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Pourquoi les autorités israéliennes ricanent : le dilemme d’une Cisjordanie « stable »

mardi 22 avril 2014 - 07h:16

Ramzy Baroud

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Ces temps-ci, a dit le Vice-Ministre des Affaires Etrangères, Ze’ev Elkin, en ricanant, la Cisjordanie est « l’endroit le plus stable du Moyen-Orient », assertion ahurissante et exaspérante pour bien des Palestiniens.

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La police de l’A.P. se coordonne avec la police des frontières israélienne pour contrôler l’accès des Palestiniens au poste de contrôle de Bethléem (ActiveStills.org)

Le Vice-Ministre des Affaires Etrangères, Ze’ev Elkin, est membre du parti Likoud de Benjamin Netanyahou et de son cabinet à majorité de droite. Dans une interview récente accordée à The Economist, Elkin, sur le ton prétentieux qui lui est familier, s’est montré oublieux de notions comme le droit international ou les droits de l’homme, en réaffirmant son rejet d’un état palestinien.

Elkin veut plutôt qu’Israël annexe un morceau de la Cisjordanie. Rien de neuf ici, car ce genre de langage fait partie à présent du discours israélien officiel. Mais une de ses assertions sortait du lot, ahurissante et exaspérante pour bien des Palestiniens.

Ces temps-ci, a dit Elkin en ricanant, la Cisjordanie est « l’endroit le plus stable du Moyen-Orient ».

L’étonnement pourrait venir du fait que la Cisjordanie est une territoire palestinien occupé. Sa population est menée à la pointe du fusil, elle n’a aucune liberté et n’a aucun droit. Ses terres sont saisies de force pour donner davantage d’espace aux colonies et aux colons juifs illégaux, dont le nombre dépasse à présent le demi-million.

Inutile de le dire, la Cisjordanie ne saurait être stable

En revanche, les Palestiniens devraient mener leur propre révolution jusqu’à ce qu’ils obtiennent l’intégralité de leurs droits et de leur liberté. Ceci n’est pas un appel à la violence mais une inclination humaine naturelle. Pourtant les Palestiniens ne se rebellent pas. Beaucoup de facteurs les retiennent, dont l’un est l’Autorité Palestinienne elle-même, à Ramallah.

Ses forces sont en « coordination sécuritaire » constante avec Israël. Ses « troupes d’élite » sont entraînées par des généraux étatsuniens et des armées arabes. La mission de l’AP n’est pas de libérer la Palestine mais d’assurer l’asservissement des Palestiniens pendant qu’Israël continue à s’occuper du projet colonial qu’il déploie depuis des décennies.

Le vice ministre Elkin sait tout cela. Netanyahou lui-même, de même que chaque fonctionnaire israélien, comprend que l’AP, en dépit des tentatives occasionnelles de Mahmoud Abbas pour apparaître méfiant et rebelle, n’est pas une menace pour Israël et ne le sera jamais. Il en sera ainsi même si la date-butoir du 29 avril imposée par les Etats-Unis pour un accord-cadre entre le gouvernement israélien et l’AP est dépassée et même si Abbas osait signer les demandes d’adhésion à une quinzaine d’organisations internationales. Abbas et ses hommes comprennent qu’il y a des lignes rouges qu’il ne peuvent franchir sous aucun prétexte.

Abbas est peut-être faible mais il est intelligent. Il savait que les efforts de paix de Kerry n’aboutiraient pas et que le Premier Ministre Benjamin Netanyahou trouverait le moyen de faire capoter le processus. Si Abbas avait un peu de chance, Kerry pourrait même blâmer Israël pour avoir fait dérailler le processus de paix, comme il l’a déjà fait. Alors Abbas ferait ce que d’aucuns trouveraient raisonnable : rechercher d’autres reconnaissances internationales pour l’État de Palestine.

Cela pourrait frustrer quelque peu les Américains, irriter beaucoup les Israéliens, mais cela donnerait à ses partisans une raison de promouvoir le dirigeant âgé de 79 ans comme un nouvel Arafat, héroïque et méfiant jusqu’au bout.

Les Israéliens ont encore besoin d’Abbas. Il est important pour maintenir la « stabilité » en Cisjordanie. Cela signifie la poursuite de la coordination sécuritaire qui assure la sûreté des colons armés, et procure une protection supplémentaire aux soldats israéliens quand ils tuent à volonté, confisquent encore davantage de terres, démolissent arbres et maisons, dressent des murs, creusent des tranchées et nivellent les collines.

Alors, peu importe si un état imaginaire existait sur papier dans les dossiers de quelque corps international à Genève ou à Bruxelles. Pour Israël, le droit, la loi, ce sont ses militaires qui les font, et la réalité, c’est ce qui se passe dans la Zone C, pas dans une quelconque capitale européenne.

Voilà pourquoi Elkin ricane. Il est à l’aise, tout comme l’élite politique israélienne. Depuis la signature des Accords d’Oslo en 1993, un accord est conclu entre Israël et et ce qui est devenu une classe politique palestinienne prédatrice, contrôlant tout et corrompue. Israël a maintenu son occupation militaire, a poursuivi son projet colonial et a continué à défigurer les territoires occupés de toutes les façons qu’il estimait nécessaires à ses besoins de « sécurité ». Les élites palestiniennes se sont vu garantir des privilèges économiques et des accréditations qui sont refusés à la grande majorité des Palestiniens.

Pour l’AP, le défi permanent est de maintenir un certain niveau de légitimité

Bien sûr, elle se sert de son monopole de la force, qui est facilement sanctionné par Israël, pour arrêter, torturer et tuer des résistants palestiniens s’il le faut. Elle utilise la logique de la théorie économique du ruissellement pour maintenir les Palestiniens dans leur ensemble otages de son pain quotidien.

Mais cela ne suffit pas. Il lui faut brandir l’oriflamme de héraut exclusif de la liberté des Palestiniens. Elle se sert de slogans, de drapeaux et de keffiehs pour promouvoir cette marque via le contrôle qu’elle exerce sur les médias. Beaucoup de partisans de l’AP chantent ce refrain et jurent qu’Abbas, Abbas seul, est capable d’extorquer la libération tant convoitée de la Palestine des mains obstinées du Premier Ministre israélien.

Les fonctionnaires palestiniens font savamment gonfler l’image de marque d’Abbas pour être sûrs que les Palestiniens ne remettront pas en question la sagesse de leur leader vieillissant, après l’échec récent et prévisible du processus de paix, qui d’ailleurs n’a jamais réellement été censé réussir.

Un fonctionnaire palestinien a parlé du refus d’Abbas de tenir compte d’un appel du Secrétaire d’État US John Kerry lui demandant d’arrêter les demandes d’adhésion aux traités internationaux. Il a prétendu que Kerry a mis en garde Abbas contre une « forte réponse (israélienne) » à l’action palestinienne. Abbas aurait répliqué « Les menaces d’Israël ne font peur à personne. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent ».

Ces paroles ont été répétées dans les médias palestiniens. L’image d’Abbas a été amplifiée une fois de plus. Il n’y a aucun espace pour ceux qui mettent en cause la crédibilité, la légitimité ou les méthodes foireuses de cet homme. De plus en plus d’affiches du vieil homme sont placardées dans les villes palestiniennes occupées. Ses dernières bouffonneries aideront à perpétuer le mythe que l’AP est une plateforme pour la résistance, pas pour la capitulation.

Aussi longtemps que la Cisjordanie est « stable », et aussi longtemps qu’Abbas et ceux qui le suivent continueront de vendre les vieilles illusions palestiniennes de révolutions qui n’ont jamais eu lieu, et de héros qui n’existent que sur les affiches colorées dans les rues de Ramallah … Elkin continuera de ricaner.

Et aussi longtemps que la Cisjordanie est « stable », les Palestiniens n’obtiendront pas leur liberté, car la soumission ne permet pas de conquérir des droits : seule la résistance le peut.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr

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16 avril 2014 - The Palestin Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à
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Traduction : Info-Palestine.eu - AMM


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