Expulsé, ghettoïsé et tué par Israël : histoire de mon cousin à Gaza
mardi 19 août 2014 - 06h:53
Ghada Ageel
Aujourd’hui, l’armée israélienne attaque les même personnes (et leur descendants) que les premiers sionistes (et leur milices terroristes) avaient expulsées vers le ghetto de Gaza, il y a 66 ans.
- Les frappes aériennes d’Israël ont causé des problèmes innombrables aux agriculteurs de la bande de Gaza assiégée : fermiers tués, destructions, bétail décimé, pollution par armes toxiques, etc...
Mon cousin éloigné Sobhi Abou Shammala a été tué en juillet dernier par les forces israéliennes alors qu’il était en train d’arroser sa petite palmeraie dans la zone de Mawasi à Khan Younis. Réfugié, il a une histoire qui balaie l’histoire de la Palestine depuis la Nakba, le désastre de notre expropriation en 1948, jusqu’à récemment, avec les divers prétextes dont a usé Israël pour exercer une violence militaire écrasante à l’encontre des Palestiniens.
Il n’est pas le seul. Plus de 1.800 Palestiniens, des civils pour la plupart, ont été tués par les derniers crimes de guerre israéliens, qui, je veux le croire, seront bientôt confirmés par les enquêtes.
Expulsée de Beit Daras en 1948 à l’âge de 11 ans, la famille de Sobhi s’est réfugiée à Khan Younis dans la bande de Gaza. Aujourd’hui, l’armée israélienne attaque les même personnes (et leur descendants) que les premiers sionistes (et leur milices terroristes) avaient expulsées vers le ghetto de Gaza, il y a 66 ans. Après toutes ces années, comme tant d’autres, ils gardent toujours précieusement les actes notariés de leurs terres familiales à Beit Daras, à quelques kilomètres de Gaza. Mais notre propriété est hors d’atteinte, nous pensons qu’elle a été confiée à du bétail israélien.
En terre sainte, aujourd’hui en tout cas, il n’y a rien qui ressemble à l’égalité des droits – il n’y a que possédants et dépossédés, occupant et occupé, Israéliens juifs et Palestiniens. L’égalité des droits est un grand progrès pour les Américains de différents contextes religieux et raciaux, mais elle n’existe pas en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés. La discrimination légalisée est la loi du pays pour quiconque a les yeux ouverts.
Nous Palestiniens qui sommes déjà sous les bombardements d’armements américains – des F16 et de nouveaux stocks de munitions fournies par l’administration Obama – comment pouvons-nous comprendre qu’au moins deux activistes juifs américains se trouvaient dans la première vague d’envahisseurs ce mois-ci ? De quel droit des Américains participent-ils aux crimes de guerre et à l’assujettissement pratiqués contre les Palestiniens ? Pourquoi un pays où tous sont égaux en droits irait-il exercer un droit supérieur sur les Palestiniens ? Cette pratique ne devrait pas être autorisée par le gouvernement étatsunien.
Bien que les Israéliens aient pratiquement tout pris à la famille de Sobhi, à la mienne, et aux autres 750.000 Palestiniens expulsés en 1948, il y a des valeurs et des pratiques que les Palestiniens ont su transmettre à leurs enfants, et les enfants, à leur tour, à leurs propres enfants : des choses qu’Israël et les extrémistes américains n’auront jamais réussi à leur prendre. Outre la dignité et la ténacité contre toute probabilité et devant la force brute scandaleuse exercée par l’armée israélienne contre les hommes, les femmes et les enfants, la plus importante des pratiques que les Palestiniens transmettent à leurs enfants est de respecter l’importance de l’éducation.
Aujourd’hui, les enfants de Sobhi occupent différents postes : un directeur à l’Hôpital Européen de Gaza, un principal d’une école de l’UNRWA et un instituteur, et ils ont des connaissances professionnelles dans toute la bande de Gaza. Un jour, bientôt peut-être, les Américains et le monde entendront l’histoire de Sobhi et ils s’exclameront : pourquoi ne nous a-t-on jamais dit ça ? Qu’est-ce qu’Israël a provoqué avec des armes américaines en terre sainte aussi bien avec des musulmans qu’avec des chrétiens ?
Peut-être ces Américains ont-ils appris qu’Israël serait « une lumière éclairant les nations », mais aucune lumière n’a été donnée aux enfants de Gaza, uniquement le désespoir le plus noir et la terreur des armes dans l’air de la nuit, avec le bourdonnement inquiétant des drones qui semblent toujours présents au-dessus de leurs têtes. En bas, la destruction anéantit les petits corps et menace le tissu même de notre société, même si nous nous accrochons de plus en plus étroitement les uns aux autres avec le peu qui reste de nous.
Les écoles des Nations Unies n’ont pas pu s’occuper des centaines de milliers de personnes – quelque 245.000 nouveaux réfugiés « réfugiés », un Palestinien sur 7 à Gaza – chassées de leurs maisons vers les installations de l’ONU. Des dizaines de milliers d’autres se sont abritées dans des habitations privées. Un Palestinien sur quatre sans doute est personne déplacée de l’intérieur.
- Des Palestiniens fuient Khan Yunis en portant des drapeaux blancs - Photo : Anadolu Agency/Getty Images/Belal Khaled
Dans mon camp de réfugiés, des gens ont offert abri et nourriture à ces victimes, certaines d’entre elles étant déplacées pour la troisième, la quatrième, voire la cinquième fois de leur vie. L’appartement de ma sœur, un cinquième étage dans Gaza Ville, n’avait pas d’électricité et très peu d’eau, mais elle avait la passion d’aider et a accueilli deux familles. De même, mon cousin Wedjan et mes autres voisins de Khan Younis ont logé des dizaines de déplacés et partagé leurs maigres ressources. La plupart des Gazaouis sont revenus à l’éclairage à la bougie.
Feu mon parent Anis Abu Shammala, le maire de Bureij, a fait de même, il logeait deux familles quand sa maison a été visée – le touchant, lui, deux de ses fils et cinq des réfugiés qu’il avait accueillis.
Mes voisins cuisinent et envoient de la nourriture aux personnes déplacées. Les gens courent d’un enterrement à l’autre, d’une tragédie à une autre au sein d’une communauté profondément connectée. Mais il n’y a pas de temps pour le chagrin et pas de temps pour les larmes. Ils vivent dans des conditions impossibles – rendues pires par le manque d’électricité et le manque d’aide des gouvernement du monde, alors que le soutien populaire est clairement du côté du peuple palestinien – et ils accomplissent l’infaisable en attendant la mort à tout moment.
La résilience des Gazaouis et des Palestiniens en général est extraordinaire. Nous ne nous soumettons pas, nous ne nous couchons pas et nous ne renonçons pas devant l’extraordinaire puissance militaire. Pourquoi ? Parce que les principes et le droit sont de notre côté.
Gazaouis et Palestiniens en général se battent pour la liberté, les droits humains, l’égalité des droits et la dignité. De Rafah au sud jusqu’au camp le plus reculé au Liban, en Syrie ou en Jordanie, il y a une mémoire collective et une volonté de faire respecter nos droits, le principal étant le droit au retour et celui de montrer au monde que nous ne sommes ni meilleurs ni pires que les juifs au milieu desquels nous vivrions, que ce soit à Beit Daras ou Ashkelon – que nous connaissons comme al-Majdal – ou en des centaines d’autres lieux depuis longtemps envahis par les herbes où nous aspirons à revenir.
Mais cette détermination est de celles que les médias occidentaux montrent rarement, parce que informer le public de la justice de notre cause à retourner chez nous n’est pas une priorité. Beaucoup de commentateurs ne connaissent peut-être même pas l’histoire de notre expropriation. Au lieu de cela, trop souvent, la vision qu’on donne des Palestiniens reste enfermée dans les horribles stéréotypes forgés depuis tant d’années au sujet de la Palestine et de son peuple.
Néanmoins Israël se plaint de perdre la guerre immédiate des relations publiques par les images sortant de Gaza. L’obsession israélienne de son image publique est terriblement déplacée. Qu’en est-il de la perte, de l’horreur, du désespoir de jeunes parents ensevelissant le corps de leur enfant mort déchiqueté ? Ce que j’ai vu ces dernières semaines dans les réseaux sociaux, les témoignages que j’ai entendus de ma famille et de mes amis, et les images de mort et de deuil que je vois – tout cela sera en moi et en tout Palestiniens pour toujours.
L’approche israélienne ne donne aucun espoir de réconciliation future. Un père et son enfant ont vu les membres de leur famille tués par une explosion dans leur propre maison alors qu’ils étaient assis pour l’iftar qui rompt le jeûne du ramadan : 19 enfants de la famille Abu Jamei pulvérisés pour une même cible – que sont-ils censés penser après un tel carnage ? Il est certain que les survivants feront d’autant plus énergiquement pression en faveur de la liberté palestinienne.Aujourd’hui plus que jamais, le désir de liberté est fort chez les Palestiniens et nous sommes prêts à en payer le prix fort.
Je ne suis revenue à Gaza que le 10 août, mais chaque personne que j’ai rencontrée, jeune ou vieille, homme ou femme, réfugié ou vieil habitant de Gaza, déplacé dans les centres ONU, dispersés dans les hôpitaux ou toujours dans leurs maisons, ils n’ont qu’un seul message aux négociateurs palestiniens au Caire : ce siège inhumain, le plus long de l’histoire, doit cesser maintenant et nous sommes prêts à payer les prix pour recouvrer notre dignité.
Sobhi a passé sa vie à se construire avec sa famille, à partir de rien, et tout cela pour être abattu par les militaires israéliens à l’âge de 77 ans. Nous n’oublierons pas. Nous persévérerons, comme nous l’avons toujours fait, vers la liberté, le retour et une vie digne et équitable. Mais maintenant je m’accroche à l’espoir qu’un jour un des enfants de Sobhi témoignera devant la Cour Pénale Internationale pour faire enfermer l’officier en charge qui a jugé acceptable de faire feu sur son père bien-aimé, un vieil homme occupé à irriguer ses arbres dans un pays où il a été contraint à l’exil des décennies auparavant par les aïeuls des militaires sans conscience qui à présent dévastent Gaza et son peuple.
* Ghada Ageel est une réfugiée palestinienne de troisième génération qui a grandi dans le camp de réfugiés de Khan Yunis. Elle est professeur invitée en Sciences Politiques à l’Université d’Alberta à Edmonton (Canada) et membre de Faculty4Palestine . Spécialiste de la Nakba, elle est l’auteur de nombreuses publications sur le sujet.
14 août 2014 - MondoWeiss - Vous pouvez consulter cet article à :
http://mondoweiss.net/2014/08/expel...
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM