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Le soutien peu consistant de la Turquie à la lutte palestinienne

mardi 29 avril 2014 - 07h:08

David Cronin

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Hier soir, au cours d’un vol Istanbul - Bruxelles, j’ai appris quelque chose que j’ignorais. Les arméniens ont utilisé le terme « aghed » - catastrophe - pour décrire les massacres infligés aux leurs par l’empire ottoman en 1915.

Les palestiniens, bien entendu, utilisent également le terme de catastrophe - ou Nakba - pour se référer au vicieux nettoyage ethnique perpétré par les forces sionistes en 1948.

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Erdogan (à g.) a lui aussi connu sa lune de miel avec Sharon, le boucher criminel de guerre multi-récidiviste

Recep Tayyip Erdogan, le premier ministre turque, a offert cette semaine ses condoléances aux petits-enfants des arméniens tués 99 ans auparavant. Il a également promis de respecter les « opinions différentes ». Cela signifierait-il qu’un tabou est en train d’être brisé ?

En vertu du code pénal turque, ceux qui défendent le fait que le massacre de 1,5 million d’arméniens constitue un génocide sont passibles de poursuites. Hrant Dink, un journaliste turco-arménien, fut accusé de dénigrement anti-turque pour avoir exprimé de telles positions en 2005 ; il fut assassiné deux ans plus tard.

Football politique

Les victimes d’injustices - ainsi que leurs descendants - méritent que soient reconnus les crimes horribles perpétrés à leur encontre. Ils ne devraient jamais être instrumentalisés dans un jeu de football politique ou diplomatique.

Dans le passé récent, le parlement israélien, la Knesset, a évoqué l’idée de reconnaître formellement le génocide arménien. La démarche était totalement cynique - destinée à contrarier la Turquie plutôt qu’à rétablir une réalité historique. C’est cette même institution qui a approuvé une loi punissant les palestiniens qui commémorent la catastrophe qui les a frappés avant, pendant et après la création d’Israël.

Toutefois, il est plus que probable qu’Israël ne tarde pas à reconnaître formellement le génocide arménien. Cela aggraverait alors les tensions avec la Turquie au moment où les deux pays essaient de rehausser leurs liens économiques - aux dépens des palestiniens, cela va sans dire.

Lors du forum international palestinien pour les médias et la communication à Istanbul, j’ai pu entendre un représentant du parti d’Erdogan pour la justice et le développement (AKP) proclamer le soutien de son pays à la cause palestinienne.

Ce soutien est peu fidèle.

Augmentations des échanges commerciaux

Si la Turquie soutenait réellement les palestiniens, cela impliquerait d’imposer à Israël de dures sanctions économiques. Au lieu de cela, la valeur des échanges commerciaux entre Israël et la Turquie a augmenté : de 3,4mds de dollars en 2008 à 4mds de dollars en 2012.

La Turquie a introduit un embargo sur les armes avec Israël en 2011. Elle a cependant continué de réceptionner les armes commandées avant cela. Et en dépit de l’embargo, le ministère de la défense israélien étudierait un arrangement pour réaliser des ventes d’armes à la Turquie.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi Israël est soucieux de rétablir le business avec la Turquie. Le pays a longtemps été le client le plus fidèle de l’industrie de l’armement israélienne. C’est la deuxième plus grande armée au sein de l’OTAN derrière les USA. La Turquie alloue environ 1.8% de son PIB à son armée - plus que la moyenne des États européens.

Erdogan avait eu une dispute publique avec Shimon Peres lors des bombardements de Gaza par Israël en 2009. Si cette prise de position était louable, cela n’effaçait pas le fait que le gouvernement Erdogan avait jusqu’à lors toujours été disposé à acheter des armes israéliennes.

En 2005, les Industries Aéronautiques Israéliennes (IAI) et Elbit ont remporté un contrat pour équiper la Turquie en drones. Ces deux firmes étaient les principaux fabricants des avions qu’Israël avait utilisés pour attaquer Gaza. (IAI s’appelle désormais Industries Aérospatiales Israéliennes).

L’embargo évoqué précédemment, rappelons-le, n’avait été imposé qu’après qu’Israël ait assassiné neuf activistes turques des droits de l’homme alors qu’ils naviguaient en direction de Gaza. En 2010, année de l’attaque, la Turquie était le deuxième plus grand importateur d’armes israéliennes.

Ruée vers le gaz

Un nouveau reportage portait cette semaine sur l’investissement potentiel de la Turquie dans le champ gazier du Leviathan près des côtes méditerranéennes de ce qui est aujourd’hui Israël. L’entreprise du secteur énergétique Turcas a confirmé être en discussion avec une autre entreprise turque Enerjisa pour acheter du gaz provenant de ce champ. On avait précédemment rapporté que Turcas étudiait le développement d’un pipeline pour acheminer du gaz d’Israël vers la Turquie.

Ce reportage permet de rappeler que c’était déjà les questions d’énergies qui à l’origine avaient suscitées l’intérêt des puissances impérialistes pour la Palestine. Au début du 20ème siècle déjà, Haifa hébergeait un pipeline acheminant du pétrole du golfe persique.

La Compagnie Pétrolière Turque jouissait d’un monopole virtuel sur son pétrole entre 1925 et 1961. Le nom de la firme (modifié ensuite en Compagnie Pétrolière Irakienne) était trompeur. Elle était contrôlée par des banques britanniques et allemandes et par Royal Dutch Shell.

Je soupçonne que de plus amples informations vont nous parvenir à propos de ces fameuses abondantes réserves énergétiques israéliennes. D’après certaines estimations, les gisements israéliens pourraient produire 250 milliards de barils de pétrole.

Les gisements de pétrole sont devenus synonymes d’un procédé d’extraction destructeur d’un point de vue écologique appelé fracturation. Mais une firme israélienne dénommée Israel Energy Initiatives clame que de nouvelles techniques permettent d’extraire ce pétrole avec un « impact environnemental faible ».

Cette affirmation n’est pas très crédible. La seule façon d’assurer que les énergies fossiles aient un impact environnemental faible consiste à les laisser là où elles sont.

Si il y a une ruée vers l’exploitation des ressources énergétiques sous contrôle israélien, alors on peut être sur que ceux qui en bénéficieront n’auront que peu d’égard pour le respect des droits de l’homme.

La profession de foi de solidarité de la Turquie envers les Palestiniens restera ainsi creuse, tant que les autorités d’Ankara continueront de faire des affaires avec Israël.

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* David Cronin est le correspondant de l’agence de presse Inter Press Service. Né à Dublin en 1971, il a écrit pour diverses publications irlandaises avant de commencer à travailler à Bruxelles en 1995. Son dernier livre, " Corporate Europe : How Big Business Sets Policies on Food, Climate and War " est publié en août chez Pluto Press www.plutobooks.com.

Du même auteur :

- Comment l’Europe finance l’occupation de la Palestine - 8 mars 2010
- L’apartheid d’Israël est pus sophistiqué que celui d’Afrique du Sud - 18 juillet 2013
- Comment l’Europe courtise l’industrie d’armement israélienne - 7 décembre 2012
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- L’alliance de l’Europe avec Israël - 8 mars 2010

The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/blogs...
Traduction : CCIPPP - Youssouf R.


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