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De la responsabilité des journalistes, des médias et de la Palestine

mercredi 9 juillet 2014 - 16h:16

Marwan Bishara

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Les contradictions entre le libéralisme et l’impérialisme occidental ont déformé la vision des journalistes des médias dominants.

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Bombardement israélien sur la zone résidentielle de Rafah, le 8 juillet. Le problème numéro 1 des médias occidentaux n’est-il pas d’édulcorer et si possible travestir la réalité des faits, à savoir que la violence est avant tout israélienne ? - Photo : APA/Eyad Al Baba

Les Palestiniens peuvent être pénibles parfois, tant ils sont paranoïaques. Ils pensent que tous les Occidentaux leur en veulent. Et si l’on en juge par leurs réactions ces derniers jours, il est clair qu’aucun média n’a grâce à leurs yeux. La manière dont ils critiquent CNN, la BBC et Al Jazeera America prouve bien qu’ils sont paranoïaques.

Ce n’est pas comme si tout leur pays était occupé ! Ou que tout leur peuple était dépossédé !

Oh mais si ! Leur pays est bien occupé et ils sont bien dépossédés.

De fait, la Palestine est assiégée et les Palestiniens se révoltent une fois de plus.

Et alors ? Ce n’est pas parce qu’on est victimes de 70 années d’occupation militaire et de 70 ans de dépossession qu’on est au dessus de toute critique et de tout soupçon !

Ce n’est pas comme si les médias occidentaux étaient remontés contre les palestiniens !

Je me trompe ? Ils sont remontés contre eux ? C’est en tous cas ce que pensent les Palestiniens qui vivent en Occident.

Que de récriminations...

Ce parti-pris décomplexé des médias a conduit des gens comme Yousef Munayyer, le directeur de la fondation de Jérusalem, à se demander si "CNN n’étais pas devenu le média officiel d’Israël". Munayyer cite le reportage de CNN du 30 juin sur la mort des trois colons israéliens qui donnait la parole à trois israéliens : l’ancien ambassadeur israélien aux États-Unis (qui est devenu un analyste de CNN) ; l’actuel ambassadeur israélien aux États-Unis et Mark Regev, le porte-parole officiel du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou.

Et combien de Palestiniens ont été invités à s’exprimer sur la violence à grande échelle et la punition collective infligée à leur peuple par la machine militaire israélienne ? "Zéro", selon Munayyer.

Mais n’est-ce pas bien exagéré de parler de parti-pris ? Après tout le nombre d’Israéliens invités à se prononcer sur l’avion disparu en vol de la compagnie Malaisienne était à peu près le même !

Grâce à Dieu, on ne peut accuser Al Jazeera America (AJAM) de la même chose car ils donnent la parole à des Palestiniens. Et pourtant, le Palestinien Ali Abunimah s’est plaint, après avoir parlé à l’antenne, que David Shuster, le journaliste de AJAM qui l’interviewait "lui avait fait subir un contre-interrogatoire comme s’il était l’avocat d’Israël".

Et de fait, beaucoup de ceux qui suivent Abunimah sur Twitter ont regretté que l’interview "aie l’air d’avoir été réalisé par la FOX ".

Abunimah a été choqué quand le journaliste lui a demandé pourquoi il n’exprimait pas sa sympathie et ses condoléances aux familles des colons ; de plus, au lieu de condamner l’indifférence regrettable du Hamas, il a eu le mauvais goût de se lancer dans une véhémente dénonciation de l’occupation israélienne et de l’apartheid, comme si c’était le moment et l’endroit de se livrer à ce genre de diatribe alors que nous sommes tous supposés mettre les drapeaux en berne et respecter les trois jours de deuil, exactement comme Israël le fait chaque fois qu’un Palestinien est tué.

Bon, d’accord, Israël ne le fait pas. Mais ils ouvrent une enquête ; des quantités d’enquêtes qui débouchent toujours sur d’autres enquêtes. Malgré ça, les récriminations ne cessent pas ; elles sont même contagieuses. Voilà maintenant que les Palestiniens et ceux qui les soutiennent attaquent la BBC en justice pour savoir pourquoi le média britannique, dans sa promotion de Jérusalem, la qualifie de "ville Israélienne".

Faut-il être pinailleur ! Quand on sait que toute la Cisjordanie, Jérusalem-Est y compris, est enfin revenue dans le giron de ses "propriétaires légitimes" sous le nom de "Judée et Samarie", pourquoi se soucier de la manière dont la BBC parle de Jérusalem. Il faut vraiment être fou.

Hélas, rien de tout cela n’est drôle. C’est même tout à fait affligeant quand on pense à toutes les souffrances que cela engendre pour tous ceux qui se sentent proches de la Palestine.

A propos des faits et de la fiction

La première responsabilité d’un journaliste est d’établir les faits. Tout le monde, y compris les Israéliens et les Palestiniens, à droit à son opinion mais pas à sa version des faits.

Si on s’éloigne des faits, la fiction ou la propagande risquent de compliquer les problèmes politiques au lieu de les clarifier. Et une fois que les faits sont établis, les journalistes doivent s’efforcer de les comprendre sans idée préconçue pour arriver le plus près possible de la vérité de la situation.

Est-ce que la Palestine est occupée ? Oui. Est-ce que Jérusalem-Est est occupée ? Oui. Est-ce que la couverture médiatique occidentale est complètement biaisée en faveur d’Israël. Bien sûr. Et c’est très facile à démontrer.

Est-ce que le Hamas est un sous-produit de l’occupation israélienne ? Oui. Exactement comme le Hezbollah est un sous-produit de l’occupation israélienne du Liban, al-Shabab un sous-produit de l’occupation éthiopienne de la Somalie, al-Qaeda de l’occupation soviétique de l’Afghanistan, et l’Etat Islamique, de l’occupation étasunienne de l’Irak. L’histoire parle d’elle-même.

Pourquoi le Hamas appelle-t-il à la violence contre Israël au lieu d’exprimer ses condoléances quand des Israéliens meurent ? Parce que c’est ce qui leur semble le plus propice à stimuler l’esprit de résistance d’une peuple qui subit une occupation oppressive et meurtrière.

Est-ce que c’est le Hamas qui a tué les trois jeunes colons israéliens ?

Journalistes ou policiers ?

C’est tout à fait normal qu’un journaliste enquête avec l’habilité d’un procureur pour comprendre les causes des problèmes importants. Comme des policiers, les journalistes s’intéressent aux faits, mais à la différence des policiers, ils ne sont pas chargés de faire respecter la loi - que ce soit théoriquement ou autre.

Les journalistes ont le devoir capital de découvrir et d’examiner, en exerçant leur esprit critique, la responsabilité politique fondamentale, le plus souvent indirecte, qui a conduit à une situation de violence.

Il va de soi qu’une occupation militaire est un système basé sur la violence qui ne fonctionne que par la force ; un système qui produit à l’infini ce qu’il pratique lui-même : la violence. Aucune action, aussi terrible puisse-t-elle être, ne devrait jamais être coupée du contexte de violence que l’occupation implique. Lorsqu’un journaliste sépare les cas individuels de violence du contexte plus large de la violence collective, il fait preuve d’irresponsabilité au plan moral et de malhonnêteté au plan journalistique.

L’occupation n’est pas un problème théologique ou religieux. Ce n’est pas un problème de Musulmans, de Juifs, d’Arabes et d’Israéliens. Il s’agit là de pouvoir, des prétextes sur lesquels ce pouvoir s’appuie et de ses ramifications.

Une occupation civile, avec son cortège de colonies - considérées comme illégitimes et contraires à la Convention de Genève par le Conseil de Sécurité de l’ONU - dans les Territoires Occupés Palestiniens est tout aussi violente.

Il est logique de penser, comme les Palestiniens le font, que du fait qu’Israël continue d’agrandir ses colonies, illégalement et par la force, malgré la reprise du processus de paix, il est le véritable responsable de la violence qui règne entre les deux camps : les colons et la population locale.

Journalistes ou diplomates ?

Les journalistes n’ont pas vocation à mettre d’accord deux camps opposés en concoctant un compromis : ça c’est le rôle des politiciens ou des diplomates.

La première responsabilité d’un journaliste est de donner les informations permettant d’appréhender une situation et ses perspectives sans parti-pris et sans idéologie. Mais ce n’est pas tout.

les journalistes doivent aussi s’interroger sur la nature des forces en présence et sur la manière dont elles exercent leur pouvoir ou en abusent.

Donner à un Nazi et à un Juif le même temps de parole n’aboutira pas à une vision saine de l’Holocauste. De même donner à un raciste et sa victime le même temps de parole ne permettra pas de comprendre l’Apartheid. Une telle exigence "d’égalité de traitement" pour prouver sa "neutralité" est au mieux un attrape-nigaud.

De la même manière, donner aux portes parole des deux camps le temps de démolir là ligne officielle de l’autre ne fait que doubler le niveau de propagande. Permettre la rencontre de l’occupé et de l’occupant à l’ombre de l’occupation n’est pas du bon mais du mauvais journalisme.

En réalité, les médias qui aiment à se faire l’avocat du diable - une attitude qui peut être bénéfique quand elle permet une remise en question équitable - feraient mieux de renoncer à la fausse dichotomie du pour et du contre et de se consacrer à l’organisation de débats qui permettent de mettre en lumière les nuances d’une situation, loin du discours officiel, des revendications habituelles et des phrases toutes faites.

Sensible et controversé ?

La tension entre le libéralisme et l’impérialisme occidentaux et les contradictions entre les valeurs de l’Occident et sa politique ont depuis longtemps déformé la vision du tiers-monde des journalistes des médias dominants. De plus, lest intimidations et la peur notamment des accusations d’antisémitisme ont réussi à corrompre l’approche des journalistes occidentaux sur le conflit israélo-palestinien. Je ne dis pas que l’antisémitisme n’existe pas. Je dis que l’abus de cette accusation par les agents de propagande sionistes a largement altéré la vision des journalistes.

Il est généralement admis que le conflit israélo-palestiniens est un sujet sensible et controversé que les journalistes doivent aborder avec précaution pour ne pas contrarier de puissants membres de la classe dirigeante ou le camp israélien occidental. Les journalistes savent que l’accusation d’anti-sémitisme peut détruire leur carrière, aussi infondée soit-elle.

Hélas, il ne manque pas de dévots policiers bénévoles de la pensée qui n’hésitent pas à diffamer quiconque ose critiquer l’Occupation jusqu’à ce qu’il soit complètement anéanti.

Mais cela ne doit pas décourager ceux qui ont choisi cette honorable profession de faire leur travail avec éthique. Dans le cas présent, cela consiste à relever équitablement les erreurs et les méfaits du gouvernement israélien, de l’Autorité Palestinienne et du régime du Hamas à Gaza.

Même si les journalistes n’ont pas besoin, comme les docteurs, de licences pour exercer leur profession et qu’ils n’ont pas à craindre des condamnations pour faute professionnelle qui leur interdiraient d’exercer leur profession, leur responsabilité dans l’avènement d’une société plus saine ne doit pas être sous-estimée.

* Marwan Bishara est un éminent analyste d’Al Jazeera. Il a été précédemment professeur de Relations internationales à l’université américaine de Paris. Il a beaucoup écrit sur la politique mondiale, et il fait largement autorité sur les questions moyen-orientales et internationales.

Du même auteur :

- Obama : le « premier Président juif » d’Amérique ? - 24 septembre 2014
- Une victoire pour Erdogan, mais nuancée - 15 juin 2011

Pour consulter l’original :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet


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