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Un Kouffiya pour Tony Benn, le guerrier britannique qui « s’est bonifié avec l’âge »

mardi 25 mars 2014 - 13h:33

Ramzy Baroud

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Des années avant que la campagne du Boycott, Désinvestissement et Sanctions ne soit parvenu à prendre une position centrale dans le mouvement de solidarité palestinien, Tony Benn préconisait déjà un boycott d’Israël avec une conviction sans faille.

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Tony Benn - Photo : United National Photographer/Rex

"L’Angleterre devrait apporter son soutien à cette stratégie en cessant de vendre des armes à Israël, en lui imposant des sanctions commerciales et en y interdisant tout investissement tout en boycottant ses produits ici à moins qu’Israël n’accepte de se plier immédiatement à ces exigences" écrivait Benn sur son blog le 19 avril 2002 sous le titre "UN ETAT PALESTINIEN MAINTENANT". Par "stratégie" Benn voulait parler du projet d’Arafat de déclarer un état palestinien et de la reconnaissance de ce dernier par les "nations amies".

Oui, le titre était en lettres capitales. C’était comme si Benn, un respectable politicien britannique de gauche, avait voulu souligner on ne peut plus clairement que les droits, la liberté et la souveraineté du peuple palestinien devaient être respectés. C’était un homme audacieux et courageux, comme tous les hommes et femmes de principes devraient l’être. Il ne badinait pas avec les droits humains et la justice. Ce guerrier d’envergure internationale a laissé un vide, qu’il sera difficile de remplir, en nous quittant le 13 mars à l’âge de 88 ans.

A sa mort, les médias britanniques ont publié nombre d’articles sur Benn et sur le fait qu’il était un politicien obstiné et un défenseur intransigeant des droits humains. Franchement, les médias ont davantage insisté sur le premier aspect que sur le second, en dépit du fait que pour Benn la politique avait un rôle éthique. Selon lui, le Parlement devait être une tribune au service du peuple et non un endroit où l’on conspirait avec d’autres politiciens pour avantager son parti. Pour beaucoup de politiciens, la seule chose qui importe est de gagner les élections et non d’utiliser leur mandat pour servir sincèrement le peuple. Benn était différent, cela explique la relation amour-haine que l’Angleterre avait avec lui.

A leur habitude, pour résumer la vie de Benn, les médias britanniques ont repris en boucle des remarques sur lui qui avaient fait le buzz à moment donné. Comme le fait qu’il aurait été "immature". C’est son plus grand adversaire au Labor Party, Harold Wilson (qui est toujours en vie à 96 ans), qui avait ainsi commenté le fait que Benn s’était radicalisé en vieillissant. La plupart des médias adorent les phrases toutes faites et les slogans qui leur facilitent la vie. Wilson et son camp ont tenté de faire porter à Benn la responsabilité des défaites électorales successives du Labor Party. De fait Margaret Thatcher puis John Major ont gagné quatre élections de suite et ont tous les deux modifié en profondeur l’économie britannique et écrasé la plupart des principaux syndicats. Mais rendre Benn responsable des divisions internes du parti est pour le moins injuste.

Comparons la vie de Tony Benn à celle de Tony Blair. Le premier était profondément honnête, il s’est courageusement opposé à l’hégémonie étasunienne sur le monde, et il s’est battu de tout son cœur pour les pauvres et les précaires et contre la mondialisation sauvage qui a rendu les états vulnérables aux disparités inévitables du système économique mondialisé.

Blair a fait exactement le contraire : c’est un politicien dénué de tout sens moral qui ne sert que ses propres intérêts et qu’on a, à juste titre, qualifié de toutou de Bush pour avoir suivi les États-Unis dans des aventures militaires douteuses, notamment en Afghanistan et en Irak.

Benn, a toujours été et sera toujours considéré par tous - même par ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui- comme un homme de haute stature morale. Blair avait perdu la confiance de ses pairs avant même d’être obligé de quitter ses fonctions. Les médias israéliens, eux, garderont sans doute un bon souvenir de Blair.

Benn, guidé par les hautes valeurs morales qui l’ont accompagné pendant ses 50 ans de mandant comme Membre du Parlement britannique, s’est attaqué à des défis encore plus élevés lorsqu’il a pris sa retraite en 2001. L’homme politique qui luttait avec acharnement pour que le Labor Party corresponde à ce qu’il doit être, a pris une envergure internationale en s’attaquant infatigablement au plus épineux des problèmes.

Quand a commencé la soit disant guerre anglo-étasunienne contre le terrorisme - dissimulant des intérêts économiques et stratégiques - Benn est devenu célèbre, non pas en tant qu’"expert" de télévision mais comme opposant virulent au massacre de centaines de milliers d’innocents par les États-Unis et son propre gouvernement. Depuis cette époque, l’homme n’est jamais resté longtemps loin de la rue. Ses discours passionnés prononcés dans un anglais raffiné subjuguaient les foules. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque il fallait être particulièrement courageux pour critiquer les guerres. Mais la peur n’arrêtait pas Benn, au contraire, il était d’une audace incroyable.

Je l’ai écouté une fois à Trafalgar square à Londres. Il portait un Kouffiya, la coiffe palestinienne traditionnelle. Il parlait de l’Irak, du Liban et de la Palestine, comme s’il en faisait partie. Des milliers de gens l’applaudissaient avec enthousiasme. C’était comme si ses mots avaient le pouvoir de libérer les nations arabes de l’occupation militaire et de la guerre. Mais il est vrai que parfois les mots se mettent à vivre par eux-mêmes et qu’en se multipliant à l’infini ils peuvent changer le monde.

"La responsabilité des crimes abominables qui ont été commis contre les Palestiniens doit être partagée également entre Jérusalem et Washington car les gouvernements étasuniens successifs ont financé Israël, armé Israël et utilisé leur veto au Conseil de sécurité pour soutenir Israël dans son refus de se soumettre à l’opinion publique internationale," a-t-il déclaré en 2003 dans un interview pour Al Ahram, un journal basé en Égypte.

Il est exact que Benn n’a pas été le seul homme politique à parler avec autant d’honnêteté de la responsabilité partagée des crimes commis contre les Palestiniens, mais peu d’entre eux ont été aussi loin que lui. La prochaine fois qu’il y a un rassemblement en faveur de la Palestine, il faudrait installer une chaise vide avec un Kouffiya palestinien au nom de Tony Benn. C’est une tradition palestinienne d’honorer de la sorte ses héros, même ceux qui ont un magnifique accent anglais.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr

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mars 2014 - The Palestine Chronicle - Pour consulter l’original :
http://www.palestinechronicle.com/a...
Traduction : Info-palestine.eu - Dominique Muselet


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