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Moyen-Orient : la fin des clichés

dimanche 18 août 2013 - 08h:12

Ramzy Baroud

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Les séismes en cours au Moyen-Orient continuent de tout bouleverser, mais ils ne sont guère traduits de façon intelligible à travers la langue de bois de nos médias : pro-régime, anti-régime, islamistes, laïcs, partisans de Morsi ou autres termes...

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Des partisans du président élu Mohamed Morsi, font la prière du vendredi au Caire devant la mosquée Rabaa h al-Adawiya - Photo AFP/GettyImages

Certains veulent vous faire croire que tout cela était un plan diabolique ourdi des années à l’avance dont le but ultime est de plonger les populations arabes dans le désarroi le plus complet au seul profit d’Israël. Ces affirmations ne tiennent pas compte du fait que les révolutions populaires, en particulier celles qui peuvent durer des années, ne sont jamais le résultat de complot d’élites politiques, quels que soient leurs moyens ou leur influence.

La clique néoconservatrice qui régnait pendant l’ère Bush, avait mis en scène le renversement de la statue de Saddam Hussein et avait vendu cela à des médias internationaux en prétendant donner la preuve que les Irakiens célébraient leur liberté apportée par les envahisseurs américains. Ces charlatans ne seraient absolument pas en mesure de remplir les places du Caire avec des manifestants et de les y maintenir, même pendant une heure, sans parler de deux années consécutives.

D’autres insistent sur le fait que toute cette agitation n’est qu’une série de révolutions spontanées qui s’inspirent les unes des autres, sans aucune ingérence extérieure que ce soit.

Justement parce que le Moyen-Orient est polarisé autour des lignes politiques, idéologiques ou sectaires, l’analyse politique n’a pas à emboîter le pas à ces points de vue.

Les conflits multiformes qui ont partout surgi dans la région, ne nous paraissent être ni les résultats d’une conspiration ni des révoltes populaires absolument sans taches. La tourmente arabe a été appelée « printemps arabe », mais ce « printemps » n’a jamais existé sous la forme dépeinte par les médias, et il n’a pas duré. Il s’est maintenant transformé en quelque chose de beaucoup plus complexe.

Mais ce n’est pas un « hiver islamique », selon les termes qui ont la préférence des dirigeants et analystes israéliens. La dimension islamique des révoltes arabes devrait avoir été palpable dès le début pour toute personne soucieuse de comprendre la réalité politique au-delà de son utilité comme outil de propagande.

Les luttes collectives pour une nouvelle politique existent depuis des décennies, bien avant la « révolution de jasmin » en Tunisie et la révolution égyptienne. De façon tout à fait évidente, l’islam politique a été un élément essentiel de ces luttes, qui, parfois, sont devenues sanglantes.

Dans l’histoire récente, il n’y a pas eu une seule union réussie entre l’Islam et les classes dirigeantes arabes - réussie dans le sens d’une contribution au progrès, aux droits et à la prospérité pour tous. Soit les islamistes étaient cooptés, soit ce sont les conflits qui dominaient. L’atrocité des résultats dans ces conflits a varié selon la manière dont les dirigeants arabes étaient habiles à les gérer. En Jordanie, la discorde latente a toujours existé entre les partis d’opposition islamiques et la classe dirigeante. Celle-ci vacillait entre l’inclusion partielle des forces islamiques dans un parlement - qui fonctionne avec peu d’autorité et qui est le théâtre de conflits occasionnels - et les crises politiques de peu de conséquence.

Cependant, toutes ces expériences ratées avaient un coût relativement faible. En Algérie, une tentative d’harmonisation s’est terriblement mal terminée. La guerre civile algérienne déclenchée en 1991 a duré plus d’une décennie et a entraîné la mort de près de 200 000 personnes. Les choses n’étaient pas censées devenir si sanglantes, alors que tout avait commencé de façon plutôt prometteuse par des élections.

Le Front de libération nationale au pouvoir (FLN) a invalidé le résultat des élections dès le premier tour, craignant ce qui semblait être une perte assurée de son pouvoir au profit du Front islamique du salut (FIS). Les élections se sont transformées en un second cauchemar pour l’Algérie, le premier étant sa lutte encore plus sanglante pour se libérer des chaînes de la France coloniale. Tous les ingrédients étaient en place pour un désastre complet. D’un côté une armée forte gérant le pays par l’intermédiaire d’un parti largement enrichi par l’exercice du pouvoir, et de l’autre une opposition politique enhardie sur le point d’obtenir le pouvoir politique en utilisant la voie électorale, sous les yeux d’un public complètement frustré et désireux d’aller au-delà des slogans éculés et des privations économiques.

Les similitudes entre les expériences algérienne et égyptienne sont troublantes.

Le 25 janvier 2011, les Égyptiens se révoltèrent avec l’espoir qu’ils pourraient enfin briser la mainmise des élites dirigeantes : le Parti national démocrate, sa classe d’affairistes, et l’armée qui gère fructueusement son propre secteur au sein d’une économie égyptienne dépressive.

Après que la révolution ait été déclarée « vainqueur », l’armée est restée au pouvoir, même si elle se présentait comme la gardienne de la nation et de sa révolution, en utilisant les mêmes vieux médias corrompus. Mais il n’y a jamais eu de structure cohérente qui aurait permis aux Égyptiens de traduire leur aspiration collective en quelque chose de tangible. Les forums uniquement disponibles était celui des élections et des référendums, et chacun était clairement et démocratiquement remporté par les partis islamistes.

Ces élections étaient sans doute justes et transparentes, mais leurs résultats ont permis au régime de Moubarak de refaire surface. En utilisant son infrastructure toujours en place, dont des médias de plus en plus corrompus appartenant à des hommes d’affaires puissants, l’ancien régime a réussi à détourner la révolution. Il a habilement vendu les manifestations du 30 juin 2013 comme s’il s’agissait d’un appel à corriger le mauvais chemin pris après le soulèvement du 25 janvier 2011.

Dans une étrange tournure des événements, des millions de personnes qui avaient auparavant protesté contre Moubarak se sont retrouvées appelant au renversement de Mohammed Morsi, pourtant démocratiquement élu. Elles se sont alliées pour cela avec les forces politiques qui ont mis le pays sur les genoux durant des décennies, appelant l’armée à la rescousse et même le parti des « baltajiya »- voyous partisans de Moubarak qui terrorisaient les manifestants il y a à peine deux ans et demi.

Non pas que la situation est bien meilleure en Tunisie, le premier pays a être touché par le soi-disant printemps arabe où les récents assassinats d’hommes politiques de l’opposition ont mis le pays au bord d’un conflit général.

Mais malgré la violence des élites dirigeantes qui font leur maximum pour s’accrocher au pouvoir face à un mécontentement populaire grandissant, il est difficile d’imaginer un retour à l’ancien paradigme qui prévalait au Moyen-Orient : de puissantes élites soutenues par de redoutables alliés, opprimant des peuples faibles et soumis.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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13 août 2013 - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib


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