16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Vous êtes ici : Accueil > Dossiers > Palestine > Analyses

Entre espoir et désespoir

vendredi 2 mai 2014 - 08h:44

Ramzy Baroud

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Pour le Fatah comme pour le Hamas, l’accord de réconciliation survient à point nommé, écrit Ramzy Baroud.

JPEG - 64 ko

Pendant des années, les organisations palestiniennes ont voulu s’unir, et pendant des années cette unité leur a échappé. Mais est-il possible qu’après plusieurs tentatives infructueuses, le Fatah et le Hamas aient finalement trouvé une position de compromis ? Et s’ils y sont finalement parvenus, alors pourquoi ? Dans quel but et à quel prix ?

Le 23 Avril, les hauts responsables du Fatah et du Hamas ont parachevé les derniers détails de l’accord du Camp de Réfugiés de la Plage, et sans aucune médiation arabe. Les plus importants griefs ont parait-il été résolus, les principales divergences aplanies et les derniers points sensibles renvoyés devant un comité spécialisé. Un des comités aura pout tâche d’incorporer les mouvements du Hamas et du Jihad Islamique dans l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP).

Un fossé vieux de sept ans a été comblé, ont exulté quelques titres dans les médias arabes. Les Israéliens et leurs médias ont réagi de façons diverses. Certains, proches des partis de droite, ont crié à la trahison du processus de paix par Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne (AP). D’autres, en grande partie proches de la gauche, ont pointé du doigt le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu qui aurait poussé Abbas « dans les bras du Hamas », pour reprendre la formule employée par Zehava Galon du Meretz.

Il est faux de prétendre que la faille entre Fatah et Hamas renvoie uniquement aux élections de janvier 2006, lorsque le Hamas avait emporté la majorité des sièges au Conseil Législatif Palestinien puis formé un gouvernement. La querelle est aussi ancienne que le Hamas lui-même. Le Mouvement de la résistance islamique - le Hamas - a été fondé à Gaza avec deux principaux objectifs, l’un clairement affiché et l’autre implicite : résister à l’occupation militaire israélienne dès le début de la première Intifada palestinienne en 1987, et contrebalancer l’influence de l’OLP.

Depuis lors, un argument simpliste a occulté le jugement de beaucoup de commentateurs, même si la plupart d’entre eux sont bien disposés envers les Palestiniens. Ils prétendent que le Hamas était à l’origine une création des services israéliens du renseignement, le Shin Bet, dans le but d’affaiblir la résistance palestinienne.

C’est un jugement erroné.

Les fondateurs du Hamas n’étaient pas les seuls Palestiniens à avoir un problème avec l’OLP. Cette dernière organisation, qui partout représentait et s’exprimait au nom de tous les Palestiniens, a été désigné par un sommet de la Ligue arabe en 1974 comme seul et unique représentant du peuple palestinien. Une telle proclamation ne ciblait pas le Hamas, qui n’existait pas encore. Elle visait plusieurs gouvernements arabes qui se prétendaient les représentants de la Palestine aux niveaux régional et international.

Cette formule de « seul et unique représentant » a cependant perduré même après avoir perdu toute utilité. Après la guerre israélienne contre le Liban en 1982 qui a principalement touché les organisations de l’OLP, la principale institution palestinienne - opérant alors à partir de la Tunisie, du Yémen, de l’Égypte et d’autres pays arabes - a commencé à patauger. Son message devenait de plus en plus exclusif et elle s’est retrouvée sous le contrôle d’une petite clique issue du Fatah et devenue cercle rapproché de l’ancien dirigeant Yasser Arafat.

Quand le soulèvement palestinien de 1987 a éclaté, c’était sous l’impulsion d’une catégorie de Palestiniens bien différente qui semblait refléter un nouvel état d’esprit sur le terrain, loin de Tunis et de toutes les capitales arabes. De nouveaux mouvements se fédéraient dans une Direction Nationale Unie de l’Intifada, laquelle s’est rapidement vue courtisée par la direction de l’OLP en exil. D’autres mouvements, comme le Hamas, ont survécu par eux-mêmes.

C’était cela, la première rupture, qui n’a fait que se renforcer avec le temps. Quand Arafat a signé les Accords d’Oslo avec Israël en 1993, l’aspect fédérateur du « seul et unique représentant » des Palestiniens a commencé à s’étioler rapidement. L’OLP s’est réduite à l’Autorité palestinienne qui s’est retrouvée à gérer des parties de la Cisjordanie et de Gaza sous l’oeil attentif d’Israël, et le parlement en exil s’est transformé en Conseil Législatif Palestinien, un parlement beaucoup plus restreint et placé en Palestine occupée. Les griefs n’ont alors fait que se développer entre l’OLP, l’AP et le Fatah. Il était clair que le projet de libération, élaboré par l’OLP et le Fatah au début des années 60, était réduit à la portion congrue.

En fait, les cartes étaient totalement redistribuées. Les « pays donateurs » devinrent les vrais amis de la Palestine et la géographie s’est soudainement transformée en un labyrinthe de classifications ingérables entre secteurs A, B et C. La question du statut de Jérusalem était un sujet reporté à des discussions ultérieures , et le "Droit au retour" des réfugiés devenait un problème secondaire devant être résolu par une quelconque astuce, avec de possibles gestes symboliques.

L’anesthésiant processus de paix s’est installé dans la durée et il est susceptible de se poursuivre même après l’accord de réconciliation. Le 18 avril dernier, Martin Indyk, ex-lobbyiste israélien et actuellement envoyé américain pour la paix, est revenu dans la région pour tenter désespérément et une dernière fois de pousser les deux parties à un accord, n’importe quel accord, même s’il ne consistait qu’à reporter la date-butoir imposée par les États-Unis pour un « accord-cadre ». Mais il y a peu de chances que cela aboutisse. Netanyahu n’a aucune raison de poursuivre des entretiens, surtout qu’il ne subit quasiment aucune pression en ce sens. Le seul espoir d’Abbas, qui était qu’Israël libérerait quelques prisonniers palestiniens parmi les milliers actuellement incarcérés, s’est effondré. Il n’a plus rien à présenter au peuple palestinien en terme « d’accomplissement ».

Quelques vingt années après qu’Abbas ait contribué à la signature des accords d’Oslo, celui-ci n’a rien à présenter excepté plus de colonies et un fossé apparemment abyssal entre les factions dans son propre parti du Fatah, mais également avec d’autres. Avec l’effondrement imminent du processus de paix, cette fois-ci concocté par le Secrétaire d’État John Kerry, Abbas a eu besoin d’une échappatoire, d’où l’accord du Camp de Réfugiés de la Plage avec le Hamas.

Le moment choisi était désespérément le bon pour le Hamas. Le groupe, qui avait un moment incarné la résistance palestinienne et pas uniquement pour les islamistes mais pour d’autres également, était à court d’options. « Le Hamas est acculé, impopulaire chez lui et enfermé comme jamais dans une boîte, coincé par l’Égypte et l’Israël, » a écrit The Economist le 26 avril. « Ses anciens tuteurs étrangers, comme le Qatar, préféraient garder leurs distances, gelant des fonds prévus pour des projets qui devaient renforcer la position du Hamas. »

En effet, la scène régionale devenait trop complexe même pour un groupe aussi plein de ressources que le Hamas qui était né dans un contexte de crise et était habitué à s’orienter sur des terrains politiques difficiles. Bien qu’il ait démontré ses fortes capacités de résistance face aux guerres et incursions israéliennes, le groupe a été ces dernières années obligé de négocier des hudnas (cessez-le-feu) avec Israël, faisant de son mieux pour maintenir la frontière entre Gaza et Israël exempte de tirs de roquettes. La destruction des tunnels depuis le putsch de l’armée en Égypte contre le gouvernement de Mohamed Morsi en juillet dernier, a coûté au gouvernement du Hamas presque 230 millions de dollars. Gérer une économie dans une région pauvre comme l’est Gaza est une chose, mais la développer sous le plus dur des blocus est quasi impossible.

Comme c’est le cas pour l’AP d’Abbas, l’accord est nécessaire au Hamas pour d’autres raisons que trouver un véritable terrain d’entente pour l’unité nationale afin de combattre l’occupation israélienne. En fait, l’accord du Camp de la Plage devrait permettre à Abbas de poursuivre la part qui lui incombe dans le processus de paix, car il restera aux commandes du gouvernement d’unité escompté dans les quelques semaines qui suivent la signature de l’accord. Bien que les gouvernements arabes n’aient pas été directement impliqués dans le rapprochement entre les deux parties – au contraire de ce qui s’était passé pour les accords de Sana, de la Mecque, du Caire et de Doha – certains restent toujours sur leur réserve.

L’Égypte en particulier détient une clé importante : la frontière de Rafah avec Gaza. Le Hamas recherche n’importe quel opportunité pour échapper au siège et à son isolement. L’Égypte en a bien conscience, et elle a manipulé et parfois puni le Hamas pour la raison qu’il était proche de la Confrérie musulmane.

Les Américains et les Israéliens détiennent les principaux moyens de démolir l’accord de réconciliation. Netanyahu a immédiatement suspendu le processus de paix car l’accord entre le Hamas et le Fatah tombait à point nommé pour que son gouvernement puisse désavouer ces entretiens futiles, dont l’effondrement peut maintenant est mis sur le dos des Palestiniens. Les Américains sont comme à chaque fois alignés sur la position israélienne.

Les scènes à Gaza montrent beaucoup d’espoir et de réjouissance, mais c’est une scène à laquelle nous avons assisté pour tous les accords passés et restés en échec. Parfois le désespoir et l’espoir vont de pair. Ce lieu confronté à tant de misère a servi de champ de bataille à plusieurs guerres et subit un blocus qui n’a de cesse. Il désire fortement une lueur d’espoir, même faible.

JPEG - 5.3 ko

* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr

Consultez également :

- Les États-Unis recherchent « la paix » aux conditions dictées par Israël - 28 avril 2014
- Pourquoi les autorités israéliennes ricanent : le dilemme d’une Cisjordanie « stable » - 22 avril 2014
- Ramzy Baroud s’exprime sur la campagne internationale de boycott - 12 mars 2013
- Il faut sauver la mosquée Al-Aqsa - 10 mars 2014
- Omar et le checkpoint : chaque jour est un cauchemar - 28 février 2014
- Libye : le général Hilfer, la CIA et le coup d’État d’opérette - 6 octobre 2013
- Un héritage des pratiques américaines à Abu Ghaïb : torturer les prisonnières irakiennes - 23 février 2014
- Les années noires : l’Irak au bord de l’implosion - 14 février 2014
- Principes pour guider le jeune militant - 4 février 2014
- La question palestinienne ne saurait être réduite à une crise humanitaire - 29 janvier 2014
- « La France est de plus en plus perçue comme l’adversaire du monde arabe » - 21 janvier 2014
- Mourir de faim à Yarmouk, dans l’indifférence générale - 12 janvier 2014
- 2014 verra l’échec de l’Autorité de Ramallah et une montée en puissance de la campagne BDS - 8 janvier 2013
- 2013 : retour sur une année de guerre en Syrie et en Égypte - 31 décembre 2013
- Discours irrationnels, violences, guerres illégales... - 21 décembre 2013

28 avril 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.