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« Je ne peux pas respirer » : racisme et guerre en Amérique et au-delà

dimanche 14 décembre 2014 - 01h:38

Ramzy Baroud - MEE

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Le système américain du « privilège blanc » a été conçu pour protéger les richesses des élites dirigeantes. Il y a, par ailleurs, un lien évident entre le racisme national et les croisades militaires menées au-delà des frontières américaines.

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Ils ont été des milliers à se rassembler à Washington pour réclamer « la Justice pour tous » - Photo : Reuters

Il convient ici de souligner les intentions flagrantes des élites dirigeantes américaines de maintenir un « privilège blanc » sur le sol américain et une dominance économique par des moyens militaires à l’étranger.

Et dans les deux zones la « démocratie » américaine n’est qu’une ruse, puisque cette même Amérique peine à garantir un quelconque degré de justice sociale et d’égalité pour les millions d’Américains défavorisés constitués principalement des communautés noires et latinos. L’inégalité dans la distribution des richesses aux États-Unis est tout simplement stupéfiante. En effet, 75,4% de la richesse américaine est détenue par les 10% les plus riches, selon le respecté Credit Suisse Global Wealth Databook (2013).

Cet afflux de richesse survient suite à une récession économique majeure dont quelques riches banquiers devraient être les premiers à en rendre des comptes, mais au lieu de cela, des millions d’Américains chutent aux bas rangs de la classe moyenne et les pauvres deviennent encore plus pauvres. Et parce que les classes politiques et économiques de l’Amérique se chevauchent et se soutiennent mutuellement via leur système de privilèges, des millions d’Américains ont perdu leurs maisons et leurs économies, tandis que les riches sont devenus plus riches.

A part la bonne image de marque, la « terre d’opportunités » a toujours été surestimée, de même que la démocratie américaine qui a été truquée pendant plusieurs générations dans le but produire des résultats plus ou moins similaires. Les médias – de la suprématie raciale apparente et secrète affichée par les clones de Fox News – sont là pour s’assurer que le consentement se fabrique de manière intelligente, de sorte que les Américains ordinaires se sentent constamment coincés entre une classe dirigeante à deux ailes, les Républicains et les Démocrates, tous rivalisant pour gagner les votes dans le but ultime de maintenir leurs privilèges.

Compte tenu des faibles scores présidentiels et de la crédibilité en constante diminution du Congrès, la plupart des Américains ne sont plus impressionnés par la mascarade politique en cours. Cependant, comme la plupart des Américains sont tenus en otages par la dette, s’efforçant constamment de payer leurs factures et travaillant sans cesse afin de rester debout financièrement, beaucoup se sentent impuissants – par conséquent, politiquement désorganisés.

Après les attentats meurtriers du 11 Septembre 2001, le gouvernement devint encore plus culotté dans la fabrication, peut-être même le forçage du consentement politique en jouant sur les peurs réelles ou imaginaires. Sous George W. Bush « la guerre mondiale contre le terrorisme » est devenue un outil par lequel les Américains se sont retrouvés dépossédés de leurs droits fondamentaux, parqués, chaussures à la main, faisant la queue devant les cabines de fouille aux aéroports. Tout cela au nom de la « sécurité nationale ».

La mentalité du « soyez nos yeux et oreilles » [invitant les citoyens américains à dénoncer tout comportement suspect d’autrui], renforcée par les lois anticonstitutionnelles du Patriot Act, a tourné les communautés les unes contre les autres. Et quelle qu’ait été la tolérance qui existait avant le 11 septembre, celle-ci a disparu à force de flux constant de propagande haineuse dans les médias appuyée par de faux experts de l’Islam.

Ainsi, un mois après les attentats, il n’était pas surprenant de lire dans un sondage ABC que 47% des Américains ont une opinion favorable de l’Islam. Mais 13 ans après les événements meurtriers, et en dépit de l’assassinat et la mutilation de millions de Musulmans [à travers le monde] pour que Bush puisse puiser dans une plus grande richesse pétrolière au nom de la lutte contre le terrorisme, seulement 27% des Américains ont une opinion favorable de l’Islam. Et pourquoi devrait-on être surpris quand jour et nuit les plateformes d’information continuent de déverser des nouvelles toujours sélectives du terrorisme islamique de Boko Haram au Nigeria à ISIS au Moyen-Orient, et ainsi de suite ?!

Mais cette question ne concerne pas que les médias et la classe dirigeante. Le sens américain de la « destinée manifeste », accompagné du « fardeau de l’homme blanc » [le supposé fardeau qui incombe à l’homme blanc dans son effort de développer la société], n’ont jamais vraiment disparus pour devenir du passé. Ce sont de véritables notions qui continuent d’exister et de définir le « privilège blanc » sur le sol américain et les croisades militaires à l’extérieur.

En effet, la « démocratie » couplée au slogan du respect des « droits de l’Homme » ont été maintes fois brandis pour justifier toutes sortes de mesures antidémocratiques et de nombreuses guerres et interventions militaires dont ont été victimes – avouons-le – bien des pays à travers le monde.

Bien avant que les Musulmans n’aient servi de cri de ralliement pour la maligne « guerre contre le terrorisme » de l’Amérique, d’autres « gens de couleur » avaient payé un prix trop lourd à porter. John Pilger, Tariq Ali, Noam Chomsky et d’autres ont écrit de nombreux livres détaillant de telles atrocités. Mais, ils ont été rejetés ou désignés comme « gauchistes cinglés » par les institutions de recherche et des « experts » pro-gouvernementaux insistant sur l’infaillibilité de Washington, peu importe le prix de ses actes destructeurs.

Ce ne sont pas là de simples pensées aléatoires contraintes par la crise en cours au Moyen-Orient, crise résultant de l’interventionnisme américain et de son incapacité d’assumer la responsabilité de ses propres actions. Oui, ces pensées sont en partie dues à cela, mais elles sont aussi suscitées par la décision du Grand Jury de ne pas inculper ce policier de New York qui a étranglé à mort un homme noir nommé Eric Garner appartenant à une classe défavorisée. Ce, quelques jours seulement après le refus d’inculper le policier qui a tiré et tué l’adolescent Michael Brown à Ferguson, Missouri, et après que Tamir Rice un jeune homme âgé de 12 ans, ait subi le même sort par un officier de police à Cleveland, Ohio. Tous deux d’origine africaine.

Il y a un lien évident entre le racisme américain national et la guerre américaine à l’étranger.

Les médias américains s’obstinent à réduire une question de grande importance à sa dimension terminologique et à quelques déclarations disparates, et ne font que gratter à peine la surface d’une vieille et profonde fracture raciale. Fox News marque enfin une pause dans son action de diaboliser les Musulmans, pour passer à celle de diaboliser les Noirs, comme si ces derniers n’avaient pas été victimes de discrimination systématique et historique qui s’étend des siècles dans le passé.

Certains libéraux et progressistes – qui se plaisent à se prélasser dans la gloire de paraître libéraux et progressistes – sont prompts à protester contre l’outrage moral du système économique et social historiquement truqué de leur pays, dont beaucoup d’entre eux en ont profité au détriment des autres. Ils sont outrés comme si le sort de Garner et Brown était une anomalie dans un système autrement harmonieux !

Pourtant, le système a toujours été truqué], et rien de tout cela n’était secret. Ledit système a été conçu de façon à ce que les privilégiés restent riches et protégés par des lois consacrées à la protection de leurs richesses.

Quant à la violence de la police visant les communautés noires, un rapport de 2012 indiquait qu’une personne noire est tuée toutes les 28 heures aux États-Unis. Rarement ces meurtres n’appellent à la mobilisation ou à une quelconque introspection collective de la part de la majorité blanche.

Alors que le meurtre de trois Américains par ISIS suffisait pour embarquer le pays dans une autre guerre inutile qui a déjà tué des milliers de personnes, le meurtre d’hommes et d’enfants noirs non-armés ne constitue même pas une raison valable pour conduire à des procès justes. Inutile de dire qu’il serait dérisoire d’espérer un quelconque acte d’accusation. L’incohérence morale n’est donc pas difficile à repérer ici.

On se souvient de l’insistance de Bush à rappeler que les soldats américains, quelle qu’ait été l’énormité de leurs crimes à l’étranger, ne devaient jamais faire l’objet de procès devant un tribunal pénal international. Le message était simple : ceux qui servent le pouvoir ne seront pas désavoués. Cela reste le cas, que la victime soit un enfant noir américain désarmé, un Irakien ou une femme afghane.

L’élite de Washington refuse de porter la responsabilité. Le fardeau incombe toujours à la victime de faire une introspection pour améliorer ses chances de vivre une vie meilleure. Aux Noirs de bien se comporter, et aux Irakiens d’apprécier les avantages qui leur sont conférés par les « valeurs et la démocratie américaines ». Les États-Unis, cependant, sont libres de mener à bien les politiques très violentes qui engendrent le terrorisme en premier lieu.

Mais comment peut-on se débarrasser de sa propre couleur de peau ? Les Noirs n’ont pas choisi d’être des esclaves ; ils n’ont pas conçu les lois de Jim Crow ; ils n’ont pas construit le système insurmontable de l’inégalité sociale et économique et l’apartheid qui a été mis en place depuis de nombreuses générations ; ils n’ont pas conçu l’injuste système fiscal qui maintient les pauvres dans la pauvreté à jamais ; ou le système pénitentiaire qui incarcère de manière disproportionnée les hommes noirs.

Tout cela a été l’œuvre d’un système bien conçu qui a accès à la richesse et au monopole d’un pouvoir protégé par des hommes de main qui n’hésitent pas à étouffer et tuer un homme noir mal en point, parce qu’il a été « pris » en train de vendre des cigarettes pour nourrir ses six enfants maintenant orphelins.

« Je ne peux pas respirer » furent les dernières paroles d’Eric Garner. Il est mort, mais des millions d’autres de New York, de Kaboul et d’ailleurs sont encore à vouloir respirer.

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* Ramzy Baroud est doctorant à l’université d’Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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8 décembre 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction de l’anglais : Ali Saad


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