16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Les leçons de la guerre d’octobre 73

lundi 14 octobre 2013 - 16h:20

As’ad AbuKhalil

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Il est certain que les régimes syrien et égyptien ont tiré avantage de la propagande sur la guerre d’octobre 73. Avec l’argent du Golfe, cette guerre d’Octobre a été depuis depuis 1973 un vrai trésor propagandiste circulant à travers les médias dans le monde arabe .

JPEG - 19.4 ko
Hafez al-Assad sur le front du Golan - Les premiers développements de la guerre d’octobre 73 ont été une claque magistrale pour l’armée israélienne d’occupation.

Que la guerre d’Octobre ait été une victoire pour les Arabes (ou les régimes arabes, selon les affirmations de ces mêmes régimes ) n’est jamais remis en question. Il est de coutume en politique arabe, y compris dans la littérature des partis politiques et dans les médias, de se référer à la victoire d’Octobre. Mais la guerre d’Octobre a été en réalité une affaire très compliquée .

Nous savons maintenant que les motifs d’Anouar el-Sadate à l’origine de la guerre n’ont jamais été la libération des terres égyptiennes ou le fait de donner une leçon aux Israéliens, et en aucun cas une volonté de venir en aide à la cause palestinienne. Nous savons maintenant - et le nouveau livre de Yigal Kipnis, basé sur des documents israéliens inédits, ne fait que le confirmer - que Sadate voulait dès le début de son mandat de président, parvenir à la paix avec Israël. Sadate en fait mendiait aux États-Unis et à Israël ( indirectement au début) une totale tranquillité et un retrait de l’Égypte dans le conflit israélo-arabe. Comme les Américains et les Israéliens ne prenaient pas Sadate au sérieux, celui-ci accepta, mais du bout des lèvres, de lancer la guerre d’Octobre. Le régime syrien de Hafez al -Assad avait des motifs politiques similaires : tous les deux, Assad et Sadate, savaient qu’ils ne pourraient pas se maintenir au pouvoir sans faire quelque chose, n’importe quoi, pour tenter soit de libérer les terres occupées, soit être considérés comme ayant tenté de libérer les terres occupées.

La guerre a pris Israël par surprise et les Arabes étaient en bonne voie pour parvenir à la victoire, mais plusieurs facteurs sont entrés en jeu et ont changé le cours et l’issue de la guerre.

Premièrement, les États-Unis sont intervenus très tôt et ont lancé un approvisionnement militaire sans précédent au profit de l’armée israélienne (c’était alors le plus grand pont aérien jamais réalisé dans l’histoire de la guerre et il ne fut dépassé en importance qu’en 1990 lors de la préparation de la guerre du Golfe).

Deuxièmement, Sadate voulait jouer au général et ignorer les conseils militaires si déterminants du général Shazli et d’autres, lesquels auraient garanti un résultat dans le conflit beaucoup plus favorable à la Syrie et à l’Égypte.

Troisièmement, Sadate craignait une victoire militaire au profit de son armée et de l’armée syrienne, parce que son but était simplement d’activer un « processus de paix ».

Quatrièmement, la guerre lancée par les deux régimes n’avait rien à voir avec la cause palestinienne, et ses objectifs étaient donc limités.

Cinquièmement , les régimes syrien et égyptien n’étaient pas des régimes (en particulier dans le cas de l’armée syrienne) doués de flexibilité ou de capacité d’initiative tactique. Cet aspect est bien étudié dans le livre de Kenneth Pollack, Arabs at War.

Sixièmement, il y avait un certain désavantage de la part des deux armées syrienne et égyptienne : les régimes des deux pays se souciaient davantage de la préservation de leur pouvoir en place que de gagner une victoire décisive.

Septièmement, les régimes syrien et égyptien se méfiaient l’un de l’autre et il y avait peu de coordination sur les fronts de la guerre.

Huitièmement, le roi Hussein de Jordanie était à tous les points de vue un espion travaillant pour Israël, et il faisait connaître à Israël tout ce qui était bénéfique pour lui. À ce jour, les documents des archives israéliennes mis au jour, omettent tout ce concerne le rôle de Hussein dans la guerre, par souci de préserver son héritage et son image chez les Arabes.

Neuvièmement, il y avait peu de solidarité arabe (par les régimes) pendant la guerre et l’embargo pétrolier des pays du Golfe a été limité et sans grand impact.

Alors que la guerre avait commencé dans des conditions dévastatrices pour Israël et son arrogance, elle a fini en défaite pour les armées syrienne et égyptienne. Toutes les deux se sont retrouvées dans une situation désavantageuse parce que leur leadership politique était réticent ou incapable de pousser pour une guerre totale et pour une victoire totale, et en partie parce que les régimes syrien et égyptien avaient peur des États-Unis et parce que l’Union soviétique n’a jamais fourni à ses protégés arabes le même niveau de soutien que celui fourni par les États-Unis à Israël.

Mais quand la guerre a pris fin dans des conditions qui étaient clairement favorables au côté israélien, les régimes du Golfe ont financé une campagne de propagande qui dure maintenant depuis des décennies (infusé dans les programmes de tous les systèmes scolaires arabes) disant que les Arabes ont gagné contre Israël et que la guerre ne peut pas être jugée sur les objectifs déclarés, mais sur des buts plus tardifs qui peuvent même justifier la défaite et la perte de plus de terres.

Les régimes syrien et égyptien savaient qu’ils ne pourraient rester au pouvoir que s’ils persuadaient leurs populations qu’ils avaient gagné la guerre, même si les terres étaient encore occupées et même s’il n’y avait absolument aucun progrès de réalisé dans la voie de la libération de la Palestine. Sadate et plus tard Hosni Moubarak, ont pu prétendre quotidiennement à leurs sujets qu’ils étaient les héros de la « victoire » d’Octobre, tandis que le régime syrien se vantait également de ses performances. (Les discours de Hafez al -Assad après la guerre étaient cependant moins éloignés de la réalité que ceux de Sadate, pour qui l’invocation de la victoire d’Octobre était rituelle.)

C’est Gamal Abdel Nasser qui avait préparé la guerre d’Octobre, et pour ce faire il avait ordonné la réorganisation de l’armée égyptienne et la promotion de soldats et d’officiers professionnels (contrairement au clientélisme et au favoritisme qui étaient courants sous la triste direction d’Abdul- Hakim Amir). Nasser se préparait à une guerre plus ambitieuse, mais il n’a pas vécu assez longtemps pour mener son projet à bien. Sadate a utilisé la guerre pour être considéré comme un client et un outil pour l’alliance américano-israélienne dans la région. Avant la guerre, il était considéré comme un pantin par les autorités américaines (ce qui apparemment s’est poursuivi sous l’administration Carter, selon Zbigniew Brzezinski dans son ouvrage Power and Principle).

Sadate a gagné son siège à la table des enfants au banquet américain au Moyen-Orient. Assad a également tenté de négocier la paix avec Israël, mais il voulait des conditions moins défavorables que celles de Sadate. Pourtant, les deux régimes oublièrent le problème palestinien, ou alors ils l’utilisèrent pour leur propre bénéfice.

Il arrive que des tyrans fassent des choses qui aillent dans le sens de l’intérêt national, et Hanna Batatu [historien marxiste] avait coutume de dire que la guerre d’Octobre a été un exemple pour le régime égyptien et syrien, même si le résultat étaient en opposition avec les intérêts nationaux de la Syrie ou de l’Égypte.

JPEG - 7.2 ko

* As’ad AbuKhalil est professeur de science politique à l’université d’État de Californie à Stanislaus, et professeur associé à l’université de Californie à Berkeley. Il est également l’auteur du Dictionnaire historique du Liban (1998), Ben Laden, l’islam et la nouvelle ’Guerre contre le terrorisme’ américaine (2002) et La bataille pour l’Arabie saoudite (2004). Il contribue régulièrement à Al-Akhbar.

Du même auteur :

- Le Hezbollah, la Palestine et les divisions confessionnelles au Moyen-Orient - 12 août 2013
- Bombardements sur la Syrie : Israël jette le masque ! - 5 mai 2013
- En mémoire de Ghassan Kanafani - 16 août 2012
- Sauvagerie tolérée : le meurtre de Palestiniens par Israël - 14 mars 2012
- Syrie : qu’en est-il du rapport des observateurs de la Ligue arabe ? - 27 janvier 2012
- Quel processus de paix ? Quelle paix ? - 29 novembre 2010
- Le sommet de la Ligue arabe, c’est du théâtre - 29 mars 2010
- La fin du « tout est permis » ? - 5 novembre 2009
- Les 12 règles pour de bonnes élections dans les pays en voie de développement - 16 juin 2009
- Entretien avec l’Arabe en colère - 27 mai 2007

8 octobre 2013 - Al-Akhbar - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.al-akhbar.com/blogs/...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.