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Inquiétude pour les musulmans de France

jeudi 8 janvier 2015 - 21h:24

Alain Gresh

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L’attaque contre le siège de Charlie Hebdo est une des attaques les plus meurtrières contre des civils en France depuis 1980, et la plus grave menée contre un journal depuis la guerre en Algérie.

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Fidèles musulmans en prière rue des Poissonniers, à Paris - Photo : AFP/Miguel Medina

Douze personnes ont été tuées par des hommes armés de kalachnikovs au siège de cet hebdomadaire satirique à Paris. Cette attaque aurait-elle été motivée par la ligne éditoriale du journal qui a été l’objet de menaces ? Cette attaque a-t-elle été commise par des groupes étrangers pour « punir » la France pour son engagement au Mali ou au Tchad ?

La police en France a identifié et publié les photographies de deux frères soupçonnés d’être impliqués dans l’attaque, tandis que les spéculations vont bon train pour expliquer que des extrémistes musulmans étaient derrière l’acte terrible, surtout compte tenu de la longue histoire de la revue en question, dans la satire de l’Islam et des autres religions. Les deux frères ont été identifiés comme étant Saïd Kouachi, âgé de 32 ans, et Cherif Kouachi âgé de 34 ans.

Cette attaque doit être condamnée avec la plus grande fermeté et ses auteurs arrêtés et condamnés. Rien ne peut justifier un tel acte, quelles que soient les raisons, quels qu’en soient les auteurs. Mais nous devons aussi de comprendre le contexte, car cette agression pourrait susciter des réactions dangereuses dans la société française.

Là où tout a commencé

Charlie Hebdo a été fondé en février 1969. Il a ensuite été placé sur le plan politique à l’extrême gauche avec des tendances anarchistes, et avec un goût pour la provocation. En novembre 1970, après la mort du général de Gaulle, il a publié une couverture qui a abouti à son interdiction par le ministère de l’Intérieur, avec le titre : « Bal tragique à Colombey, un mort [le village d’où était originaire de Gaulle] ».

Mais depuis 2000, sous la férule de son nouveau rédacteur en chef Philippe Val, Charlie Hebdo a changé d’orientation, prenant position contre les Palestiniens et soutenant l’agression israélienne contre le Liban en 2006 ... C’était durant la deuxième Intifada.

Dans le même temps, le journal a commencé à lancer des campagnes islamophobes. En 2006, il republié les caricatures du prophète Mohammed qui avaient été précédemment publiées au Danemark.

Un certain nombre d’intellectuels ont ensuite souligné que bien qu’en France nous ne pouvions pas accepter la censure, il pouvait parfois être irresponsable de publier des dessins qui alimentent les tensions sectaires dans le pays.

En mars 2006, Val a signé le « Manifeste des Douze : Ensemble contre le nouveau totalitarisme », publié dans l’hebdomadaire L’Express, et signé par Bernard-Henri Lévy, Caroline Fourest et Antoine Sfeir. « Après avoir surmonté le fascisme, le nazisme et le stalinisme, le monde fait face à une nouvelle menace globale de nature totalitaire : l’islamisme. Nous - écrivains, journalistes et intellectuels - appelons à la résistance contre le totalitarisme religieux et à promouvoir la liberté, l’égalité des chances et la laïcité pour tous ».

Un débat nécessaire

Mais ces positions ont entraîné des divisions dans l’équipe et plusieurs membres ont démissionné. Tout en prétendant défendre la liberté de la presse, Charlie Hebdo a expulsé un de ses dessinateurs étoiles, Siné, s’appuyant sur de fausses accusations d’antisémitisme.

Il n’a ensuite été guère surprenant qu’après son élection, le président Nicolas Sarkozy ait promu Philippe Val comme rédacteur en chef de France-Inter (une station de radio publique).

Néanmoins, la liberté de la presse ne peut pas être remise en cause et la situation qui bouleverse actuellement Paris est d’autant plus condamnable qu’elle pourrait avoir de graves conséquences sur la situation interne en France. Elle peut encourager une vague d’islamophobie qui submergerait le pays - ainsi que d’autres pays européens - et pourrait désigner les musulmans comme « l’ennemi intérieur ».

Mais il n’est sans doute pas trop tard pour s’engager dans un débat de fond sur la « guerre contre le terrorisme » ravivée par l’Occident et la « communauté internationale », à la suite de l’expansion de l’État islamique.

Si l’on prend en considération les effets d’une telle campagne (des actions plus violentes dans le monde, des justifications pour les atteintes à la liberté, une nouvelle législation anti-terroriste, l’aggravation des tensions sectaires, plus de soutien aux dictatures du Moyen-Orient et ainsi de suite), n’est-il pas temps de changer nos méthodes ?

Rappelez-vous : la vague des soulèvements durant le printemps arabe en 2011 et 2012 a entraîné une perte de crédit pour al-Qaïda, en même temps qu’elle ouvrait un chemin pour le changement politique et démocratique dans les pays arabes.

* Alain Gresh est directeur adjoint de Le Monde Diplomatique et spécialiste du Moyen-Orient.

Lire également :

- France : un vote parlementaire sans incidence, purement formel... - 4 décembre 2014

8 janvier 2015 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu


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