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La bataille de Tikrit est un dilemme pour l’Occident et ses affiliés

mardi 10 mars 2015 - 06h:02

Abdel Bari Atwan

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Le paysage politique du Moyen-Orient n’a jamais été aussi instable et chaque jour produit son lot de surprises.

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Plusieurs milliers de soldats de l’armée iranienne seraient aujourd’hui déployés en Irak

L’Iran est ouvertement engagé dans la lutte pour reprendre la ville irakienne de Tikrit à Daesh (l’État islamique d’Irak et du Levant), ce qui crée un nouveau dilemme à l’Occident et à ses alliés régionaux.

La force de 30 000 soldats qui encercle actuellement la ville natale de Saddam Hussein dans l’opération "Libérez Tikrit" est composée de troupes de l’armée irakienne et de milices sectaires commandées par le grand général iranien, Qassem Sulaimani qui dirige habituellement les brigades d’élite Al Quds du corps des Gardes Républicains de Téhéran.

La bataille en cours oppose Daesh - qui a pris Tikrit en juin dernier - à la République Islamique et ses alliés irakiens dans une guerre sectaire sans merci.

La population de Tikrit est majoritairement sunnite et ne sera sans doute par ravie d’être libérée par une milice soutenue par l’Iran ; les sunnites irakiens ont ​​le sentiment d’avoir été mal traités sous le régime de Nouri Al Maliki, et son successeur, Haider Al Abadi, n’a pas encore réussi à les convaincre que les choses s’amélioreront sous sa direction.

Les commandants de l’armée irakienne disent qu’ils ont peu de chance de reprendre Tikrit si ses habitants se rangent aux côtés des extrémistes.

Le caractère de plus en plus sectaire de la situation a des implications régionales plus larges. Jeudi, lors d’une conférence de presse conjointe avec le secrétaire d’État américain John Kerry, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al Faisal, a exprimé ouvertement l’inquiétude des Saoudiens que "l’Iran soit en train de conquérir l’Irak".

Ankara est également préoccupé par l’empiètement politique et militaire croissant de Téhéran sur les affaires syriennes et irakiennes, et un rapprochement turco-saoudien semble se préparer, peut-être dans l’optique d’une nouvelle et puissante alliance sunnite.

Le président Recep Tayyip Erdogan a rencontré le roi Salman Bin Abdul Aziz, lundi dernier, à Riyad, ce qui indique un dégel de relations qui s’étaient tendues après l’éviction de l’ancien président égyptien Mohammad Morsi.

Alors que le parti de la Justice et du Développement d’Erdogan est étroitement lié aux Frères musulmans, feu le roi saoudien Abdullah, Bin Abdul Aziz, avait salué l’arrivée du nouveau gouvernement d’Abdul Fattah Al Sissi au Caire et avait suivi son exemple en interdisant les Frères musulmans et les qualifiant d’entité terroriste.

La sécurité de l’Arabie saoudite est menacée par un autre mandataire iranien à sa frontière sud. Les rebelles yéménites Al Houthi ont repris le pouvoir à Sanaa, après que le président élu Abd Rabbo Mansour Hadi - qui a refait surface à Aden fin février - se soit enfui de sa résidence surveillée. Bien que Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) soit un danger pour Riyad en temps normal, elle se révèle un puissant allié dans la bataille pour expulser Al Houthi.

Lundi dernier, Abdullah Al Khalidi, le consul saoudien à Aden retenu prisonnier par AQAP pendant trois ans, a été libéré, ce qui laisse penser qu’une trêve s’est conclue entre Riyad et AQAP pour leur permettre de régler ensemble le cas d’Al Houthi qui représente un plus grand danger pour tous les deux.

Jusqu’où le principe de "l’ennemi de mon ennemi est mon ami" pourra être étendu, cela reste à voir. Les poids lourds sunnites de la région pourraient-ils suspendre temporairement les hostilités contre Daesh, pour leur permettre de mener une guerre d’usure contre l’Iran et ses alliés en Irak et en Syrie ?

Un scénario similaire en Afghanistan a vu l’Arabie saoudite et l’Occident entraîner et soutenir les moudjahidines dans les années 1980 pour chasser l’armée soviétique. Le président syrien Bachar Al Assad a fermé les yeux sur Daesh au printemps 2014, quand il luttait contre un groupe extrémiste analogue, Al Nusra, qui à l’époque représentait une menace plus grave pour lui.

Les États-Unis, qui entraînent déjà des forces anti-Daesh en Irak, ont annoncé leur intention de commencer le mois prochain l’entraînement de nouvelles forces rebelles "modérées" pour la Syrie, en Turquie, en Arabie saoudite et au Qatar ; mais l’opération "Libérez Tikrit" met l’Occident dans une position inconfortable.

Le Pentagone affirme qu’il n’a pas été "invité" par le gouvernement irakien à assurer une couverture aérienne pendant l’assaut, et s’il le faisait, ce serait prendre une position explicitement anti-sunnite, pro-iranienne qui n’est pas du tout ce qu’il veut.

L’avancée iranienne ne met pas seulement en colère l’Arabie saoudite – mardi, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, faisait monter l’hystérie anti-iranienne à Washington, en s’adressant au Congrès à l’invitation des Républicains.

Pourtant, la bataille de Tikrit est le prélude de la plus grande bataille pour Mossoul que le Pentagone envisage de mener avec l’armée irakienne et les forces kurdes comme il l’a déjà annoncé. Un officiel du CentComm* a parlé à Defense News, la semaine dernière, d’un "terrain commun" avec l’Iran sur la lutte contre Daesh, mais avec une telle position, Washington risque fort de s’aliéner non seulement ses alliés régionaux, mais aussi les tribus sunnites.

La libération de Tikrit et de Mossoul ne sera pas perçue comme une victoire si la milice obsédée par la vengeance sectaire que l’Iran soutient, prend la place de Daesh. Human Rights Watch a rapporté de nombreuses atrocités commises contre les villageois par ces milices, depuis que les troupes américaines se sont retirées en 2011.

Alors que Daesh est encerclé à Tikrit et que l’intégrité de sa "capitale", Mossoul, est menacée par un assaut de grande ampleur mené par des forces militaires plus importantes, l’entité du "calife" Ebrahim se renforce et s’étend ailleurs. Tel est le modus operandi des groupes extrémistes : se dérober aux batailles qu’ils ne peuvent pas gagner et émerger dans un autre endroit où ils peuvent l’emporter.

Daesh a récemment pris la ville d’Al Baghdadi à quelques km de la base aérienne américaine où se déroule une grande partie de la formation en vue de l’assaut imminent sur Mossoul ; Daesh menace également Samarra. Dans les derniers mois, Daesh a pris trois grandes villes de Libye (Derna, Benghazi et Syrte) ainsi que deux champs de pétrole et a instauré un "wilayat" (province) dans le Sinaï.

La bataille pour Kobani a pris quatre mois et, bien que les brigades de Daesh aient finalement été chassées par des forces largement kurdes, on ne peut pas vraiment parler de victoire puisque la ville a été laissée en ruines. Tikrit et Mossoul subiront-elles le même sort ?

Le paysage politique du Moyen-Orient n’a jamais été aussi instable et chaque jour apporte son lot de surprises. Une chose est certaine, cependant, c’est que la chaleur devient intenable en Irak pendant l’été. C’est pourquoi, les stratèges militaires vont essayer de lancer l’assaut sur Mossoul le plus vite possible, probablement en avril ou mai. L’été s’annonce tôt en Irak cette année.

Note :
* Le commandement central des États-Unis) est l’un des dix Unified Combattant Command qui dépendent, depuis le 1er janvier 1983, du département de la Défense des États-Unis (DoD).

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* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai Alyoum : Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

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8 mars 2015 - Raï al-Yaoum - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.raialyoum.com/?p=227566
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet


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