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Le contexte économique du coup d’État en Égypte

mardi 10 juin 2014 - 14h:42

Eric Walberg

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L’Égypte est en train de se créer une dépendance économique vis-à-vis de fonds provenant d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Une catastrophe économique plane ainsi sur une large majorité des Égyptiens ordinaires, qui seront condamnés à en payer le prix.

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Au Caire, le 30 août, des membres des Frères musulmans et des partisans du président déchu Mohamed Morsi exprimaient leur colère contre la police, qui a commis de véritables massacres en réprimant les manifestations de la place Rabia al-Adawiya le 13 août - Photo : Reuters/Amr Abdallah Dalsh

Alors que l’Égypte s’approche du premier anniversaire de la chute du président Mohamed Morsi (le 3 juillet), l’économie continue quant à elle de patauger. Le gouvernement soutenu par l’armée a promis de rétablir la stabilité, ce qui ne sera pas possible en revenant aux politiques de l’ère Moubarak qui avaient échoué ou en s’appuyant sur les aides financières des États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG). 

Malgré le soutien important des médias pour le gouvernement militaire, le mécontentement est fort. Suite aux pénuries de gaz et aux pannes de courant qui continuent encore, ainsi qu’au sentiment de colère qui s’est élevé face à une nouvelle loi sur le salaire minimum qui exclut 75 % de la population active, une vague de grèves sauvages a été amorcée en février, poussant le gouvernement à démissionner.

Les pays du CCG ont déboursé 15 milliards de dollars pour venir en aide à l’Égypte après le coup d’État de juillet. Bien que cette somme ait été rapidement dépensée pour soutenir la livre égyptienne et mettre en œuvre un plan de relance de 4,9 milliards de dollars, la monnaie nationale a depuis continué de baisser tandis que la croissance économique est au point mort, pointant au mieux à 1 % au premier trimestre. Le déficit budgétaire s’élève à 14 % du PIB alors que le taux de chômage est de 13,4 % et que l’inflation est montée à 10 %.

La dette extérieure et la dette publique subissent également une forte évolution et exercent une pression supplémentaire sur la livre. Les aides octroyées par le GCC ne sont pas seulement d’ordre financier puisque l’Égypte reçoit aussi du carburant et du gaz naturel, ressources que le pays exportait allègrement jusqu’à l’année dernière, ce qui fait davantage ressortir l’état de désintégration économique de l’Égypte.

Dans un rapport de la Bank of America datant de février, la candidature à l’élection présidentielle du maréchal Abdel Fattah al-Sissi est décrite comme étant « favorable à court terme au marché ».

Toutefois, la banque a également prévenu que si le candidat reprenait les fonctionnaires et les politiques discréditées de l’ère Moubarak, « une version édulcorée du régime d’avant la révolution » était à envisager. S’adressant à la nation début mars, al-Sissi a regretté : « Nos conditions économiques sont tellement difficiles. » S’il a pointé du doigt les dépenses en carburant ainsi que d’autres subventions qui coûtent au gouvernement 15 milliards de dollars par an et qui représentent 30 % du budget du gouvernement et 9 % du PIB, il n’a donné aucune recommandation claire.

Pour les investisseurs étrangers, l’angoisse au sujet de la légalité du programme de privatisation mis en œuvre sous Moubarak constitue un problème majeur. Après le soulèvement de 2011, une série de contestations judiciaires ont été lancées contre le système de corruption généralisée qui a été révélé et les juges, sous la pression populaire, ont commencé à annuler les privatisations conclues auparavant.

Le gouvernement dirigé par les Frères musulmans a tenté de résoudre la quadrature du cercle. Morsi a autorisé les contestations des privatisations passées d’entreprises appartenant à l’État tout en encourageant l’activité des petites entreprises. Avant son arrestation, il a ordonné des centaines de licenciements dans les rangs militaires et à des centaines d’autres dans la bureaucratie, réduisant ainsi la mainmise de l’élite dirigeante corrompue sur l’économie.

Les Frères musulmans dénonçaient également la façon dont les mesures passées prises par des groupes financiers internationaux avaient affecté le pays, ayant remarqué que l’argent soi-disant économisé grâce à l’« ajustement structurel » lancé par le FMI en 1991 avait en fait profité aux banquiers étrangers, et non aux Égyptiens ordinaires. Au lieu de couper les subventions, le gouvernement Morsi a essayé de les rendre plus efficaces en mettant fin à la corruption. De nouvelles négociations ont été entamées avec le FMI, à l’issue desquelles il a été proposé qu’une partie de la dette soit annulée en vertu du principe de la « dette odieuse ». Un précédent qui ne lui a pas fait gagner d’alliés du côté de Washington, bien que les États-Unis aient utilisé ce principe pour faire annuler la dette extérieure de l’Irak en 2003.

Fondamentalement, il était également crucial pour les Frères musulmans d’amorcer un changement dans les relations politiques et économiques avec Israël. Ils ont directement travaillé avec le Hamas, jouant même le rôle de médiateur lors des pourparlers Hamas-Fatah. Les Frères musulmans ont élaboré un plan ambitieux visant à transformer le Sinaï ; ce plan, qui consiste notamment à construire des infrastructures civiles, à créer des industries et à y renforcer la sécurité intérieure et militaire, cherche à venir à l’encontre de l’hypothèse américano-israélienne selon laquelle cette région était une zone tampon inhabitée. Des indices pouvaient nous laisser penser qu’une nouvelle constellation économique incluant l’Iran était en train de se forger au Moyen-Orient.

Le temps était venu pour l’Égypte d’accepter une telle évolution, mais le renversement de Morsi a entraîné l’abandon de bon nombre de ces politiques. La vieille élite laïque a depuis récupéré le pouvoir et s’est avérée peu disposée à laisser de la place à une couche d’entrepreneurs moins corrompus, plus dynamiques, plus locaux et basés hors du Caire.

Un projet de loi sur l’investissement vise aujourd’hui à empêcher des tiers de contester des contrats passés entre le gouvernement et des investisseurs. En bref, les investisseurs veulent le beurre et l’argent du beurre : plus de fonctionnaires corrompus de l’ère Moubarak, mais plus non plus de contestations d’investissements faisant l’objet de corruption, alors que ces investissements dépouillent souvent une entreprise de l’État de ses actifs et entraînent la mise à pied de travailleurs, tandis que les bénéfices disparaissent à l’étranger.

Alors que ce nouveau climat moubarakiste favorable aux investisseurs prend forme, les Égyptiens ordinaires risqueront quant à eux de perdre leurs aides financières et leur emploi, tout en regardant leur nouveau salaire minimum, déjà modeste, se faire engloutir par l’inflation.

En Égypte, l’alliance du Golfe récemment renforcée a été présentée comme un moyen de sortir de la crise ; en réalité, cette alliance ne fait qu’engager le pays dans une voie dangereuse.

Par le passé, les pays du Golfe ont été protégés par les Britanniques et plus récemment par les Américains. Aujourd’hui, ils semblent vouloir acheter leur sécurité auprès de l’Égypte. À la veille du Sommet arabe de mars, le président égyptien par intérim Adly Mansour à déclaré à la presse koweïtienne que la sécurité du CCG était une responsabilité nationale pour l’Égypte. Selon Mansour, les pays étaient des « partenaires identitaires » qui ont tout autant souffert du « terrorisme aveugle ».

Ce partenariat identitaire a pour conséquence une prise de distance vis-à-vis de la cause palestinienne, en particulier vis-à-vis du Hamas à Gaza. Cela peut être interprété comme une trahison des véritables « partenaires identitaires » : après tout, Gaza a fait partie de l’Égypte jusqu’en 1967.

Les dirigeants israéliens ont poussé un soupir de soulagement collectif lorsqu’Abdel Fattah al-Sissi a pris le pouvoir, et sont en train de développer les réserves de gaz naturel palestiniennes récemment découvertes au large des côtes. Tel Aviv envisage non seulement de mettre fin aux importations en provenance d’Égypte (qui ont été fixées à un prix inférieur à la valeur de marché et qui coûtent à l’Égypte 1 milliard de dollars), mais aussi d’exporter le gaz palestinien vers l’Égypte pour pallier les pénuries de gaz en cours. Pour ces importations, l’Égypte paiera environ quatre fois plus cher que ce que ses exportations de gaz vers Israël ont rapporté entre 2005 et 2011.

Si les événements prenaient cette tournure embarrassante, la cote de popularité d’al-Sissi en ressortirait de nouveau plombée. Une fois de plus, l’armée se précipite pour avoir l’air pertinente. Cependant, elle se montre manifestement incapable de faire face à un paysage en évolution rapide et de formuler un plan pour sauver l’Égypte de la série de déboires qu’elle traverse. Le FMI, les États-Unis, Israël et les pays du CCG n’ont aucune raison d’être optimistes quant à l’avenir du pays, que ce soit à court terme ou à long terme.

* Eric Walberg est un journaliste spécialiste du Moyen-Orient, de l’Asie centrale et de la Russie. Expert en économie, il a beaucoup écrit sur les relations entre Orient et Occident depuis les années 1980. Eric Walberg a auparavant officié en tant que conseiller de l’ONU et écrit actuellement pour PressTV et Al Ahram. Il est l’auteur de Postmodern Imperialism : Geopolitics and the Great Games et de From Postmodernism to Postsecularism : Re-emerging Islamic Civilization.

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8 avril 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Valentin B.


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