent de leur statut non imposable pour financer l’entreprise de colonisation.

L’acheminement de fonds dispensés de taxes vers des organisations, qui ensuite achètent des propriétés pour en faire des implantations coloniales, a été largement documenté dans les médias. Selon Haaretz, Moskowitz est le principal bailleur de fonds derrière les activités d’Aryeh King et ses achats de propriétés à Jérusalem-Est. La Fondation Everest possède un certain nombre de propriétés à Jérusalem-Est, évaluées à 12 millions de dollars, et à présent elle possède la compagnie suédoise qui contrôle le domaine de l’église.

Moskowitz est également responsable de la "Fondation Irving Moskowitz", une organisation dispensée d’impôts qui transmet de l’argent à d’autres groupes ostensiblement caritatifs comme « Friends of Ir David » (« amis de la Cité de David »), lesquels subventionnent ensuite des organismes acheteurs de biens et de terres arabes pour des implantations coloniales. Exemple d’organisation indirectement financée par la Fondation Moskowitz : Elad – le groupe responsable de l’achat de 25 unités d’habitation à Silwan, à Jérusalem-Est, puis de leur « rachat » en septembre 2014 par des colons – à qui les Amis de la Cité de David ont donné la quasi totalité de leurs revenus en 2011 et 2012.

Une politique israélienne

Bien que l’acquisition du domaine de Beit al-Baraka par des groupes de colons se soit faite en secret, sans que les FDI ni le gouvernement israélien ne soient mis au courant, il est hautement probable que les politiciens pro-colons feront pression pour permettre aux nouveaux résidents de rester. Il y a de solides précédents historiques de légalisation par l’état israélien d’avant-postes qui étaient initialement non autorisés, ce qui équivaut à une politique de soutien de facto.

Dans le cas de Beit al-Baraka, la véritable identité du propriétaire et ses projets pour le site avaient été gardés bien secrets jusqu’à présent. La famille palestinienne du camp d’Arroub qui vit et travaille sur le domaine n’était pas consciente de ces développements. Certains résidents voisins avaient exprimé leur inquiétude quant aux intentions israéliennes dans la zone ; mais ils visaient surtout la zone au sud-est du camp d’Arroub, là où deux maisons ont été démolies l’an dernier, apparemment pour absence des permis de construction nécessaires, et où selon les résidents du camp d’Arroub les Israéliens projettent d’installer une colonie.

Le nouveau Ministre des affaire étrangères Dore Gold a récemment rejeté l’obligation pour Israël de se retirer derrière la Ligne Verte : « D’aucuns continuent à exiger qu’Israël se retire des lignes qui existaient avant la guerre. Disons-le clairement : Israël ne peut pas se retirer sur des frontières indéfendables et ne le fera pas ».

Cela coïncide avec un discours récent de la nouvelle vice-ministre aux affaires étrangères Tzipi Hotovely où elle indique son intention d’obtenir une reconnaissance légale complète des colonies de Cisjordanie affirmant : « Cette terre est la nôtre. Elle est entièrement nôtre ». Après l’élection de mars 2015 et la formation du gouvernement le plus à l’extrême droite qu’Israël a jamais connu, le cas de Beit al-Baraka semble participer de l’inévitable expansion des colonies dans le but d’établir de nouvelles réalités frontalières ; il éclaire également le rôle clandestin joué par des partisans individuels de la colonisation.

* Hannah Sterling est une militante et écrivaine vivant dans le camp de réfugiés d’Aida en Cisjordanie.
* Sara Anna est une réalisatrice de documentaires qui travaille actuellement dans ce même camp de réfugiés.

29 mai 2015 - MondoWeiss.net - Vous pouvez consulter cet article à :
http://mondoweiss.net/2015/05/settl...
Traduction : Info-Palestine.eu - Marie Meert


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