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Obama considère-t-il la guerre au Yemen comme une opportunité ?

samedi 11 avril 2015 - 20h:56

Ramzy Baroud

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Parler d’un "échec" des politiques des Etats-Unis au Yémen est sous-estimé. Cela signifierait que les Etats-Unis ont au moins tenté de réussir quelque chose. Mais "réussir" quoi ? La guerre avec des drones n’avait d’autre objectif que de célébrer l’élimination de toute personne désignée comme terroriste sur la liste des Etats-Unis.

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Des hommes armés partisans des Houthis, brandissent leurs armes dans la capitale Sanaa le 1er avril, lors d’une manifestation contre l’Opération "Tempête Décisive" lancée par la coalition dirigée par les Saoudiens - Photo : AFP

Mais maintenant qu’une guerre civile et régionale a éclaté et que le degré d’influence des Etats-Unis au Yémen est apparu comme limité, la guerre contre al-Qaïda dans la Péninsule Arabe (AQAP) - dans un contexte plus large de rivalité politique, tribale et régionale – parait insignifiante.

L’échec - si nous devons utiliser ce terme - n’est bien sûr pas seulement américain, mais implique la plupart des alliés des Etats-Unis qui n’ont prêté aucune attention à la longue misère du Yémen - la pauvreté, la corruption, la violence et le manque de tout horizon politique - jusqu’à ce que le pays ait finalement implosé. Ce n’est que lorsque les Houthis ont investi Sanaa en septembre dernier - à tout point de vue un acte insensé - que la situation au Yémen a acquis un caractère d’urgence suffisant pour déclencher une intervention.

De façon tellement commode, les rebelles Zaidi Houthis du nord ont été définis comme les "rebelles chiites" avant d’être métamorphosés en "rebelles chiites soutenus par l’Iran". Il n’en fallait pas plus pour tracer une ligne rouge, véritable cri de ralliement pour les pays musulmans "sunnites" pour former une coalition sans précédent afin de remettre en place "le gouvernement légitime" du Président Abdrabbouh Mansour Hadi, dont la "légitimité" est au mieux incertaine.

Longtemps les Etats-Unis ont semblé invulnérables à ce que même les analystes du Yémen admettent, à savoir qu’il s’agit d’un sujet difficile à appréhender si l’on exclut les explications simplistes. Les drones américains ont bourdonné au-dessus de tout cela sans y prêter attention. Ils ont "éliminé" quiconque était suspecté d’être lié à al-Qaïda. On a même appris que le Président Barack Obama avait approuvé "une liste secrète pour tuer" et avait accepté que les pertes ainsi occasionnées désignaient "essentiellement tous les mâles en âge de porter les armes et considérés comme des combattants dans une zone de frappes".

En fait, la chronologie des événements qui ont frappé le misérable Yémen nous montre un étrange phénomène où l’intervention des Etats-Unis dans ce pays est menée en parallèle et à l’écart de tous les autres horribles événements, de la violence, de la souffrance et des jeux politiques partisans. Pour sûr, la guerre menée dans l’ombre par les Etats-Unis avait aggravé les souffrances endurées, démoralisé la nation et miné tout processus politique en cours - particulièrement après la version yéménite du Printemps arabe au début 2011. Toutefois, les Etats-Unis ont négligé les alliances déjà fragiles et le fait que le Yémen allait à pas accélérés vers la guerre civile, ou pire encore, vers une guerre régionale soit directe soit par procuration.

Cette responsabilité de remettre sur pied un Yémen en pièces a été laissée aux Nations Unies. Mais dans un contexte de rivalité régionale poussée à son paroxysme entre l’Iran et les pays du Golfe, les représentants des Nations Unies disposaient de peu de marge pour des négociations qui aient un sens. En dépit des assurances répétées que "le dialogue national" était sur la voie pour remettre en place le corps politique du Yémen, tout a échoué.

Les Etats-Unis n’ont cependant rien changé à leur guerre, armant quiconque est considéré comme un allié, exploitant les dissensions régionales et renforçant le pouvoir d’al-Qaida à un point qui dépasse de loin leur présence sur le terrain. Le Yémen est considéré comme une commode « guerre contre le terrorisme ». C’était suffisant pour qu’Obama puisse se donner une apparence de fermeté, conformément à ce que les électeurs américains attendent de leurs présidents, sans grand risque d’un bourbier militaire comme ceux que son prédécesseur, George W Bush, a produits en Irak et en Afghanistan.

Mais ce n’était pas aussi simple. Même une guerre "propre" avec des drones pilotés depuis des endroits éloignés suffit rarement à produire des résultats.

Laissant de côté la responsabilité morale de torturer une nation déjà blessée, les Etats-Unis ont semblé ne rien comprendre à la façon dont ses actions frustrent et alimentent les conflits régionaux. Son exacerbation des divisions sectaires en Irak après l’invasion de 2003, conduisant à une guerre civile à grande échelle quelques années plus tard, est restée une leçon sans lendemain. Ce "diviser et conquérir" a très mal tourné. A la suite de la guerre un gouvernement chiite, autoritaire et brutal, soutenu par les Etats-Unis, a pris sa revanche sur les tribus et les communautés sunnites à travers l’Irak, le sommet étant atteint avec la montée en puissance du barbare et ainsi-nommé "État Islamique (EI)", transformant l’Irak, et naturellement la Syrie, en un sauvage champ de bataille.

Les jours sont loin ou seules les politiques des Etats-Unis dictaient le cours de l’histoire au Moyen-Orient. La guerre d’Irak a été catastrophique à tous les niveaux, amenant Obama, le Président nouvellement élu, à abandonner l’idée de l’intervention militaire directe comme moyen d’atteindre des buts stratégiques et politiques.

La doctrine Obama revenait à vouloir combiner d’une part l’influence militaire des Etats-Unis - tout en réduisant l’intervention militaire directe - et les alliés régionaux et internationaux d’autre part, afin de maintenir autant que faire se peut l’ascendant des Etats-Unis dans la région. Ce qui est apparu comme un relatif succès en Libye avec l’évincement de Mouammar Khaddafi était trop difficile à reproduire en Syrie. Les enjeux y étaient simplement trop élevés. Les rivaux dans la région comme l’Iran, et les rivaux internationaux comme la Russie étaient trop opposés à toute tentative ouverte de renverser le régime de Bachar al-Assad. Et avec la montée en force de l’EI, Assad s’est soudainement vu attribuer un rôle différent, celui d’une sorte de tampon bien qu’il soit encore désigné comme un ennemi. La déclaration de John Kerry faisant état de sa bonne disposition à reprendre langue avec Assad, illustre dans ce cas un complet retournement dans la politique des Etats-Unis.

Avec à présent un accord préliminaire sur le nucléaire entre l’Iran, les Etats-Unis et leurs alliés, il y a des chances que les Etats-Unis continuent avec leurs bruits de sabre – comme le fera certainement aussi l’Iran - et il est peu probable qu’Obama décréte un quelconque changement notable dans sa politique régionale. Bien au contraire, son administration est susceptible de se mettre en retrait, de se dissimuler un peu plus derrière ses alliés pour atteindre les objectifs embrouillés qui peuvent être les siens dans cette période chaotique.

Pour l’Iran et à un degré moindre les Etats-Unis, le Yémen est peut-être l’endroit approprié pour une guerre symbolique. Dans "Pourquoi il pourrait convenir à l’Iran de laisser les Saoudiens gagner au Yémen," Daniel Levy et Julien Barnes-Dacey prétendent que les entretiens nucléaires entre l’Iran et l’Ouest sont au coeur de la rivalité actuelle au Yémen. L’Iran n’a jamais "emporté" le Yémen pour le perdre dans tous les cas de figure, et soutenir les Houthis ne pourrait que pousser les ennemis arabes de l’Iran dans un conflit prolongé d’où il sera difficile de s’extraire.

Alors qu’une participation militaire indirecte est compatible avec la doctrine de guerre d’Obama, les Etats-Unis pourraient encore être les perdants. Obama peut certainement parer à ses critiques républicains – fidèles défenseurs d’Israël fortement opposés à tout accord avec l’Iran – en engageant militairement l’Iran à distance dans une guerre sans issue au Yémen. Cela dit, si les alliés des Etats-Unis n’emportent pas une victoire rapide – chose peu probable dans tous les cas - les Etats-Unis auraient alors deux possibilités : désavouer leurs alliés (déjà rendus furieux par le double langage des Etats-Unis sur l’Iran) ou être entraînés dans une guerre qui ne peut être gagnée tout en ne pouvant être perdue.

Une défaite des Houthis serait une blessure pour l’Iran, mais légère. C’est les Arabes et leurs alliés régionaux qui risquent gros dans leur participation directe. Et puisque la défaite "n’est pas une option", le bourbier du Yémen est susceptible de s’avérer long et mortel. Durant les deux premières semaines de guerre, plus de 500 Yéménites auraient été tués. Et c’est juste un début.

Il y existe naturellement une porte de sortie. L’Iran et ses rivaux arabes doivent comprendre que les scénarios politiques où l’un exclut l’autre sont irréalistes. La Syrie en est le premier, bien que tragique, exemple.

Ils doivent aussi garder à l’esprit que les Etats-Unis - qui jouent les deux parties l’une contre l’autre – n’ont d’intérêt pour la région que pour des raisons économiques et stratégiques. Indépendamment des clivages sectaires exacerbés, les chiites, les sunnites et de nombreux autres groupes se sont entrecroisés, mélangés et ont coexisté au Moyen-Orient pendant des siècles. Aucune guerre, autant destructrice soit-elle, ni aucune alliance, aussi importante soit-elle, ne pourront probablement changer cette réalité qui traverse l’histoire.

L’Iran et l’Arabie saoudite, qui de façon compréhensible manquent de confiance l’un à l’égard de l’autre, ne devraient pas poursuivre des ambitions régionales aux dépens de leurs voisins. Ils ne peuvent soutenir sélectivement des groupes chiittes et sunnites, encourageant l’effrayante vision d’un avenir dominé par l’islam chiite ou sunnite où chacun accuse l’autre partie de sectarisme.

Tandis que la situation tragique au Yémen est le lieu adéquat pour se lamenter sur un échec dévastateur, elle pourrait également représenter l’occasion d’un compromis politique commençant au Yémen mais s’étendant au-delà.

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* Ramzy Baroud est doctorant à l’université d’Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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3 avril 2015 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column... - Traduction : Info-Palestine6


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