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Les Palestiniens disparus de Syrie

samedi 14 mars 2015 - 07h:15

Budour Youssef Hassan

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Aidah Tayem, une femme palestinienne du camp de réfugiés de Yarmouk près de Damas, qui vit actuellement dans le village occupé de Beitin en Cisjordanie près de Ramallah, a traversé toute une vie d’épreuves.

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Des Palestiniens qui ont fui la Syrie protestent à Gaza - Octobre 2013 - Photo : APA images/Ashraf Amra

Elle n’avait à peine que dix-sept ans quand son père fut emprisonné par les forces de sécurité syriennes à Damas, dans les années 1980, pour son appartenance au parti du Fatah , lequel avait rompu avec le gouvernement. Elle devint rapidement le chef de famille, reprenant le travail de son père et venant en aide à ses plus jeunes frères et sœurs.

Tout comme une poignée de réfugiés palestiniens de Syrie qui reçurent des permis de l’Autorité Palestinienne, ses parents purent rentrer en Cisjordanie après la signature des accords d’Oslo dans les années 1990.

Elle parait ainsi incroyablement forte, mais derrière son comportement stoïque se cache une femme se raccrochant à l’espoir — l’espoir d’embrasser son fils aîné, Oday.

Oday Tayem, un réfugié palestinien de 21 ans qui naquit et grandit au camp de Yarmouk, a été arrêté par les forces de sécurité syriennes en août 2013 au cours d’un raid nocturne chez lui à Jaramana, au Sud-Est de Damas. Oday était militant — « pacifiste » était la principale description que nous faisaient ses amis — et il contribuait aux activités de secours humanitaire à la fois dans le camp de réfugiés de Yarmouk mais aussi dans d’autres zones assiégées. Ce sont les raisons de son arrestation.

Depuis qu’il a été fait prisonnier, sa famille attend encore de recevoir une information officielle concernant sa localisation. Aidah sait mieux que personne ce que cela fait d’avoir un être cher qui croupit en détention politique ; son père lui-même a été emprisonné pendant dix ans, dont la plupart passés dans la trop célèbre prison de Tadmor dans le désert.

Mais c’est le manque d’information qui rend l’absence d’Oday encore plus insoutenable. Lorsque la chanson préférée d’Oday retentit soudain sur son téléphone, Aidah se remémore son visage alors que des larmes lui montent aux yeux.

Aidah fait partie des nombreuses femmes qui, comme l’écrit le journaliste syrien Jihad Asa’ad Muhammad, « ne recherchent ni la considération ni même la sympathie de quiconque. Elles ne demandent qu’une chose : savoir où sont leurs chers disparus de force ».

Il est impossible d’estimer le nombre de Palestiniens détenus en Syrie. Le gouvernement syrien ne fournit aucune donnée sur les prisonniers politiques. Des groupes indépendants, locaux ou internationaux, pour la surveillance et le respect des droits de l’homme, et notamment le comité international de la Croix Rouge, ne sont pas autorisés à accéder aux nombreuses prisons et autres lieux de détention à travers le pays.

De plus, de nombreuses familles taisent la détention de leurs proches. Elles gardent le secret, craignant les répercussions et le retour de bâton d’une telle publicité à la fois sur elles et sur leurs prisonniers.

Le Groupe d’Action pour les Palestiniens de Syrie, organisation de surveillance basée à Londres et fondée en 2012, a réussi à lister les noms de 756 palestiniens actuellement en détention, ainsi que d’environ 300 autres disparus.

Morts sous la torture

L’immense majorité des prisonniers listés est incarcérée dans les différents lieux de détention que possède le gouvernement syrien, mais les autres sont détenus par des jihadistes ou des groupes d’opposition armés. L’un de ces prisonniers, Bahaa Hussein du camp de Yarmouk, est détenu par le groupe jihadiste Jabhat al-Nusra depuis fin janvier 2015, pour « blasphème ».

Le même groupe de défense a documenté les cas de torture à mort de 291 Palestiniens en Syrie sous détention du gouvernement, depuis le début de la révolte syrienne en mars 2011. Chacun d’entre eux a un visage et une histoire, mais très peu de ces dernières ont été reprises par les journaux.

Parmi eux, Khaled Bakrawi, un célèbre militant cofondateur de l’association Jafra pour l’Aide et le Développement, qui lutte pour l’amélioration des conditions dans les camps de réfugiés palestiniens en Syrie.

Refugié en Libye, Bakrawi se battait pour les droits des réfugiés palestiniens avant le début du soulèvement et il a été blessé par les forces israéliennes d’occupation en juin 2011 pendant la marche commémorative de la Naksa vers le Golan syrien occupé.

Mais après que des masses de syriens trouvèrent refuge à Yarmouk, il concentra ses efforts dans l’organisation d’aide humanitaire auprès de ceux-ci.

Des amis de Bakrawi m’apprirent qu’il avait été arrêté par les forces de sécurité syriennes en janvier 2013 et que sa famillefut informée de sa mort en septembre de la même année.

L’un des aspects les plus tragiques des morts dans les prisons syriennes est que les familles ne sont même pas autorisées à offrir un dernier adieu à leurs défunts, et les corps ne leur sont pas rendus. Au lieu de cela, elles sont contactées par les services de sécurité, uniquement pour retirer les cartes d’identité et les effets personnels des prisonniers tués.

Non seulement on pense que Bakrawi a été torturé à mort, mais sa famille et ses amis n’ont même pas pu l’enterrer ni lui offrir des funérailles décentes.

Contrairement à Bakrawi, Samira Sahli n’était pas une militante réputée, mais certains détails de sa vie sont connus grâce à un profil publié sur le site indépendant d’information Siraj Press. Mère de quatre enfants, Samira cuisinait régulièrement pour les Syriens déplacés remplissant les écoles de Yarmouk lorsque le camp était encore un refuge pour les personnes qui fuyaient la violence des régions avoisinantes. Lorsque le siège s’est durci, Samira et ses enfants, tout comme les 20 000 réfugiés prisonniers du camp, devinrent dépendants de la très faible aide alimentaire autorisée à y entrer de façon très irrégulière.

Selon le site Siraj Press, cette femme de 53 ans a été arrêtée à un poste de contrôle du gouvernement alors qu’elle allait chercher son panier contenant des aliments. Cinq mois plus tard, sa famille a été informée de sa mort, faisant d’elle la première femme palestinienne connue pour avoir été tuée dans les prisons du régime depuis 2011.

« Torturé au nom de la Palestine »

Dans une interview menée à distance par The Electronic Intifada, Abu Julia, un militant palestinien qui a trouvé asile en Allemagne fin 2013 où il réside encore, a donné un aperçu des horreurs qu’il a subies dans les prisons du régime syrien.

Cet homme de 29 ans a demandé à se faire appeler Abu Julia en référence au prénom de son premier enfant. Quand il fut arrêté par les forces de sécurité syriennes, sa fille Julia n’avait que cinq mois. Il a été arrêté en octobre 2012 et relâché un an plus tard, mais il est passé par des moments qui l’amenèrent à penser qu’il ne survivrait pas, et qu’il ne la reverrait jamais.

Abu Julia a déclaré qu’il faisait l’objet de dix-huit accusations, la plus grave d’entre elles était l’incitation à la rébellion contre le gouvernement, mais également des charges en rapport avec son travail dans les hôpitaux de fortune ; parce qu’il aurait alimenté la division et le chaos dans le camp de Yarmouk ; parce qu’il travaillait avec des comités locaux de coordination ; parce qu’il était en contact avec des agents étrangers et qu’il aidait les blessés...

« J’étais incarcéré dans un centre de détention appelé ’Palestine’, qui est une section sécurisée établie par Hafez al-Assad spécialement pour les factions palestiniennes en Syrie », dit-il, faisant référence au père de l’actuel chef de l’état. « C’est cela qui fait le plus souffrir : être torturé au nom de la Palestine. »

Abu Julia se rappelle avoir été battu dès son arrivée au centre de détention sécurisé. Il a été placé dans la Cellule Une, qui contenait 48 prisonniers au moment de son arrivée. Les détenus s’entassaient dans cette cellule de 36 mètres carrés, jusqu’à atteindre 120 dans les heures qui ont précédé la libération de Abu Julia.

« Suite à mon premier interrogatoire, pendant lequel j’ai été battu et fouetté avec des fils électriques, on m’a demandé d’oublier mon nom. Ils m’ont attribué le numéro 16/1 », se rappela-t-il.

« Quand vous y entrez, vous perdez tout : vous perdez votre nom, votre confiance dans les gens, dans votre famille et votre confiance en vous-même. Vous perdez l’espoir et l’amour de la vie, même si vous vous raccrochez à l’espoir de revenir un jour à la vie.

« Vous êtes dépouillé de vos sentiments et vous devenez un animal qui n’est autorisé qu’à manger et à boire, et même dormir n’est possible que sous commandement militaire. Peut-être que la seule chose que vous ne perdez pas est la possibilité de pouvoir rêver dans votre sommeil. »

Le jour décisif de la vie d’Abu Julia fut le deuxième jour après son arrestation. Suite à l’interrogatoire au cours duquel il refusa de faire des aveux, il lui fut ordonné une semaine de torture dans les couloirs étroits autour des cellules, se souvint-t-il.
« J’étais suspendu pendant plusieurs heures chaque jour, j’étais fouetté avec des fils électriques et on me brûlait le corps », expliqua-t-il avec beaucoup de détails. A la torture physique s’ajoutaient des insultes, on m’appelait « chien palestinien » et j’entendais « nous t’avons accueilli dans notre pays et maintenant tu nous trahis, traitre ».

La semaine de torture dans les couloirs, pendant laquelle Abu Julia se rappelle qu’au moins six détenus ont trouvé la mort, a été poursuivie par un nouvel épisode plus long encore de torture après qu’il ait à nouveau refusé d’avouer la moindre charge.

Alors qu’Abu Julia détaillait méticuleusement ce qu’il avait vécu, il était difficile de ne pas se demander comment il avait réussi à surmonter tout ceci.

Défiance

« Vous savez ce qui a réellement fait que j’ai survécu ? Ma ’palestinité’. Ce sentiment d’être palestinien est ce qui m’a aidé à poursuivre mes efforts pendant tout ce temps. D’une certaine manière, les Palestiniens frôlent la mort et conservent leur attitude de défi », dit-il.

Pour Abu Julia, ce sentiment, cette « palestinité » nouvelle qu’il a découverte après sa détention, n’était pas un cliché mais un réel refuge. « C’était une sorte de réponse que l’on a développée en ces temps de grande nécessité. Nous avons retiré une certaine force et un certain réconfort dans le fait d’être Palestinien. Quand nous étions torturé ou que nous subissions les interrogatoires, nous nous rappelions simplement que nous sommes Palestiniens » ajouta-t-il.

Après dix mois dans la section Palestine, Abu Julia a été transféré à Adra, la prison centrale de Damas, et quand il est descendu de la voiture qui l’emmenait devant une cour militaire, il vit le soleil briller pour la première fois depuis dix mois.

« Je suis resté presque un mois et demi à Adra avant d’être relâché … Puis j’ai pu serrer Julia dans mes bras ; elle était alors capable de marcher et de dire papa et maman » se rappela-t-il.

Même alors qu’il racontait sa douloureuse histoire, Abu Julia avait conservé son humour. « Je pesais 129 kg quand j’ai été arrêté et n’en faisais plus que 65 quand j’ai été relâché. Ce régime gratuit est la seule chose qui me soit arrivé de bien là-bas », dit-il.

En attendant, Ammar, fils d’Aidah Tayem et frère d’Oday, agé de dix-sept ans, espère toujours la libération de son frère et meilleur ami.

« J’attends. En fait, l’attendre est la seule chose que je fais. »

L’attente est l’épreuve-supplice à laquelle des milliers de Palestiniens et de Syriens sont condamnés.

* Budour Youssef Hassan (@Budour48) est une Palestinienne militante anarchiste et diplômée en droit. Elle vit à Jérusalem sous occupation.

Du même auteur :

- Jihad al-Jafari, 20 ans, assassiné par les troupes israéliennes d’occupation - 1e mars 2014
- Muhammad Sinokrot, 15 ans, assassiné par les troupes d’occupation - 13 septembre 2014
- « J’ai fait tout ce que je pouvais pour la Palestine, » affirme le prisonnier libéré Said Tamimi ! - 22 janvier 2014

18 février 2015 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction : Info-Palestine.eu - Vénus


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