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Un Palestinien à Hiroshima

vendredi 9 août 2013 - 07h:24

Pr Mazin Qumsiyeh
Popular Resistance

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Quand la force du peuple est enfin réalisée par la solidarité mondiale, non seulement nous pouvons gagner sur la guerre, mais aussi sur la pauvreté et le changement climatique, et sur l’apathie-indifférence. C’est vraiment un avenir pour lequel il vaut qu’on se sacrifie.

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De nombreux Japonais aspirent à une société plus humaine et soutiennent une solidarité mondiale, y compris avec la Palestine.




Oliver Stone et moi-même sommes intervenus à Hiroshima hier pour l’anniversaire (6 août) de la première bombe nucléaire dans l’histoire humaine et nous avons convenu de reprendre la parole deux jours plus tard à Nagazaki pour l’anniversaire de la deuxième attaque nucléaire (9 août). Vous pouvez trouver mon allocution ci-dessous (traduite de l’anglais - j’enverrai une version en japonais par la suite).

Ces deux bombes restent les actes les plus saisissants du terrorisme d’État dans l’histoire humaine.

J’avais vu des images et des vidéos auparavant qui m’avaient fait frissonner, mais en étant là, dans cette ville, c’est différent. A 8 h 15, par une chaude journée ensoleillée, nous nous sommes étendus près du dôme pendant trois minutes, avec des personnes de toutes origines et j’ai regardé fixement le ciel, j’ai essayé d’imaginer à travers les larmes, la terreur qui en est tombée et qui a explosé à 600 mètres, là, juste au-dessus de nous dans le ciel, il y a 68 ans. Mais comment est-il possible d’imaginer le terrorisme d’un lâchage d’une arme nucléaire, sur une population, incinérant et vidant de leur chair des milliers d’êtres humains, la peau du corps brûlée, pendant en lambeaux, et pire. Plus difficile encore à imaginer, l’obscurité des cœurs et des esprits humains de ceux qui ont pris la décision de faire cela à des êtres humains, des êtres comme eux.

C’est avec éloquence qu’Oliver Stone et Peter Kuznick ont expliqué les véritables raisons du largage des bombes, à la place de cette mythologie qui est racontée dans les manuels scolaires en Amérique. Mais cela fait-il une quelconque différence dans l’horreur de ce que Truman et ses généraux ont infligé à l’humanité ? Ceux d’entre nous qui sont dans le domaine médical comprennent d’un point de vue clinique ce que l’empoisonnement par radiations provoque dans le corps humain, mais les politiciens savent aussi que Truman avait reçu des rapports détaillés tirés des expériences antérieures. J’ai rencontré tant de hibakusha (survivants de l’explosion nucléaire) et de leurs enfants et petits-enfants. Beaucoup nous ont parlé de la mort dramatique d’enfants par leucémie et autres cancers, et des malformations congénitales. C’était le plus que nous pouvions en apprendre, même en tant que visiteurs, aussi je n’ai pu que commencer à imaginer quels sont les sentiments aujourd’hui des personnes d’ici.

Manifestement, les monuments aux victimes ont été fortement orientés loin du nationalisme et de la guerre ; une chose qui nous a rappelé qu’il est possible pour les victimes de comprendre que la guerre et le nationalisme ne sont pas une réponse. Si seulement plus de personnes pouvaient apprendre cette leçon, et si seulement il était possible de modifier le message pro-sioniste pro-guerre fallacieux dans les nombreux musées de l’Holocauste pour construire à la place une structure favorable à la paix.

Côté positif, nous avons été ravis de voir tant d’enfants et de jeunes se mettre au service de la paix. Des élèves entre 9 et 13 ans recueillaient des signatures pour interdire les armes nucléaires dans le monde. Des centaines d’entre nous se sont dirigés vers la compagnie d’électricité de la ville pour demander qu’elle cesse d’utiliser la puissance nucléaire (particulièrement poignant après la fusion catastrophique du cœur du réacteur de la centrale de Fukushima). Nos kuffiyas palestiniens pittoresques ont été fêtés au milieu de bannières hautes en couleur dans notre marche. Nous avons ressenti l’amour et la paix. Nous avons vu des images alternativement d’espoir et de douleur, des gens fantastiques qui se lèvent contre des politiciens de droite, et quelques racistes qui sont allés jusqu’à nier ce que les soldats japonais ont fait en Chine et en Corée. Comme dans les montagnes russes, une tournée au Japon apporte des émotions ayant des hauts et des bas.

En tant que visiteur palestinien, je suis frappé surtout par l’aspect soigné et la régularité des villes. Tout fonctionne parfaitement. Les trains sont précis à la minute près. Ils sont des millions à rouler sur ces trains à l’intérieur et entre les villes. Les rues sont propres, sans murs ni checkpoints pour nous empêcher de circuler librement. Tout est bien réglé et paisible. Les rues se traversent au signal, les ordures sont dans leurs poubelles, les voies sont droites, et les voitures et les maisons sont propres et en bon ordre. Presque tout le monde parle à voix basse et les personnes sont courtoises les unes envers les autres.

Le Japon, comme la plupart des pays, est une société assujettie à un capitalisme de type occidental. Ici, vous voyez aussi des McDonalds, des Strarbucks, de la prostitution, et des politiciens corrompus. Même si plus homogène que d’autres pays, le Japon est un très vaste pays de 120 millions d’habitants, et même dans une courte visite, on peut y noter une diversité remarquable d’idées et de concepts. A Nagoya, nous avons visité une table éducative, sur la plus grande place de la ville, qui tentait de remettre en cause le Trans-Pacific Partnership (Traité de partenariat trans-pacifique – accord dominé par les USA qui favorise les entreprises aux dépens des populations). L’organisateur de cette table appartenait à l’une des rares communautés natives du Japon, un homme formidable du nom d’Esaman. Les personnes s’arrêtaient, apportant de la nourriture et partageant des histoires. Sur la même place, un jeune musicien, solitaire, jouait de la guitare pour solliciter des dons afin de construire une école dans une zone reculée du Pakistan.

A Nagoya, j’ai suivi un débat sur des textes de Kobayashi Takiji. Le public était d’une trentaine de personnes d’origines diverses qui avaient laissé leurs chaussures à l’entrée de la salle de conférence et portaient des pantoufles rouges tout en écoutant attentivement un vendeur de librairie discuter et faisant passer les livres de Takiji. Takiji est né en 1903, il a montré un talent pour l’écriture dès son plus jeune âge. Ses écrits n’ont pas plus aux autorités et il a été congédié de son travail, et finalement il a été exécuté par le gouvernement alors qu’il avait près de 30 ans. Son petit roman le plus connu est Kanikōsen (Le Bateau-Usine) qui parle des travailleurs sur un bateau de pêche aux crabes. L’histoire vous emmène dans un monde incroyable de souffrances pour les travailleurs, d’humanité à l’égard des autres travailleurs, et de cruauté de leur patron. Il semblait se manifester un regain d’intérêt pour ce genre de littérature après le dernier éclatement de la bulle économique japonaise.

De nombreux Japonais aspirent à une société plus humaine et soutiennent une solidarité mondiale, y compris avec la Palestine. Ceci a été démontré de façon très nette lors de notre visite à Nagoya et à Hiroshima. Je pense à ces gens qui j’ai rencontrés et vus dans des rencontres, dans les rues, dans les trains et restaurants. Là, j’ai vu des personnes qui m’ont rappelé celles que j’ai rencontrées en Amérique, en Palestine, et ailleurs. J’ai pensé que quelqu’un devrait faire un documentaire là-dessus, en portant sa caméra à travers différents pays pour montrer qu’il y a des personnes, dans chaque pays, quasi-identiques avec celles vivant dans d’autres pays. Peut-être que ce film pourrait nous rapprocher les uns des autres. D’ici là, je ne peux attendre pour notre prochaine visite à Nagasaki, Osaka, Tokyo et Kyoto. Et je ne peux attendre pour rentrer en Palestine où l’espoir, envers et contre tout, survit. Restez à l’écoute.

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Hiroshima, Nagazaki. Ces deux bombes restent les actes les plus saisissants du terrorisme d’État dans l’histoire humaine.




Allocution du Professeur Qumsiyeh à Hiroshima, au 68e anniversaire de la première bombe atomique

Kumbunwa et merci pour votre invitation. C’est un grand honneur pour moi de venir au Japon. Être ici, à Hiroshima, nous rappelle avec plus de force les horreurs de la guerre. Ici, nous avons l’occasion de réfléchir au fait qu’il n’existe pas de « bonne guerre ». De nous souvenir que les nations ne gagnent pas et ne perdent pas les guerres. Les guerres apportent la souffrance aux personnes ordinaires et rendent les gens riches plus riches encore. C’est l’argent qui gagne les guerres, les peuples, eux, les perdent. C’est pourquoi le Président Eisenhauer avait mis en garde contre la puissance du complexe militaro-industriel. C’est une puissance que nous a rappelée aujourd’hui Oliver Stone. C’est ce complexe qui s’est enrichi pendant que les contribuables états-uniens se retrouvaient avec une dette augmentée de 3 milliards de dollars à cause d’une guerre criminelle contre l’Iraq. Et cela a été la même chose quand Truman a menti publiquement sur la raison qui l’a amené à provoquer les catastrophes d’Hiroshima et Nagazaki, tout comme la catastrophe (la Nakba) en Palestine.

La guerre, comme le général Butler le faisait remarquer for justement, la guerre est un racket. C’est un moyen pour les gens riches de faire de l’argent aux dépens des pauvres. Et c’est pourquoi les guerres vont continuer, à moins que les gens ordinaires ne se révoltent pour les arrêter. Et nous, le peuple, nous sommes capables d’arrêter les guerres, par exemple comme au Vietnam et en Afrique du Sud. C’est à propos de cette force du peuple que je me sens le plus optimiste.

Je suis l’un des 12 millions de Palestiniens dans le monde, les deux tiers d’entre nous sont des réfugiés ou des déplacés, et les autres vivent sous le joug d’un gouvernement étranger. Comment est-ce arrivé et comment pouvons-nous arrêter cette guerre contre le peuple ?

Les Palestiniens sont le peuple endogène de la partie occidentale du Croissant fertile en Asie occidentale. Les étapes importantes dans la civilisation humaine sur cette terre de Canaan sont : la domestication de l’animal et de la plante, le développement de l’alphabet, et le développement des lois et des religions.

Nous avons eu plus de 11 000 années de civilisation avec des développements religieux et culturels. Les brèves tentatives pour transformer la Palestine en une chose ou une autre ont échoué. Parmi ces tentatives, celles qui voulaient la rendre intégralement chrétienne ou intégralement musulmane ou intégralement juive. Les croisades européennes en sont des exemples flagrants. Mais pendant 97 % de notre histoire, la Palestine est resté multireligieuse et multiculturelle.

Depuis la fin du XIXe siècle, la nouvelle idée politique du sionisme a été conçue pour créer un « État juif » en Palestine. A cette époque, moins de trois pour cent de la population en Palestine était juive. Cette colonisation sioniste a été aidée par des pays occidentaux, notamment l’Angleterre et, plus près de nous, par les États-Unis.

Un projet organisé et impitoyable pour nettoyer ethniquement les Palestiniens natifs a été organisé et il en est résulté des massacres innombrables et une destruction totale de 530 villes et villages palestiniens. Cela reste la crise de réfugiés la plus importante depuis la Deuxième Guerre mondiale. En ce sens, ma grand-mère est une hibakusha.

Aujourd’hui, 7 millions des Palestiniens sont des réfugiés et 5 millions d’entre nous vivent sur 8,3 % de notre terre historique. L’État d’Israël s’est construit sur la destruction de la Palestine. Israël possède 50 lois discriminatoires spécifiquement contre les Palestiniens natifs. Il répond pleinement à la définition juridique internationale de ce qu’est l’État d’apartheid (discrimination raciale).

Les sionistes, comme toutes les autres puissances coloniales, tentent de présenter leurs victimes comme des terroristes. La colonisation européenne s’est toujours réalisée soit en Amérique soit en Afrique soit encore en Asie. C’est peut-être bien commode de se dire un peuple civilisé blanc qui « se serre les coudes » pour se protéger des sauvages indigènes. Mais la vérité est que c’est la colonisation qui est la violence et qu’il y a dix fois plus de civils natifs tués que d’envahisseurs.

Je peux vous raconter des centaines d’histoire sur la brutalité de l’occupation et de la colonisation. Je peux vous parler des démolitions de maisons, de l’expulsion de la population de sa terre, des meurtres, et de la torture. Je peux vous parler des os brisés des enfants palestiniens, de l’usage du phosphore blanc sur les écoles, et des armes nucléaires d’Israël. Je peux vous parler aussi des déchets toxiques déversés sur les villages palestiniens. Je peux vous parler des prisonniers détenus depuis des années sans voir un avocat ni un juge. Je peux vous parler aussi des amis que j’ai perdus, tués lors de manifestations non violentes. Je peux encore vous raconter les histoires des souffrances de ma propre famille. Mais nous n’avons pas le temps.

Je vais vous dire que les Palestiniens résistent depuis les cent dernières années à cette attaque. Cette résistance palestinienne a pris des centaines de formes, la plupart non armées. Nous avons eu treize soulèvements, en moyenne un tous les dix ans. L’Afrique du Sud sous l’apartheid a mené une longue lutte avec quinze soulèvements.

Nous, Palestiniens, avons été novateurs dans notre lutte. Nous avons eu la première manifestation dans l’histoire humaine à utiliser des automobiles (des voitures) quand, en 1929, des Palestiniennes, qui avaient rassemblé 120 voitures, ont descendu les vieilles rues de Jérusalem. Nous avons fait pression sur l’Empire ottoman et l’Empire britannique pour qu’ils cessent de soutenir le sionisme colonialiste. Nous nous sommes engagés dans des révoltes fiscales et d’autres formes de désobéissance civile.

Nous avons également demandé, et nous demandons toujours, à la communauté internationale de nous aider. Des dizaines de milliers de personnes ont rejoint notre combat. Il existe un mouvement de solidarité internationale. Comme dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, nous avons le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Nous vous demandons de nous y rejoindre parce que cette lutte est la plus importante. Elle est importante parce qu’elle expose clairement l’hypocrisie des gouvernements occidentaux qui parlent de démocratie et des droits de l’homme, mais qui soutiennent directement le racisme, la tyrannie, la guerre et toutes les violations de ces droits de l’homme.

Nous partageons cette petite planète bleue et l’ère des armes nucléaires, et quand un pays comme Israël a la capacité de détruire la terre, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre notre vigilance. Nous devons prouver qu’Haegel a tort quand il écrit, « L’histoire nous apprend que nous n’apprenons pas de l’histoire ». Nous apprenons de notre histoire commune et aujourd’hui, à l’ère de l’Internet, nous commençons un soulèvement mondial contre les armes nucléaires et contre la guerre. Quand la force du peuple est enfin réalisée par la solidarité mondiale, non seulement nous pouvons gagner sur la guerre, mais aussi sur la pauvreté et le changement climatique, et sur l’apathie-indifférence. C’est vraiment un avenir pour lequel il vaut qu’on se sacrifie.

Les bouddhistes nous disent avoir « une joyeuse participation aux chagrins de ce monde ». La participation est la clé. Aussi, effectivement, pourriez-vous avoir une joyeuse participation aux chagrins de ce monde… Arigatu, merci, shukran, paix, salam.

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* Chercheur en génétique et professeur aux Universités de Bethléem et de Birzeit, après avoir enseigné aux États-Unis, le docteur Mazin QUMSIYEH est président du Centre palestinien pour le rapprochement entre les peuples. Figure importante de la résistance populaire dans laquelle il prend une part active et qu’il organise, il collabore également avec de nombreux mouvements pacifistes de la société civile, et a publié plus de 1 000 articles dans des journaux, des livres et sur l’Internet. Il est l’auteur de Une Histoire populaire de la Résistance palestinienne parue aux éditions Demi-Lune (en 2013)

De Mazin Qumsiyeh :

- Lettre de Netanyahu sur les négociations - 28 juillet 2013
- Réflexions sur l’état de notre monde - 10 juillet 2013
- La Nakba environnementale - 10 juin 2013
- L’attentat de Boston - 16 avril 2013
- La corruption - 18 mars 2013
- Repenser l’Afrique du Sud - 5 mars 2013
- Des enseignements pour le prochain soulèvement - 10 février 2013
- Ici, face à l’immoralité - 3 février 2013
- Deux jeunes enterrés - 27 janvier 2013
- Espoir de Bethléhem - 18 décembre 2012
- 650 000 colons juifs... les Printemps arabes... et la fonte des glaces - 27 juillet 2012
- Saoud et Susya - 17 juin 2012
- La Naksa - 5 juin 2012
- « Qu’advient-il d’un rêve reporté ? » - 25 mai 2012

[...]

Une interview de Mazin Qumsiyeh :

- La répression israélienne en Palestine s’aggrave - 3 mars 2010

Livre de Mazin Qumsiyeh :

- « Une histoire populaire de la Résistance palestinienne »

- Son site : http://qumsiyeh.org
- Son adresse courriel : mazin@qumsiyeh.org

6 août 2013 - Popular Resistance - traduction : Info-Palestine/JPP


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