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À quand la révolution en Arabie saoudite ?

samedi 24 janvier 2015 - 08h:02

Robert Fisk - The Independent

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Combien de temps nos dirigeants occidentaux vont-ils continuer à flatter, caresser dans le sens du poil - et armer - ces autocrates riches comme Crésus ?

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Le roi Abdallah au funérailles de son demi-frère le roi Fahd en août 2005 - Photo : AFP

Pauvre vieux royaume. Et « vieux » est le seul mot que vous pouvez utiliser pour l’Arabie Saoudite, où les frères du monarque ont préséance sur ses fils.

Le roi Abdallah est mort à 90 ans. Il avait survécu à deux autres princes héritiers. Son successeur est Salman, déjà âgé de 79 ans, et il ne peut pas s’attendre à survivre guère plus d’une décennie. Et à 69 ans, le nouveau prince héritier Muqrin n’est pas un poulet de printemps. Ces vieillards peuvent-ils continuer à diriger un des pays les plus riches au monde sans qu’une révolution ne survienne ?

Combien de temps nos dirigeants occidentaux vont-ils continuer à flatter, caresser dans le sens du poil - et armer - ces autocrates riches comme Crésus ? Avant que ceux-ci ne paraissent aussi pitoyables à leurs propres concitoyens qu’aux Arabes qui ont à supporter le code moral wahhabite d’Arabie saoudite - l’extrémisme anti-apostat le plus puriste incarné dans une famille dirigeante de quelques milliers d’individus dont le culte sectaire a été fondé par un prédicateur violent au 18ème siècle ? Vous rappelez-vous des Talibans ? Et sur ce terrain-là, d’Oussama ben Laden ?

Abdullah était « franc et avait le courage de ses convictions », nous a dit Obama. Il avait un « engagement pour la paix » et « une meilleure compréhension entre les religions », a déclaré notre Cameron. Tout cela est dit d’un homme dont le royaume décapite des dizaines de personnes chaque année à l’issue de procès qui ne respectent aucune des normes reconnues d’équité, dans lequels une femme birmane a été traînée à travers les rues de la Mecque ce mois-ci, hurlant son innocence du meurtre de son beau-fils, pour finalement avoir sa tête coupée par un bourreau du gouvernement, qui a eu besoin de s’y prendre à trois fois avec son épée pour la décapiter. Assurément, c’est cela un engagement pour la paix et la compréhension interconfessionnelle...

Mais il y a un autre aspect d’Abdullah qui était tout à son honneur, mais naturellement laissé de côté à cause de notre propre histoire d’amour avec Israël - son offre continue de paix avec Israël et la reconnaissance arabe complète de notre premier allié, en échange d’un État palestinien et d’un retrait militaire israélien de l’ensemble de Gaza, de la Cisjordanie et du Golan. En un mot, l’application de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies numéro 242, plus une nouvelle et pacifique « Palestine » arabe. « Un diable d’accord », comme le président Bill Clinton l’avait qualifié quand Abdullah - alors prince héritier - avait divulgué son plan en 2002.

Le malheureux John Kerry lui a donné sa bénédiction - un baiser de la mort, peut-être, mais au moins un signe de sa reconnaissance perpétuelle. Même le Tarzan militaire égyptien, le général-président Abdel-Fattah Al-Sisi, a demandé un renouveau de cette idée de plan. Benjamin Netanyahu aurait parlé du « potentiel » de l’initiative - bien que son acharnement à détruire toute possibilité d’un quelconque État palestinien en volant toujours plus de terres arabes en Cisjordanie, empêche qu’on le prenne au sérieux.

Le mieux qu’Obama pouvait produire sur le sujet cette semaine a été de déblatérer sur les « mesures audacieuses » proposées par Abdullah, sans préciser de quelles « mesures » il était question. Les élections israéliennes - comme les élections américaines, d’ailleurs - sont trop proches pour que le leader de la première superpuissance mondiale (pour encore combien de temps ?) puisse avoir un langage plus courageux que cela...

Dans ses derniers jours, les incapacités physiques du précédent roi Fahd étaient devenues évidentes pour tous ceux qui le connaissaient. Abdullah aurait été sénile, et son successeur Salman calomnié dans les heures qui ont suivi sa prise de fonction comme souffrant de démence. Mais ces types sont rusés. Ils savent comment la succession doit être décidée en privé, comment mille princes royaux doivent être subornés et soudoyés et favorisés, tout en gérant la richesse tirée du pétrole avec le style wahhabite et sa version État islamique EI), et sous une justice aux yeux bandés.

Ainsi les présidents américains pouvaient louer la magnanimité de la sagesse du royaume wahhabite tandis qu’un comité au Pentagone écoutait un expert de la société Rand décrire l’Arabie saoudite après les attentats du 9/11 comme « un noyau du mal au Moyen-Orient ». Ainsi au Liban, le roi mort pouvait être appelé un « chevalier arabe » - qualificatif normal de la part des sunnites qui ont bénéficié des largesses du royaume - alors que dans les zones contrôlées par l’EI, sa disparition a été accueillie comme une preuve supplémentaire de la désintégration de la Maison des Saoud. Après avoir perdu sa citoyenneté, Ben Laden avait le même but de détruire la monarchie. Peut-être avait-il été désireux de la couronne de l’Arabie pour lui-même.

Non, Abdullah n’était ni narcissique ni vicieux ; il n’était pas le clown d’une mafia comme Kadhafi, ni un tueur à grande échelle comme Saddam. Mais il pouvait passer du courage politique - sa proposition de paix israélo-arabe - à la folie tribale sunnite en exhortant en privé les États-Unis à attaquer l’Iran. La crainte sunnite d’un empire chiite en expansion a conduit les Saoudiens à soutenir le plus cruel des insurgés wahhabites. L’EI et les Talibans sont les deux créatures de la couronne saoudienne. Abdullah a offert à l’armée libanaise de 4 milliards de dollars de matériel militaire français, dont il espère qu’il sera utilisé pour contrôler à la fois ses agents de l’EI et les milliers de combattants du Hezbollah - une offre restée bloquée du fait qu’Israël s’est opposé à l’achat d’hélicoptères pouvant tirer des roquettes, craignant que ces armes ne soient retournées contre lui-même.

Les défenseurs d’Abdullah étaient légion - et la plupart du temps bien rémunérés - et nous allons beaucoup les entendre dans les prochains jours. Ils parleront de sa « modernité » et de son encouragement pour l’éducation des femmes, sa réduction des « fatwas » religieuses, son octroi d’un peu d’espace pour les critiques. Ces défenseurs espèrent que les coups de fouet aux blogueurs resteront hors de vue du public pendant un certain temps.

En 2011, Abdullah avait à juste titre peur des révolutions arabes, envoyant ses troupes pour écraser la dissidence chiite à Bahreïn tout en promettant de distribuer près de 300 milliards de livres sterling en bourses d’études, nouvelles infrastructures, logements publics et allocations de chômage à son propre peuple pour acheter sa tranquillité.

Mais l’âge rétrécit la monarchie. La dernière famille directe du fondateur du royaume a maintenant vieilli - le Prince héritier Muqrin est lui-même le plus jeune fils survivant du roi Abdulaziz - et la révolution qui menace la monarchie ne viendra pas d’Iran. Ni de la propre minorité chiite de l’Arabie saoudite, ni des wahhabites armés par le pays... Elle viendra de l’intérieur de la famille royale.

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* Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.

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23 janvier 2015 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/voices...
Traduction : Info-Palestine.eu


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