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Gaza, la mémoire retrouvée d’un peuple

vendredi 27 avril 2007 - 14h:40

Arnaud Robert - Le Temps

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Evénement ! Le Musée d’art et d’histoire de Genève présente les plus belles pièces archéologiques de ce qui sera, bientôt, le Musée de Gaza, ancien carrefour de civilisations.

Jawdat Khoudary fume dans le jardin du Musée genevois. Il y a deux murs plus loin, des antiquités qui obsèdent son quotidien depuis vingt ans. Cette colonne tronquée, par exemple, ornée d’une croix chrétienne. L’entrepreneur palestinien, dont la collection de plus de 3 000 pièces raconte des millénaires d’histoire à Gaza, a reçu un jour la visite d’un dignitaire du parti Hamas. Khoudary s’attendait à un rejet du symbole chrétien. « Il m’a dit au contraire que l’archéologie, jamais, ne devait être soumise à la religion, qu’il ne fallait pas privilégier un segment de notre passé plutôt qu’un autre. » C’est l’ambition de cette exposition cruciale, intitulée Gaza à la croisée des civilisations. Une première mondiale.

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Lampe à huile décorée d’arabesques -
Omeyyade, VIIe-VIIIe siècle - Céramique - Blakhiyah -
© Département des Antiquités de Gaza
(Ph : Chaman atelier multimédia, S. Crettenand)

Jusqu’au 7 octobre, le Musée d’art et d’histoire de Genève révèle ce qu’on ne connaît pas de Gaza ; une bande, oui, dont le sol garde le souvenir de six millénaires passés. Des civilisations égyptienne, assyrienne, gréco-romaine, islamique, la mémoire des passages marchands, du port, de la route de l’encens, de la Méditerranée vivante. Jawdat Khoudary, qui bâtit des maisons, est tombé par hasard sur un premier objet. Il a décidé, à partir de cette trouvaille, de se faire une vocation d’archéologue amateur et d’imaginer à Gaza la construction d’un musée. Pour Marc-André Haldimann, codirecteur de l’exposition, « sa démarche constitue un acte de résistance, un message pour les générations futures ». Un autre visage de la Palestine, en tout cas, que le professeur français Jean-Baptiste Humbert et son homologue palestinien Moain Sadeq dessinent en parallèle. Ils fouillent, depuis 1994. Et ont choisi Genève pour présenter leurs travaux. « La neutralité est un avantage. Genève bénéficie d’une réputation exceptionnelle dans le monde, sur le plan académique également », explique Jean-Baptiste Humbert.

D’autre part, il existe une tradition locale de voyages scientifiques dans le Proche-Orient qui remonte au XIXe siècle. Une fraternité, peut-être, que le projet des Accords de Genève a su amplifier. Magistrat en charge de la Culture, Patrice Mugny a fait le déplacement. Quatre fois. « Le plus extraordinaire, dans cette entreprise, c’est que nous n’avons rencontré aucune opposition politique. Nous avons obtenu l’agrément des Israéliens, des Palestiniens et je dirais même de toutes les factions en présence. Chacun a saisi l’enjeu. » Ce qui n’a pas forcément rendu l’affaire aisée. Sur cette bande de terre, dont les deux points de sorties sont scrutés, on n’extrait pas des containers d’antiquités sur un coup de fil. Et les fouilles ont dû être interrompues depuis près d’un an, suite à la dégradation du climat politique à Gaza.

Un contexte difficile, encore alourdi ces jours, qui encourage les autorités palestiniennes à soutenir largement l’exposition. Le président Mahmoud Abbas a visité jeudi les salles du musée genevois. On devine l’enjeu politique à ne plus concevoir la Palestine seulement comme une constellation chaotique, mais un lieu chargé d’histoire. Ainsi, l’Unesco patronne la construction du musée à Gaza, rêve que la Ville de Genève veut piloter.

Derrière les statues et les amphores, les motivations de part et d’autre surgissent parfois dans les discours. Jawdat Khoudary, qui vit désormais au Caire, tranche : « L’archéologie nous a appris que Gaza était un carrefour, qu’il y avait là un port important. Cela rend plus urgent encore notre espoir de retrouver un accès au monde. » Justifier de la richesse de son passé pour exprimer le confinement du présent. C’est une tentation. Mais pour les concepteurs de l’exposition, elle n’étouffe pas le défi scientifique.

Selon Marc-André Haldimann, il faut surtout valoriser l’ampleur des découvertes, même si les possibles récupérations ont très vite été discutées : « Nous savions que notre travail serait particulièrement exposé. Mais je pense que nous pouvons soutenir par nos connaissances la construction d’un musée à Gaza. Parce que cet objectif me paraît dépasser toute considération. »

Jamais évoqué, l’Etat d’Israël participe de la conversation. Patrice Mugny ne l’ignore pas : « Nous avons là deux peuples appelés à vivre ensemble. Ce n’est pas à nous de montrer le chemin pour que cette coexistence sereine se réalise enfin. Mais la culture peut probablement aider à une meilleure compréhension mutuelle. »

C’est une histoire qui, au fond, ne fait que commencer. Genève s’engage avec cette exposition pour suivre sur le long terme l’élaboration de ce lieu de savoir qui doit, « impérativement » selon Jean-Baptiste Humbert, être inauguré à l’endroit où ces découvertes ont été faites. « Malgré la violence, je crois que nous devons prendre le risque d’établir ce patrimoine chez nous », confirme Jawdat Khoudary. Derrière lui, ses enfants en cravate disent dans un anglais impeccable qu’ils comptent bien retourner bientôt au pays. Le long d’une bande nommée Gaza.


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Plaque décorative avec motif de palmier - Mamelouk - Calcaire
Haut. 33 cm, larg. 26 cm, épaiss. 10 cm -
© Collection Jawdat Khoudary, Gaza
(Ph : Chaman atelier multimédia, S. Crettenand)

La culture et l’espoir

Un trait d’union. Cette bande dont on connaît trop le nom, décrite comme un carrefour de civilisations, un portique maritime entre l’Afrique et l’Asie. Gaza retrouve un visage à Genève. Celui des calligraphies arabes, des statues romaines, de la Perse et de Byzance. Tout ce que des archéologues ont exhumé, tant bien que mal, lorsqu’on leur en laissait le temps. Ils annoncent des découvertes majeures, un patrimoine d’une ampleur inouïe. Ils mettent côte à côte les vestiges des religions de la terre et des religions du Livre. On croirait à une réconciliation, un apaisement, tandis que tout aujourd’hui démontre le contraire.

De cette exposition à Genève, les organisateurs voudraient extraire la dimension politique. Du savoir pour le savoir. Pas de récupération, pas de cadre idéologique. L’archéologie a ceci de particulier qu’elle donne l’impression de ne traiter que du passé. En réalité, de nombreux peuples creusent dans leur sol pour se justifier de l’intérêt qui leur est porté, pour ajuster leur voix dans le concert des nations. Ils existent parce qu’ils ont existé plus tôt. Ce qui exclut davantage encore les civilisations qui ne disposent pas d’artefacts à présenter. Alors, le risque est grand, dans le cas de la Palestine, de voir cette exposition utilisée et détournée de son objectif premier. Celui d’ajouter une dimension centrale à notre savoir partiel sur ce territoire qui baigne dans la Méditerranée.

On veut bientôt bâtir un musée à Gaza - Genève se positionne pour piloter le projet. Et la culture, c’est l’ambition collective, doit servir ici à réamorcer le processus de paix. Il ne faut pas être naïf. Des objets en vitrine n’ont jamais empêché une guerre. Mais cette mission qu’on assigne aux créations anciennes, aux traditions cumulées, même si elle paraît lourde, a le mérite de révéler ce qu’il y a de commun parmi les peuples du Proche-Orient plutôt que ce qui les tient à distance. Et, dans cet humanisme que l’on perçoit chez les initiateurs de la démarche, quelque chose pointe qui nous étonne en ce moment précis de l’histoire palestinienne. L’espoir.


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Stèle funéraire avec inscription en arabe -
Ayyoubide, XIIe-XIIIe siècle - Marbre blanc - Gaza -
© Département des Antiquités de Gaza
(Ph. : Chaman atelier multimédia, S. Crettenand)

Présentation de l’exposition : Gaza à la croisée des civilisations

Arnaud Robert - Le Temps, le 27 avril 2007
1) et 2)

Et aussi : Gaza la florissante, des pharaons à l’Empire ottoman


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