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L’assassinat de Ziad Abu Ein et la politique de coordination sécuritaire entre l’Autorité Palestinienne et Israël

vendredi 19 décembre 2014 - 00h:22

Rich Wiles - MEE

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Le Ministre palestinien Ziad Abu Ein est mort en martyr aux mains de l’occupant israélien. Mahmoud Abbas doit impérativement honorer la mémoire des martyrs par des actes, et non pas seulement par des paroles.

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Photo : Le Président Palestinien Mahmoud Abbas et son Premier Ministre Rami Hamdallah assistent aux funérailles du Ministre Palestinien Ziad Abu Ein à Ramallah, en Cisjordanie, le 11 décembre 2014 (AA)

En cette matinée du jeudi 11 décembre, peu avant 10h, les journalistes commençaient déjà à s’introduire, l’un après l’autre, au sein d’ « al-Muqataa », le palais présidentiel de Ramallah et ce, en vue de la préparation des « funérailles d’état » officielles du Ministre Palestinien Ziad Abu Ein. La garde présidentielle était occupée à répéter sa marche et un tapis rouge a été déroulé avec soin et précision. Bientôt, les premiers membres de la famille et des officiels commenceront à prendre place.

Dehors, dans la rue, le bruit commençait à se faire entendre. Des chants de nationalistes ont commencé à résonner et, de temps en temps, des coups tirés à partir d’armes automatiques se faisaient entendre. Fait remarquable, voire exceptionnel au fil des dernières années, ces salves retentissant en Cisjordanie ne provenaient pas de l’armée israélienne.

Pour les Palestiniens, il ne fait aucun doute que Ziad Abu Ein a été assassiné par l’occupation. Les récits des témoins oculaires, étayés par des preuves photographiques affirment qu’Abu Ein a été attaqué par les forces israéliennes alors qu’il se trouvait à Ramallah, dans le village de Turmasiyya, pour marquer la journée Internationale des Droits de l’Homme par la plantation d’oliviers. Quelques témoins ont rapporté qu’Abu Ein avait étouffé, tandis que d’autres rapportent qu’il a été frappé au niveau de la poitrine avec les crosses de fusils ou le casque d’un soldat.

L’autopsie post-mortem effectuée dans la soirée du mercredi a, comme rapporté par le Ministre des Affaires Civiles de l’AP, Hussein al-Sheikh, révélé qu’Abu Ein est mort après avoir « été battu par les troupes de l’occupation et à cause de l’usage excessif des gaz lacrymogènes. »

Ces résultats ont, sans surprise, été rejetés par Israël.

Mais ce qui est parfaitement clair, c’est que Ziad Abu Ein est un martyrs aux yeux des Palestiniens, et c’est ainsi qu’il a été inhumé jeudi.

Dans les heures qui ont suivi la mort d’Abu Ein, Jibril Rajoub, membre de l’AP, a déclaré qu’une décision pour mettre fin à la « coordination sécuritaire » avec Israël a été prise. Cependant, Khalida Jarrar, membre du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), aurait souligné que même s’il y avait un accord général sur la cessation de la coordination sécuritaire, y compris de la part de Mahmoud Abbas même, la décision officielle ne sera pas prise avant vendredi.

En dépit de ces déclarations contradictoires et en l’absence d’une version officielle sur le sujet de la part d’Abbas, les évènements survenus lors des obsèques de jeudi portent à conclure que d’une certaine manière, les choses semblent avoir déjà changé. Le cortège funèbre comptait des membres des brigades palestiniennes de la résistance armée, avec les visages masqués.

Ce sont donc ces groupes dont les tirs pouvaient se faire entendre depuis l’intérieur d’al-Muqataa durant la cérémonie officielle. Ils s’étaient réunis près du cimetière des Martyrs pour tirer en l’air des coups de feu. Cette démonstration de force publique n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas au préalable une sorte de décision officielle pour l’autoriser ou, au moins, ne pas essayer de l’interdire.

Tirer des coups de feu lors des funérailles a été une pratique courante pendant la Seconde Intifada, avant d’être carrément interdite et arrêtée par l’AP. Mis à part quelques cas isolés dans les camps de réfugiés, cette pratique a été absente tout au long de ces dernières années.

Dans la même perspective et de manière assez significative, le centre de Ramallah n’a pas vu, depuis très longtemps, des membres de la résistance portant ouvertement des armes et tirant en l’air. Certains militants dans les médias sociaux ont confirmé que c’est la première fois depuis dix ans que des combattants armés sont vus dans le centre de la ville.

Cette année, les politiques de coordination sécuritaire entre l’AP et Israël ont été appliquées par les forces de l’AP qui interdisaient les manifestations Palestiniennes pacifiques de s’approcher des colonies et des checkpoints israéliens. C’est pour cette raison que les tirs libres par les brigades de la résistance dans le ciel de Ramallah laissent penser à un changement dans l’approche de l’AP sur le terrain.

Toutefois, il semble probable qu’à ce stade, il ne s’agit que d’une démarche temporaire visant à diffuser et à propager la colère populaire plutôt qu’une déclaration claire de changement de politique.

De même que l’interdiction de la résistance populaire, les politiques de coordination sécuritaire ont, plus tôt cette année, permis aux forces israéliennes de se positionner juste à l’extérieur du commissariat central de Ramallah pendant que leurs balles pleuvaient sur des jeunes Palestiniens, tuant l’un d’eux, tout cela sous les yeux d’un policier de l’AP qui suivait la scène depuis la fenêtre du commissariat.

Depuis leur mise en place, ces politiques ont été tout naturellement et catégoriquement rejetées par la rue palestinienne. Pour le peuple palestinien qui se trouve piégé par une occupation militaire des plus brutales sur fond de projet de colonisation large et élargi, la coordination entre les autorités palestiniennes et israéliennes sur des questions liées à « la sécurité » s’avère une autre pilule amère, difficile à avaler.

L’assassinat d’un responsable de l’AP qui était de surcroit un militant très connu s’inscrit et s’ajoute aux annales épouvantables et affreuses de l’occupation. C’est de cette même coupe que boivent régulièrement les Palestiniens qui ne sont ni « leaders » ni « officiels. » Cette année, des dizaines de Palestiniens, principalement des jeunes, ont été tués par l’appareil « sécuritaire » officiel israélien au cœur de la Cisjordanie et à Jérusalem-Est, tandis que d’autres ont été assassinés par les colons. Plus effrayant et stupéfiant encore est l’assassinat cet été de plus de 2100 Palestiniens, à Gaza, en 50 jours seulement.

Donc l’idée que tout organisme officiel palestinien accepte de participer à la « coordination sécuritaire » avec l’État qui tue continuellement des Palestiniens et colonise et s’accapare massivement de la terre palestinienne, semble complètement ahurissante et sidérante.

Ce système a été créé par les manigances de la politique mondiale. L’existence du gouvernement palestinien d’aujourd’hui dépend du soutien financier international qui se fait au détriment des droits des Palestiniens et est associé à certaines exigences, telle que la « coordination sécuritaire » et la poursuite du processus d’Oslo où ce type d’accords entre Israël et l’AP trouve son origine.

La réunion de l’AP programmée pour vendredi soir et qui devait être sanctionnée par l’annonce officielle de l’arrêt de la coordination sécuritaire a été « reportée. » Les dernières rumeurs parlent d’une « reprogrammation » pour dimanche. A l’heure qu’il est, Saeb Erekat et Hanan Ashrawi, deux figures emblématiques palestiniennes, ont également déclaré que la coordination sécuritaire serait interrompue.

Pourtant, Abbas en personne - celui qui a déclaré cet été que ces politiques étaient « sacrées » - garde toujours le silence.

Abbas semble être soumis à une pression énorme de la part des personnes qui lui sont proches afin qu’il avance dans cette voie, mais en même temps, Israël et la communauté internationale sont sans doute « en dialogue » avec lui pour s’assurer qu’il maintient le statu quo. Dans la rue, et en dépit des diverses déclarations, les gens ne croient pas qu’Abbas prendra pareille décision et s’y conformera. Le peuple palestinien sait maintenant que les « promesses » sans fin de l’AP ne valent rien.

Ziad Abu Ein est mort en martyr et c’est ainsi que les Palestiniens se souviendront à jamais de lui. Toutefois, ce n’est pas en son nom, lui seul, que la coordination sécuritaire doit être immédiatement interrompue. La Palestine a perdu des milliers de martyrs tandis que des milliers de « martyrs vivants » demeurent enfermés dans les cellules des prisons de l’occupation.

Plus de la moitié de la totalité du peuple Palestinien vit aujourd’hui en exil forcé et est dépouillée de ses droit de vivre dans son foyer. Les droits collectifs et individuels palestiniens doivent être au cœur des décisions politiques internes, et Abbas doit impérativement honorer la mémoire des martyrs avec des actions, et non pas seulement avec des paroles.

* Rich Wiles est un artiste photographe primé, auteur et cinéaste qui vit en Palestine depuis plus de 10 ans. Son dernier livre est Generation Palestine : Voices from the Boycott, Divestment and Sanctions Movement (Pluto, 2013). Son site : www.richwiles.com

Du même auteur :

- Les Palestiniens entre représentation politique et lutte de pouvoir entre factions - 18 décembre 2014
- Les racines de la Résistance palestinienne - 1e août 2014
- « Des conditions médicales causées par des décisions politiques » - 16 septembre 2007

15 décembre 2014 – Middle East Eye – Vous pouvez consulter cet article en anglais à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha


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