16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Vous êtes ici : Accueil > Dossiers > Palestine > Analyses

Construire un État défaillant : la dissociation de la gouvernance et de l’économie palestiniennes

vendredi 8 mai 2015 - 07h:46

I. Shikaki & J. Springer

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Les solutions techniques en dehors du contexte politique ont contribué à la création d’un État défaillant en Palestine, et ont nui à la lutte palestinienne collective pour la liberté, transformant l’Autorité Palestinienne en quelque chose de semblable à une O.N.G.

JPEG - 61.7 ko
Photo : APA

État des lieux

Depuis sa création, l’Autorité Palestinienne est lourdement handicapée. Israël n’a pas seulement failli à transférer le contrôle des pouvoirs et des ressources nécessaires au gouvernement : il a transféré effectivement, la charge de la gouvernance à l’Autorité Palestinienne.

L’aide internationale estimée en milliards de dollars et dédiée à l’Autorité Palestinienne pour le « développement », l’infrastructure, l’aide humanitaire et budgétaire, a été saluée comme une entreprise couronnée de succès visant les édifications institutionnelles. La réalité est cependant différente ; en effet, Israël a conduit à des conditions socio-économiques désastreuses et a transformé l’Autorité Palestinienne en une espèce d’ONG, une machine administrative bien huilée, pour faciliter la mise en place de micro-projets financés par l’aide de donateurs. Et même ces petits projets sont contrôlés par Israël mais cette information n’est pas largement diffusée.

Ibrahim Shikakin, membre d’Al-Shabaka et l’auteur invitée d’honneur, Joanna Springer soutiennent que la dépolitisation du développement économique a conduit à un engouement pour l’efficacité normative et les solutions techniques, sans considération du contexte politique et institutionnel. Une approche qu’on pourrait qualifier de techno-fétichiste. Pire encore, ceci a écorné le récit de la libération de la Palestine. D’autre part, le contrôle israélien des Territoires Palestiniens Occupés et son influence sur les politiques d’aide provenant de donateurs, ont forcé l’Autorité Palestinienne à recourir à des activités économiques de « contournement de l’occupation » tentant d’éviter les obstacles israéliens sans grand sentiment de responsabilité pour le peuple palestinien.

Parmi d’autres politiques et recommandations visant à redresser la situation, Shikaki et Springer suggèrent que l’Autorité Palestinienne reconsidère ses efforts dans la réalisation des obligations économiques générales, recommandées par les institutions financières internationales. Il est plutôt urgent d’adopter des politiques qui visent directement les conditions créées par l’occupant et qui réduisent progressivement la dépendance à Israël. Ils exhortent également les donateurs à équilibrer la situation en soutenant une organisation politique indépendante et la mobilisation de la société civile ainsi que des systèmes institutionnalisés, partageant la responsabilité entre l’Autorité Palestinienne et les citoyens palestiniens.

Réformer la gouvernance mais céder le contrôle

Chez les pays donateurs qui fournissent un soutien financier à l’Autorité Palestinienne, les reformes gouvernementales des 10 dernières années ont été considérées comme un succès retentissant. C’est en partie sur cette base que l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) a vu l’amélioration de son statut diplomatique et la reconnaissance formelle de sa qualité d’État dans nombre de pays donateurs, ces dernières années. Cependant, un examen plus attentif révèle que la réforme gouvernementale a conduit à l’existence de zones clés de cantonnement de la souveraineté ; la cause étant le contrôle israélien sur presque tous les aspects de la vie palestinienne. Bien que les contrôles israéliens aient déjà été largement discutés, il est important de les résumer brièvement ci-dessous, ils incluent le contrôle sur :

- les ressources naturelles y compris l’eau et les minéraux
- les ressources financières intérieures y compris les revenus (taxes à l’importation, la TVA et le droit d’accise [impôt indirect sur la consommation – N.dT] sur les hydrocarbures) qui constituent les deux tiers des revenus totaux de l’Autorité Palestinienne et ont financé 40% de ses dépenses en 2013, des revenus utilisés régulièrement comme moyen de pression politique.
- les frontières extérieures : toute importation de matériel brut ou de machines doit passer par le contrôle israélien. (1)
- les politiques économiques : la politique monétaire est largement déterminée par la Banque Centrale Israélienne selon les besoins et les priorités israéliens, sans considération des indicateurs et des objectifs de l’économie des Territoires Palestiniens. Le surévalué Shekel israélien nuit aux exportations palestiniennes et maintient l’investissement en dehors des secteurs clés tels que l’industrie et l’agriculture qui pourraient être orientées vers l’exportation. (2)

Même la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ont récemment souligné la nécessité vitale de créer une économie viable et un futur État pour un contrôle palestinien.

Attendu qu’Israël contrôle ce qui devrait relever du domaine souverain d’un gouvernement national dans un pays indépendant, les réformes de la gouvernance de l’Autorité Palestinienne et son approche pour le développement se sont concentrés sur des considérations technocratiques, administratives, axées sur les procédures, confinant les palestiniens à la réalisation de projets à petite échelle. D’autre part, Israël contrôle jusqu’aux opérations les plus banales même si son influence dans la planification du « développement » de projets est sous-estimée et discrète.

Israël repose sur le Comité Ad Hoc de Liaison (AHLC), l’institution la plus puissante dans la planification des opérations de développement et leurs réalisation en Cisjordanie. Ce qui lui donne un rôle dans l’établissement du programme de la politique de développement avec les principaux pays donateurs et les institutions financière internationales.

Lorsqu’il s’agit de l’exécution des projets, l’Autorité Palestinienne n’est pas représentée dans l’une des deux agences de coordination locales : le Comité Mixte de Liaison ou le Groupe de Travail pour l’Exécution de Projets. Toutefois, les liaisons avec le gouvernement israélien sont actives dans les deux agences, démontrant ainsi son pouvoir sur l’économie palestinienne. Les donateurs travaillent en coordination avec Israël pour des raisons pratiques, aussi bien pour exécuter les projets qu’en tant que substitut de l’Autorité Palestinienne. Cette dernière manque de pouvoir de négociation vis-a-vis des autorités israéliennes. Par conséquent, le rôle essentiel de gouvernance lui est confisqué, ce qui compromet le prétendu objectif des bailleurs de fonds pour la construction d’un État dans les Territoires Occupées Palestiniens.

D’autre part, Israël interfère dans les activités d’aide des agences, avec de sérieuses répercussions sur leurs projets de développement en Palestine. En 2011, l’Association des Agences d’Aide au Développement AIDA a publié des données concluantes sur le détournement des dons pour éviter les obstacles physiques et bureaucratiques israéliens. En fait, comme le révèle le rapport, les politiques israéliens obligent les bureaux d’aide à changer leurs programmes conduisant ainsi la majorité des agences à adopter des stratégies moins efficaces qui échouent à servir les populations les plus vulnérables.

En décrivant les efforts de reconstruction de Gaza en 2012, l’ancien chef de l’Organisation Mondiale de la Santé en Palestine a expliqué : « Tous nos efforts ont été contrecarrés par l’obstruction et la bureaucratie kafkaïennes d’Israël. Ils nous ont bridés en négociant le nombre de camions qui pourraient être autorisés à entrer et le nombre de passages ouverts ou fermés, quelles étaient les informations nécessaires pour la déclaration de la marchandise et combien de permis ils émettraient pour les conducteurs de l’ONU. »

Un autre exemple frappant de l’ingérence israélienne concerne la reconstruction des maisons après l’attaque contre Gaza en 2014, administrée par l’ONU. A travers le processus de reconstruction de Gaza, l’ONU a pris en charge efficacement, l’administration des aspects du blocus israélien bien que le siège soit en violation de la loi internationale. Le but était de faciliter la reconstruction d’un cinquième des 100 000 maisons avant l’hiver en surveillant les matériaux afin de s’assurer qu’ils ne seront pas utilisés pour la construction de tunnels.

Néanmoins, les mesures exigées par les israéliens sont devenues excessivement complexes et lourdes. La quantité de ciment et autres matériaux de construction autorisés à entrer sur le territoire et distribués aux propriétaires était cruellement insuffisante, contribuant ainsi à de nouveaux niveaux de crise à Gaza. En outre, les système de localisation par GPS, les caméras vidéo et les bases de données centralisées comportant des informations privées concernant tous les destinataires du matériel, ont contribué au contrôle des habitants de Gaza par les israéliens. En réalité, le choix de la communauté internationale de contourner le blocus au lieu de l’affronter a renforcé la poigne israélienne, en contribuant peu à l’effort de reconstruction.

Quand une seconde option politique est une meilleure solution

L’Autorité Palestinienne a essayé d’exercer ses fonctions politiques au sein d’un contrôle israélien draconien, sans oublier les paramètres stricts fixés par la communauté des donateurs. Prenons l’exemple d’une des initiatives majeures de Salam Fayyad en tant que Premier Ministre pour l’élaboration de programmes sur une durée de 3 ans afin de fixer les objectifs de développement pour les Territoires Occupés. Il a utilisé une nouvelle méthode de planification dans l’intention d’encourager une plus large participation, et de donner à l’Autorité Palestinienne un rôle plus important pour l’établissement du programme.

Les ministères palestiniens et les organismes d’aide des donateurs ont tenté de rassembler les contributions au niveau local, selon des groupes de travail et par secteur. Ils ont tenté d’enrichir de leurs recommandations les dirigeants du ministère de la planification. Les plans qui en résultèrent, sous la surveillance des donateurs, ont donné des rôles de co-présidents de groupes dans des secteurs stratégiques en tant que conseillers stratégiques ou de représentants selon un rapport de 3 à 1, dans le Forum de Développement Local, aux donateurs.

Quant au rôle obstructionniste joué par Israël dans les institutions clé de prises de décisions, il reste sous silence et non abordé dans les plans.

La stratégie de Fayyad pour la « libération par la réforme » a été discréditée en 2013 après que la croissance du PIB dépendant des aides ait commencé à décliner, et après que de petits signes de changements ont été observés sur le terrain après la reconnaissance de l’État par l’ONU en 2012.

Les donateurs et les ministres de l’Autorité Palestinienne continuent encore à gérer les ressources et orienter l’attention pour l’amélioration de l’organisation du plan de développement 2014-2016.

Le nouvel objectif était de relier l’organisation au processus budgétaire en coordination avec les agences et en synchronisant les processus administratifs. En plus des nouveaux processus bureaucratiques complexes, de nouveaux types de collecte des données sont nécessaires pour obtenir des prédictions réalistes pour les budgets des donateurs individuels sur une période de 3 ans.

Comme on peut le voir dans le détail des termes de référence dans le cadre de la planification 2014-2016, la mesure du succès ou de l’échec est liée à la question de savoir si ces termes sont mis en pratique, plutôt que mesurer l’impact du plan de développement résultant. En d’autres termes, il s’agit plus d’une question de succès administratif plutôt que de progrès du développement.

D’autre part, cette réforme particulière a contraint l’Autorité Palestinienne à s’orienter vers une contraction budgétaire pour s’aligner sur la diminution de la fréquence de l’aide, et la rétention répétitive des recettes douanières par Israël ; sans parler de la diminution du flux des ressources des Territoires Occupés. Une autre conséquence de cette approche est qu’elle lie les dépenses publiques de l’Autorité Palestinienne, et de ce fait, les possibilités de développement des Territoires, à des décisions budgétaires prises au sein des parlements des pays donateurs. Malgré des réformes substantielles du côté de l’Autorité Palestinienne, l’aide des donateurs est encore déterminée sur un plan politique et donc souvent peu fiable, transformant la planification à moyen terme en exercice ponctuel.

Si l’objectif le plus important de la réforme institutionnelle est de démontrer à la communauté des donateurs que l’Autorité Palestinienne est un destinataire responsable, pour les fonds des donateurs, grâce à des efforts constants pour réduire son déficit budgétaire alors même que les ressources publiques sont étouffées par l’occupant ; dans ce cas, ces réformes atteindront sans doute leurs objectifs. Mais, si le but est d’avoir un gouvernement possédant une capacité de leadership supérieure dans la mise en place d’un programme stratégique pour le développement dans les Territoires Occupées, alors ces réformes ont échoué.

Bien que lier la planification à la budgétisation soit indéniablement la meilleure pratique, le contexte politique et économique des Territoires Occupées laisse penser qu’une autre solution politique meilleure, pourrait apporter des résultats supérieurs. Le cadre de la planification de 2014-2016 reconnaît que des attentes budgétaires réalistes signifient que les dépenses fiscales doivent se limiter à répondre « aux besoins essentiels les plus urgents » des palestiniens. Ce qui ressemble plus à une stratégie pour une intervention humanitaire plutôt qu’à un plan de développement d’un État souverain.

En d’autres termes, les conditions d’occupation continuent à transformer une « meilleure pratique » en une reconnaissance d’échec par l’Autorité Palestinienne. Au lieu de cela, une seconde meilleure stratégie pourrait continuer de produire des plans de développement globaux même si leur financement reste peu probable. Ces plans fonctionneraient comme une déclaration politique concernant le potentiel développement palestinien qu’on contrecarre. Ils devraient être fondés sur un système budgétaire raisonnable et devrait attribuer directement les causes des déficits à l’occupation et à la dépendance à l’aide.

Concentration inappropriée sur le marché

Dans son sens le plus large, la gouvernance tente de créer les outils et les cadres nécessaires pour contribuer au bien-être de la société en terme de condition socio-économique ; donc, il s’agit aussi d’un sous-produit d’un discours national particulier. A partir de cette perspective, l’approche néolibérale actuelle n’est pas seulement problématique d’un point de vue économique, mais a aussi un impact destructeur sur les aspirations nationales palestiniennes. Ceci est en partie le résultat de l’influence de l’Autorité Palestinienne sur le discours public autour de la résistance et des politiques nationales face à la puissance d’occupation, comme on le verra plus loin.

Il est à noter que de nombreuses facettes du néolibéralisme sont fortement biaisées dans le contexte palestinien. Par exemple, en alignement avec les préceptes néolibéraux, les dépenses pour l’éducation ont été réduites, conduisant à une augmentation progressive des frais de scolarité. Par ailleurs, 300 000 compteurs d’électricité pré-payés ont été installés en Cisjordanie y compris dans les zones rurales et les camps de réfugiés afin d’éradiquer la « culture du tout m’est dû » ; en conséquence, les familles pauvres ont perdu l’accès à l’électricité.

Cependant, les considérations politiques l’ont souvent emporté sur la politique économique : incompatible avec les manuels néolibéraux, les transferts de l’aide sociale depuis le Ministère des affaires sociales ne cessent d’augmenter. D’autre part, malgré la pression soutenue pour baisser la masse salariale de l’Autorité Palestinienne, le secteur public représente encore 20-25 % de la force de travail palestinienne. Après tout, le soutien financier que l’Autorité Palestinienne fournit à travers les salaires des fonctionnaires et les transferts directs est la clé de sa légitimité.

Afin d’appliquer son principe fondamental d’efficacité, défini en termes de transactions de marché, le néolibéralisme est construit sur l’expansion du marché dans tous les domaines de l’activité humaine. Ceci décrit avec pertinence le cas palestinien, pour qui le marché a pesé lourdement. Le discours actuel de l’Autorité Palestinienne indique le rôle des institutions gouvernementales et municipales, comme étant simplement lié au Service ou apolitique. Au lieu de la résistance économique à l’occupation, comme refuser de payer les taxes à Israël ou boycotter le travail et les produits israéliens (comme ce fut le cas lors de la première Intifada), la coopération économique (lire capitulation) a été favorisée. Des entreprises communes ont fleuri ; surtout, de nombreux palestiniens proches de l’Autorité Palestinienne sont devenus des agents commerciaux pour les produits israéliens, créant ainsi des intérêts mutuels entre les capitaux et le pouvoir palestiniens d’une part, et le business israélien d’autre part.

Les relations économiques entre l’Autorité Palestinienne et Israël ainsi que l’approche néolibérale de l’Autorité Palestinienne ont eu un impact progressif mais profond sur les choix et les tendances de consommation des gens qui sont au cœur du système économique. Les tendances de la consommation palestinienne ne sont alignées ni sur leurs revenus ni sur leur situation générale sous occupation. Les subtiles messages publicitaires mais aussi le système bancaire encouragent la surconsommation en fournissant un système de crédit « extensible ». En 2012, la consommation finale des ménages était de 9.6 milliards de dollars (86 % du PIB aux prix courants). Selon les rapports de la Banque Mondiale, seuls 10 pays présentaient un ratio plus élevé entre les années 2010 et 2014.

Les données de l’Autorité Monétaire Palestinienne ont montré en 2013 qu’autour des deux tiers des crédits sont allés à l’immobilier (construction exclue), aux dettes des cartes de crédits, aux voitures, aux « prêts à la consommation » et au commerce. Bien que le crédit soit crucial pour toute économie, le système de crédit sain est celui qui finance les projets productifs créateurs d’opportunités d’emplois ou stimule la demande globale pour les produits locaux. Ce qui n’est pas le cas pour les palestiniens. Au contraire, conformément au modèle d’allocation de crédit, la richesse est de plus en plus concentrée alors que les salaires réels (en prenant en compte l’inflation) ont été réduits de 11 % entre 2006 et 2010 (diminution de 3% en Cisjordanie et 31 % dans la bande de Gaza).

Une économie de contournement de l’occupation

Pendant que les officiels de l’Autorité Palestinienne soutiennent du bout des lèvres l’agriculture, la part du budget qui lui a été consacrée n’était que de 1% alors que 28 % ont été dédiés à la « sécurité » en 2013. D’autre part, moins de 1 % de l’aide totale a été consacrée aux activités liées à l’agriculture, entre 1994 et 2006. Bien que la Banque Mondiale ait consacré, à l’échelle mondiale, 8.3 milliards de dollars à l’agriculture entre 2013 et 2015, sur la base de recherches suggérant que l’investissement dans ce secteur pourrait réduire la pauvreté de 75% chez la population pauvre mondiale.

Le manque de soutien à l’agriculture palestinienne a été attribué par les décideurs à la faible productivité du secteur. Il est vrai que la productivité moyenne (rapport emploi/contribution) est inférieure dans le secteur de l’agriculture par rapport aux secteur des services et de la manufacture ; cependant, le secteur de l’agriculture joue un rôle beaucoup plus important que celui de contribuer simplement au PIB.

D’autre part, la faible productivité est en partie causée par le manque de soutien de l’Autorité Palestinienne et de l’aide internationale, ce qui empêche les agriculteurs d’utiliser les nouvelles technologies pour remplacer des techniques dépassées. Ainsi, la contribution du secteur de l’agriculture au PIB a diminué de 12 % en 1995 à moins de 5 % en 2012. Le manque de soutien pour le secteur est souvent justifiée par l’accès restreint à la terre et à l’eau pour les activités agricoles, imposé par Israël dans la zone C (la zone C est une zone sous contrôle total israélien alors que les Accords d’Oslo prévoyaient une période provisoire de contrôle.)

En attendant, les recommandations des donateurs concernent les activités de services comme les sociétés informatique. Bien qu’investir dans le secteur informatique soit important pour le développement économique dans le contexte contemporain mondial, dans le cas des Territoires, il porte la marque d’une activité de « contournement de l’occupation ».

A l’inverse du secteur de l’agriculture, il n’y a pas de problème de camions de logiciels attendant dans la chaleur en face d’un poste de contrôle israélien ! De plus, il n’y a pas besoin de contrôles aux frontières pour exporter des logiciels. Enfin, ce secteur a conduit à des activités informatiques communes palestino-israéliennes constituant un autre aspect de la problématique dans ce secteur. Les entreprises communes ont exploité les programmeurs palestiniens et leurs bas salaires puisqu’ils sont payés moins du tiers du salaire de leurs collègues israéliens.

Selon de nombreuses approches portant sur le développement, une économie en développement devrait importer les technologies vers le secteur agricole afin d’économiser la main d’œuvre et permettre le transfert des ressources vers le secteur de l’industrie. Plus récemment, les économies émergentes ont compensé leurs limites dans le secteur industriel en accordant plus d’importance au secteur des Services. Cependant, en Palestine, l’occupation a vidé les deux secteurs productifs - aussi bien celui de l’industrie que celui de l’agriculture – alors que le secteur du service s’est plus fragmenté, il est dépendant de l’aide et moins fiable.

En fait, il est essentiel d’investir dans l’agriculture palestinienne. A court terme, l’agriculture est idéale pour absorber la main d’œuvre vu sa forte demande face au fort taux de chômage des Territoires Occupés (23 % en 2013). De plus, l’agriculture a déjà permis à un grand pourcentage de femmes de travailler. D’aucuns mettent en avant le très faible taux de l’activité féminine (17% en 2013 vs 70 % d’hommes) en partie dû au rôle amoindri de l’agriculture dans l’économie palestinienne. Malgré les obstacles créés par l’occupation israélienne contre l’activité agricole palestinienne, des investissements dans ce secteur pourrait avoir un impact immédiat pour réduire la pauvreté en créant de l’emploi dans les zones rurales.

Enfin, un point très important concernant le lien indissociable entre économie et politique : la grande majorité des terres cultivables se trouve en zone C. Cette zone, qui inclut une grande partie de la vallée fertile du Jourdain, n’est pas seulement sous total contrôle israélien, elle englobe aussi la grande la majorité des colonies israéliennes. Face à cet obstacle majeur qu’est le contrôle israélien, l’agriculture nécessite moins d’infrastructures et d’investissements contrairement au secteur de l’industrie, par exemple, elle peut commencer par des projets à petite échelle.

Le sous-investissement dans le secteur de l’agriculture a conduit au déplacement de la main-d’œuvre palestinienne de cette zone vers d’autres places en Cisjordanie. Sous la pression de trouver un emploi dans le secteur du service ou de l’industrie, la migration depuis la zone C a indirectement facilité l’expansion des colons et du réseau de peuplement mais aussi la création de nouveaux postes. Pour cette raison, une plus grande concentration en zones agraires pourra aider à contrer le déplacement des palestiniens vers la Cisjordanie et permettre aux palestiniens de résister contre la restriction de l’accès aux terres agricoles.

Laisser la main aux dirigeants palestiniens

Le plan de développement dans les Territoires Occupées n’a pas réussi à surmonter les obstacles structurels au développement. Le programme politique de la communauté des donateurs exclut les dépenses du gouvernement pour la création d’emplois dans les secteurs productifs, et restreint les changements structurels en faveur des pauvres. De plus, l’approche technique choisie pour le programme de développement absorbe les énergies de l’Autorité Palestinienne dans des réformes administratives tout en étant peu incitatifs pour un leadership répondant aux priorités des citoyens. Les plans de développement ne parviennent donc pas à répondre aux priorités majeures des palestiniens aussi bien politiques qu’économiques.

De même, le secteur privé palestinien qui était le pilier principal de l’économie avant 1994, aujourd’hui affaibli, n’est pas en mesure d’investir dans des projets sans soutien ou bénéfices importants. Les organisations de la société civile dépendent également de l’aide et travaillent en son sein, rendant le soutien aux projets durables du secteur de l’agriculture très difficiles, par exemple.

Sous l’influence d’encadrements néolibéraux et d’une occupation israélienne tyrannique, les réformes de la gouvernance, dont on fait si grand cas, ont fixé des limites aux capacités fiscales de l’Autorité Palestinienne, elles ont aussi restreint les plans de développement à des micro-projets. Elles ont d’autre part, initié le techno-fétichisme dans la politique décisionnelle palestinienne, en alignant l’Autorité Palestinienne sur un mandat technocratique, administratif et centré sur les procédures, un alignement supposé représenter une pratique meilleure et universelle.

A son tour, l’Autorité Palestinienne a essayé d’imposer cet encadrement restrictif au débat politique palestinien. La responsabilité ascendante à l’égard des donateurs et les nécessités imposées par le micro-contrôle israélien ont dilué la responsabilité descendante qui pourrait exercer une pression sur l’Autorité Palestinienne afin qu’elle réponde plus efficacement aux priorités des citoyens. En conséquence, aucun progrès réel n’a été notée selon l’ensemble des indicateurs ou dans la vie quotidienne des palestiniens ; au contraire, un fort déclin a été observé.

A court terme, l’Autorité Palestinienne devra trouver le moyen qui lui permettra de couper les liens de dépendance envers Israël, et remplacer cette politique actuelle de capitulation économique. Le boycott des produits israéliens est une étape importante, à commencer par les produits de consommation faciles à remplacer par des produits provenant de l’industrie locale. l’Autorité Palestinienne a déjà fait un petit pas en ce sens en appelant au boycott de 6 compagnies israéliennes (il reste à voir comment ce sera vraiment mis en place).

A long terme, l’Autorité Palestinienne devrait sérieusement considérer la transition vers un mandat avec des prestataires de services de base (santé, éducation) plutôt que de tenter de gérer les Territoires Occupés en l’absence d’élections ou de souveraineté politique et économique. Il ne s’agit pas d’un simple changement de sommes forfaitaires mais d’un besoin d’une planification adéquate et de discussions internes ; pour exemple d’une telle discussion, on peut consulter le rapport du Centre Palestinien pour la Recherche Politique et les études d’opinion (Palestinian Center for Policy and Survey Research) : « the day after » (le jour d’après).

Il est important pour la communauté des donateurs de répondre aux contraintes aussi bien politiques qu’économiques ainsi qu’aux conséquences de leurs politiques. Les donateurs devraient renoncer à leur emprise sur la mise en place de l’agenda en usant de leur influence sur la politique gouvernementale et les programmes ; ceci devra s’étendre jusqu’aux programmes du secteur non-gouvernemental. Un virage stratégique eut être pris en favorisant des regroupements cohérents et des engagements politiques parmi les nombreuses organisations de la société civile des Territoires Occupées.

Une politique est à mener afin de contrebalancer le pouvoir de l’Autorité Palestinienne grâce à une stratégie de support à l’organisation politique indépendante et la mobilisation de la société civile. Enfin, les réformes de la gouvernance devraient impliquer l’artisanat et mettre en place des systèmes institutionnalisés de responsabilisation entre l’Autorité Palestinienne et les citoyens palestiniens. 

Les donateurs doivent également faire face au problème de la dépendance à l’aide des projets de « contournement de l’occupation ». Une approche pratique serait de mettre en place un programme clair pour un développement économique en faveur des pauvres. Cela contraste vivement avec la politique néolibérale qui mine les priorités des citoyens en justifiant les charges qui pèsent sur les pauvres avec des prédictions à long terme d’une amélioration de la croissance économique.

D’autre part, les donateurs devront soutenir un discours convenu en interne à propos de la résistance. Ceci permettra de soutenir des projets qui intensifieront le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) ; en particulier, via un engagement pour favoriser une plus grande indépendance économique. Ceci pourra être réalisé en partie en utilisant les produits locaux au lieu des produits israéliens. Cependant, le succès dépend également de la construction de réseaux d’alliés à l’étranger pour faciliter l’exportation des produits locaux au lieu de compter sur les entreprises israéliennes et les chambres de compensation.

Il est temps pour l’Autorité Palestinienne de reconnaître que l’économie dominante ne permet aucun réel développement dans les Territoires Occupées Palestiniens attendu que les conditions d’occupation prolongée et de colonisation créent un contexte institutionnel biaisé pour le plan et la politique de développement. Par conséquent, la notion de « sagesse conventionnelle » est dépassée et doit être abandonnée en faveur d’une approche qui prend en considération les réalités institutionnelles et politiques spécifiques aux Territoires occupées. Le but d’un plan de développement doit fondamentalement être le progrès vers la liberté, la justice et l’égalité pour tout le peuple palestinien.

Notes :

1. La seule frontière sans présence physique israélienne est le point de passage de Rafah entre Gaza et l’Égypte. Cependant, le passage a rarement été autorisé à fonctionner.

2. Parce qu’une monnaie palestinienne indépendante permettrait un meilleur contrôle au niveau de la politique monétaire, il est légitime que des discussions concernant la préparation de cette monnaie et les alternatives possibles aient lieu.

21 avril 2015 - al-Shabaka - Vous pouvez consulter cet article à :
http://al-shabaka.org/briefs/buildi...
Traduction : Info-Palestine.eu - Lalla Fadhma N’Soumer


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.