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Gaza : disparus en mer...

mercredi 1er octobre 2014 - 19h:17

Mohammed Omer

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Pour beaucoup dans la bande de Gaza le périlleux voyage par mer vers l’Europe est une tentative désespérée de récupérer la normalité dans leur vie, mais il finit souvent dans la tragédie

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Des Palestiniens jettent des roses dans la mer Méditerranée, au large de la côte de Gaza, en signe de deuil après la disparition de réfugiés palestiniens à bord d’un bateau pour l’Europe qui a coulé au large de Malte, le 18 septembre 2014 - Photo : AFP/Mohammed Abed

Zuhair Marouf, âgé 51 ans, est à court de mots. Il a fait tout ce qui est en son pouvoir pour savoir quelque chose sujet sur la disparition de son fils et de sa petite-fille, mais il est trop tard, semble-t-il, et il est impossible pour lui de trouver quelles ont été leurs dernières allées et venues.

Son fils de 29 ans, Mohammed Marouf, qui a survécu à l’une des attaques israéliennes les plus meurtrières sur la bande de Gaza sur une longue période, a emmené sa fille Lana, de 3 ans, et s’est enfui à travers les tunnels pour échapper à la dévastation des bombardements israéliens sur la prison sous blocus qu’est la bande de Gaza.

« Il n’y a rien pour moi ici. Je suis brisé et il faut que j’aide ma fille à vivre », m’avait-il dit avant qu’il ne disparaisse avec Lana.

Le 6 septembre, Mohammed a appelé son père pour dire : "Papa ne t’inquiéte pas pour nous, nous sommes en route pour la Suède".

Mais, le 10 septembre, la famille Marouf a reçu les nouvelles tragiques à propos de migrants palestiniens qui étaient morts au large des côtes de Malte, après être monté clandestinement sur un bateau pour chercher la liberté. Le bateau a coulé et les migrants se sont noyés.

Zuhair attend maintenant dans les pires angoisses de savoir si son fils et sa petite-fille étaient parmi les victimes.

Avec la bande de Gaza sous blocus israélien, avec la complicité du nouveau gouvernement de l’Egypte concernant le passage de Rafah, des centaines d’habitants de Gaza sont obligés de trouver d’autres voies pour fuir l’enclave côtière palestinienne, souvent via des tunnels vers l’Egypte ou des bateaux vers l’Europe.

Cette pratique désespérée est devenue commune depuis une dizaine d’années, la Belgique et la Suède semblant les destinations préférées pour les Palestiniens qui fuient l’oppression israélienne et sa politique de punition collective.

Quelques nouvelles seraient parvenues à la famille Marouf, par l’un des survivants, disant que la fillette de 3 ans s’est noyée lorsque le bateau a coulé, et que son père Mohammed a nagé pendant un long moment avant de se noyer aussi. Mais ces nouvelles n’ont encore d’aucune manière été confirmées.

Le journal The Guardian a expliqué que le bateau de contrebande portant les migrants aurait été percuté par un autre navire conduit par des trafiquants.

Mohammed Marouf avait avant cela, vu toutes les possibilités disparaître les unes après les autres. En tant que mécanicien, il maîtrisait la technologie des automobiles de marque Volvo, mais il a été contraint d’abandonner ce métier quand tout accès aux pièces de rechange a été bloqué par le siège israélien, lui faisant perdre le travail qui faisait vivre sa famille.

Quelques années plus tard, il a déménagé, pour prendre en charge le département d’entretien de KIA-Motors à Gaza, un travail qui lui a valu très peu d’argent, compte tenu de l’extrême pénurie de pièces détachées.

« Sortez-moi d’ici, je veux vivre en paix, travailler et élever ma famille », m’avait-il dit précédemment, tout en travaillant dans une fosse sous une voiture Kia Sol.

« Il n’y a plus de vie ici, je ne peux rien faire sans pièces de rechange, » dit-il en vissant le réservoir d’huile dans le fond de la voiture.

Son frère Ahmed a réussi à atteindre la Suède après la guerre lancée par Israël en 2008-2009 et il y réside depuis lors. Il avait encouragé son frère à partir et à tenter d’accéder en Suède à une vie meilleure en élevant ses enfants dans un environnement sans violence, et à un meilleur revenu en y travaillant comme mécanicien.

Les forces de sécurité à Rafah estiment que plusieurs milliers de Palestiniens ont fui Gaza par les tunnels pendant la dernière guerre d’Israël contre le territoire assiégé. Les gens despérés mais voulant encore espérer payent un prix significatif pour être conduits via les tunnels de Rafah jusqu’à Alexandrie, puis vers la Libye et l’Italie.

L’ensemble du processus est une question de danger et de chance. Le chemin de la liberté est rempli de risques. Des tunnels se sont effondrés sur des réfugiés qui fuyaient. D’autres ayant réussi ce premier passage sont souvent appréhendés et arrêtés par l’armée égyptienne dans le Sinaï. Les gardes-côtes égyptiens investissent es bateaux, tandis que d’autres bateaux coulent en mer, rempli de réfugiés.

Mais tous ces risques paraissaient jouables à Mohammed Marouf et une meilleure option que de voir grandir sa fille sous l’oppression et dans la peine, et d’assister aux meurtres des siens dans une patrie bloquée de toutes parts par l’armée israélienne. Beaucoup de ses amis sont en désaccord avec lui et refusent de quitter leur maison de Gaza, affirmant que c’est justement le plan d’Israël de pousser le peuple palestinien à abandonner son foyer ancestral, afin de vider la terre et la coloniser.

Son père Zuhair Marouf dit que la décision de Mohammed devait être temporaire, jusqu’à ce que la situation se soit améliorée et qu’il soit en mesure de revenir. Mais maintenant son retour semble peu probable.

Des sources en Italie et à Malte laissent entendre que quelques centaines de Palestiniens se sont noyés alors qu’ils étaient en quête d’asile. Les groupes de migrants estiment qu’environ 2900 personnes sont déjà mortes cette année dans la Méditerranée, par rapport à 700 qui sont mortes sur la totalité de l’année 2013.

Christiane Berthiaume, porte-parole de l’Organisation internationale basée à Genève pour les migrations, a déclaré à propos du bateau qui a coulé près de Malte : « Quelques 500 personnes étaient à bord - des Syriens, des Palestiniens, des Egyptiens et des Soudanais. Ils essayaient de rejoindre l’Europe ».

Mais l’information livrée par Berthiaume ne répond pas aux inquiétudes de Zuhair Marouf et il est toujours dans l’incapacité d’avoir des nouvelles définitives.

Une des familles à Deir el-Balah est dans l’attente de nouvelles de leur fils, mais en l’absence de toute information, ils ont ouvert une tente de deuil et ont commencé à recueillir les condoléances. Un appel téléphonique de quelqu’un en Italie les a alors informés que leur fils était peut-être en vie. Ils ont dû fermer la tente de deuil. Mais deux jours plus tard, des nouvelles sont arrivées à nouveau. Il ne s’agissait pas de lui, mais de quelqu’un d’autre qui a peut-être survécu et était en train de recevoir des soins dans un hôpital de Malte. Le père dit que son fils a dû partir pour trouver du travail et gagner l’argent nécessaire à une intervention chirurgicale pour sa mère.

Sa femme est incapable de dormir et l’épouse de Mohammed Marouf a inscrit sur des sites palestiniens le nom de son mari parmi les disparus. A présent, elle surveille les sites d’information toute la journée et toute la nuit, dans l’espoir de nouvelles.

Des dizaines de familles sont absentes. Certaines sont des familles au complet qui n’ont laissé personne derrière elles dans Gaza, sauf les membres de la famille élargie. Fuir la guerre a été pour elles une décision collective, comme d’aller risquer la mort dans la mer dont Israël a depuis 2006 empêché l’accès aux Palestiniens.

Le Dr Rami Abduo de l’organisation de défense des droits de l’homme Euro-med, dit qu’il est difficile de connaître rapidement le nombre et les noms des victimes.

« Les autorités de Malte n’ont tout simplement pas les moyens de rechercher les corps, et les autorités italiennes enterrent immédiatement les corps qu’ils trouvent. »

Si la famille Marouf a de la chance, elle pourra obtenir des autorités italiennes une photographie des membres de leur famille avant l’enterrement, dit-il.

Mais cela ne suffit pas pour Marouf, voici une mère et une épouse qui ne tolère pas de ne pas savoir ce qui s’est passé à leurs amours ceux dans un pays étranger où ils n’ont jamais pensé qu’ils seraient.

« Je veux savoir si mon fils et ma petite-fille sont morts ou vivants, » dit-il.

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* Mohammed Omer est un journaliste palestino-néerlandais renommé, basé à Gaza.

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21 septembre 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/in-dep...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib


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