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Le Néguev défie Israël et sa politique de judaïsation forcée

mardi 6 août 2013 - 07h:37

Malek Samara - Al-Akhbar

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Depuis la Nakba, nombreux sont les plans qui visent les gens du Néguev. Leurs noms changent mais leur but reste le même ; ce n’est que récemment que ces projets ont pris corps sous la forme du plan Prawer qui menace d’expulser près de 40 000 bédouins et de confisquer 800 mille hectares de leurs terres. Pendant qu’Israël fait la promotion de ce projet comme d’un plan pour le « développement du Néguev », les Palestiniens parlent de la nouvelle Nakba.

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Manifestation contre les plans de judaïsation forcée dans le Neguev, qui fait partie de la Palestine occupée en 1948 - Photo : AFP

En 2003, lors d’une réunion du « comité ministériel israélien sur les questions juives », Ariel Sharon frappant de son poing la table avait déclaré avec insistance : « Nous sommes en train de perdre les terres que nous n’occupons pas ». Suite à cela, le comité a commencé l’application des ordres de démolition des « constructions sans permis », et cette campagne s’est concentrée sur 3 régions : la Galilée, le Triangle et le Néguev. Une année plus tard, Israël a annoncé le lancement du projet « développement du Néguev » qui a pris récemment la forme du Plan Prawer-Begi, ratifié par le gouvernement israélien en 2011.

Au sud de la Palestine, se trouve une région désertique abandonnée et oubliée des arabes, elle constitue près de 50 % des terres palestiniennes historiques et 60 % de la surface de l’état de l’occupation. Près de 300 mille palestiniens rescapés de la Nakba peuplent cette région, ils constituent le tiers de la population palestinienne à l’intérieur de la ligne verte.

Le Néguev, une région importante sur le plan stratégique et des ressources naturelles, fait face aujourd’hui au plus grand plan de colonisation pour expulser ses habitants enracinés dans cette région depuis le Vème siècle avant Jésus-Christ. Il s’agit là d’un des nombreux plans mis en place par l’occupant depuis le début de la Nakba et jusqu’à ce jour. D’abord, l’occupant a commencé par parquer la moitié des habitants de cette région qui ont quitté leurs terres après la Nakba, dans un espace géographique exigu, isolé des autres régions du Néguev, interdisant aux Palestiniens ainsi confinés de s’installer et de construire en dehors de cette zone, en ne leur assurant qu’un minimum de services. C’est pour cette raison que les habitants de cette zone l’appellent « la clôture ».

Quant à l’autre moitié des habitants de la région, ils sont localisés dans 45 villages éparpillés sur les différents secteurs du Néguev. Une partie a gardé jusqu’à nos jours le mode de vie et les traditions ancestraux, et l’autre partie bien qu’ayant modernisé son mode de vie, continue à respecter les valeurs et les traditions bédouines.

Tous ces villages ne sont pas reconnus par Israël, ce qui les prive des plus élémentaires des services. Leurs habitants font aujourd’hui face à un processus de déracinement visant à les déplacer vers une région plus « moderne ». Il s’agit en réalité de la préparation par l’occupant d’un contrôle total du territoire du Néguev, conformément au plan Prawer-Begin.

Le déracinement des bédouins de leur environnement

Il n’est pas exagéré de considérer le plan Prawer comme le plus grand danger qu’affrontent les Palestiniens face à l’occupant depuis la Nakba de 1948. En 2005, Israël a commencé par instaurer le plan sous le nom séducteur et trompeur de « plan de développement du Néguev », en y consacrant environ 2 milliards de dollars.

Cependant, il s’est vite avéré que derrière cette propagande sioniste, le véritable but était la judaïsation des bédouins du Néguev, plus proche d’une opération « de destruction d’une civilisation ». Il s’agit de placer le plus grand nombre de ces Palestiniens dans des zones urbaines d’urgence, hybrides, sur une surface des plus réduites. En contrepartie, un petit nombre de colons sera placé dans des surfaces géographiques plus grandes, en prévision de la militarisation du Néguev.

Le plan de colonisation consiste en la réalisation d’une série de lois et de programmes israéliens visant les habitants du Néguev après la Nakba, à commencer par la loi du « présent absent » (1951) et en passant par la loi de l’urbanisme et de la construction (1965), pour aboutir à la « loi d’expulsion des occupants » (2004). Il s’agit de la loi la plus extrême de l’occupation israélienne puisqu’elle considère les bédouins du Néguev comme des « occupants » à expulser alors qu’ils se trouvent sur leurs propres terres et ce, depuis bien avant la création de l’État israélien.

Le gouvernement de Netanyahu a ratifié le plan Prawer en 2011, juste avant la fin de son délai de promulgation, et après avoir effectué des ajustements afin de réduire de 5 à 3 ans le délai de déplacement des bédouins vers les zones urbaines, et de restreindre l’espace géographique dans ces zones réservées. Le projet de loi a été ratifié après première lecture à la Knesset vers la fin du mois de juin. Pour preuve de l’intolérance et de la rancune des Israéliens, l’occupant a choisi le lundi même, alors que les arabes à l’intérieur de la ligne verte manifestaient leur refus du projet, pour désigner le comité qui sera en charge de préparer les seconde et troisième lectures à l’automne prochain.

Depuis 1970, Israël a réussi à déplacer par la force environ 80 000 bédouins du Néguev vers les 7 zones de rassemblement confinées dans le secteur de « la clôture », en usant de diverses méthodes. La plus grande vague de déplacements a eu lieu après la Nakba lorsque la moitié des habitants du Néguev a été déplacée et exilée vers le secteur de « la clôture » où vit aujourd’hui la plus grande population arabe des territoires occupés, sur une surface ne dépassant pas 1% de la région du Néguev. L’occupant y a fourni quelques services rudimentaires afin d’attirer les habitants des villages non reconnus, profitant de l’extrême dénuement dans les services bases que subissent les habitants de ces villages et de l’absence de tout enseignement secondaire, forçant ainsi ces villageois à se déplacer quotidiennement vers les 7 regroupements isolés afin de les conditionner chaque jour face au confort moderne et de les pousser à abandonner leurs villages.

La militante originaire du Néguev Imane Asana s’est confié à « Al Akhbar » pour témoigner des souffrances des habitants de ces villages : « une femme âgée doit marcher des dizaines de kilomètres afin d’atteindre un centre de santé pour se faire soigner. Les rues ne sont pas pavées, les enfants peuvent être amenés à marcher de longues distances tous les matins pour aller à l’école. Toutefois, les résidents de certains villages ont tout fait pour se fournir en matériel de pompage et approvisionner leurs villages en eau, d’autres ont créé judicieusement des moyens d’exploitation de l’énergie solaire afin d’obtenir de l’électricité. C’est un peuple inébranlable et ferme face à ses souffrances, confiant dans son droit à la vie, une vie qu’il aime de toutes ses forces ».

Ce ton de fierté et de défi se retrouve aussi dans les propos du militant Amir Abou Kouider, bien que provenant des tréfonds de la tragédie. Amir vit à Al Zarnouk, un des 45 villages non reconnus,où les forces de l’occupation ont détruit la maison de son frère. Bien que le village soit privé des services les plus élémentaires, il continue à s’opposer au déplacement des gens du Néguev et insiste pour qu’on prenne en compte leur lutte et leur détermination. Il a déclaré à al Akhbar : « Nous sommes autonomes et n’avons pas besoin de l’État, nous leur demandons de nous laisser en paix ».

Le danger du plan Prawer ne concerne pas uniquement le problème du transfert des populations par la force. Il cache une très grave volonté de déformation et de destruction d’une civilisation que nous pouvons discerner déjà dans les propos de Moshé Dayan : « il faut faire des bédouins des travailleurs dans l’industrie, les services et la construction ; 88% des habitants d’Israël ne sont pas agriculteurs, et les bédouins en feront partie. Ce changement ne sera pas pas facile, il signifie que le bédouin ne vivra plus sur sa terre ni avec ses troupeaux, il se transformera en un citadin qui rentrera chez lui le soir, ses enfants s’habitueront à un père qui mettra le pantalon et ne portera plus le poignard traditionnel et qui ne s’épouillera pas publiquement. Ce sera une révolution pour laquelle, il faudra 2 générations, alors le mode de vie bédouin disparaîtra ».

Ainsi, le but de ce projet est d’extirper le bédouin physiquement et mentalement de son mode de vie ancestral pour le placer dans un environnement urbain hybride qui sera supervisé par l’occupant sous la forme d’une opération « d’éducation civile » afin de « lisser » la personnalité du bédouin pour en faire un « citoyen moderne domestiqué » éloigné des valeurs de la résistance, de la ténacité et du lien à la terre que le désert a imprimé dans la mentalité bédouine. Ainsi le délicat tissu tribal qui enveloppe, depuis des siècles, les relations entre tribus sera détruit. Ces tribus se verront forcées de vivre dans un espace des plus restreints alors qu’elles ont l’habitude de la liberté et de l’immensité du désert, et de continuer à croire à une espèce d’indépendance dans un espace qui est le leur. Ce qui pourrait expliquer peut-être, le taux de criminalité dans les villages reconnus où se côtoient différentes tribus à l’inverse des villages non reconnus.

Pauvreté et marginalisation dans un désert pourtant riche

David Ben Gourion, le fondateur de l’État hébreux et l’architecte de la Nakba, avait passé ses derniers jours dans le désert du Néguev, sa volonté étant d’y être enterré. Ceci montre l’importance stratégique du Néguev pour l’entité sioniste.

La plus grande centrale nucléaire du Moyen-Orient se trouve dans le Néguev, et sous son sable se cache une incroyable richesse naturelle que ne révèle pas Israël. Mais sous ce même sable sont plantés les piquets et les piliers des tentes de l’homme bédouin, qui fatigué de voyager a choisi le désert pour patrie éternelle.

En parallèle, les villes nouvelles construites par Israël pour « moderniser » le bédouin n’ont rien de comparable avec les villes israéliennes voisines. Ce sont les villes les plus marginalisées et les plus pauvres au sein de « l’unique démocratie du Moyen-Orient ».

Il n’y a presque rien de ce qui fait l’ordinaire des villes telles que les bibliothèques municipales, les services de la poste, les banques. Le plus grave est que les structures économiques qui permettent aux habitants d’améliorer leur qualité de vie et d’atteindre une espèce d’autonomie n’existent pas. Imane Asana qui habite la ville de Rahat, le plus grand groupement urbain des villages reconnus, s’appuie sur les statistiques pour nous expliquer la situation. Selon elle : « dans la ville de Rahat où le nombre d’habitants atteint 60 000 personnes, 60 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté, 50 % sont mineurs, il n’existe pas de marché de l’emploi pour les jeunes en âge de travailler ». Elle ajoute en parlant de la « paix sociale et économique » qui permet à Israël d’évaluer les différentes zones de résidence selon un plan raciste : « Rahat a été évaluée à 2 sur 10 pour la première fois alors qu’elle obtenait toujours 1 sur 10 ; en parallèle, la colonie de Lehavim ou encore la localité d’Omer plus proche de Rahat a obtenu 10 sur 10 bien qu’elle ne soit habitée que par un millier de personnes ».

Les jeunes sur le devant de la scène

Le cri de Fida Shehada, le visage maculé de sang suite à l’assaut de la police israélienne est emblématique. Fida a participé hier aux manifestations dans la ville de Bir Esab dans le Néguev. Que s’est-il passé ? Fida a raconté à « Al Akhbar » les faits suivants : « Nous étions assis sur le trottoir et tout à coup, ils nous ont attaqués, je ne me suis même pas rendu compte que je saignais ». Elle a ajouté : « les gens se sont fortement mobilisés ce jour-là ; cependant, nos dirigeants sont notre problème. Ils essaient de jouer à la police, ils nous obligent à marcher sur les trottoirs et entre les arbres, nous interdisent de circuler dans les rues mais malgré tout cela, nous avons été assaillis ».

Imane Asani dont le frère a été arrêté, nous a expliqué que « les dirigeants tenaient à une manifestation contrôlée au point où cette dernière a perdu de son éclat et s’est caractérisée par une insipide monotonie ; par la suite, ils nous ont demandé de nous disperser sous prétexte que nous n’avions été autorisés à manifester que pour une durée de deux heures. Il y eut aussi des mésententes à propos des slogans entre les jeunes manifestants et les dirigeants jusqu’à ce que les jeunes se servent des haut-parleurs et que la manifestation devienne plus vive et plus énergique ; après quoi les responsables ont quitté les lieux ».

Les jeunes pensent que les représentants du Néguev à la Knesset n’ont pas servi de façon efficace le peuple du Néguev. Amir Abou Kouider résume la situation en déclarant : « Il y a eu des réalisations visibles particulièrement sur le plan des services, mais ils n’ont rien apporté sur la question des terres visées par le plan colonialiste ».

Face au comportant frustrant des « aînés », les jeunes prennent conscience de la question de leur destin face aux visées sionistes propagandistes de « modernisme » et « d’urbanisation ». D’autres ont abandonné la lutte ou se sont alignés derrière cette propagande mais « ils ne constituent qu’une minorité » déclare Abou Kouider.

Cette prise de conscience a mené à une rébellion contre la tiédeur des dirigeants du mouvement et la désinformation de certains médias arabes. Ainsi le jeune militant Wafi Bilal a déclaré à « Al Akhbar » : « les médias qui intéressent les Palestiniens et qu’ils suivent sont très limités ; pour sa part, il sait comment s’assurer de la véracité d’une information. Certains médias ont voulu laisser croire que les manifestions dans le Néguev s’étaient éteintes, comme s’ils voulaient calmer l’effervescence de la rue. Cette situation est inacceptable, il n’y a pas moyen de faire percevoir la nocivité de ces médias qui pratiquent la falsification de la vérité, surtout qu’ils n’ont pas soutenu les manifestations ni aidé à la mobilisation des masses ».

La ferveur des jeunes s’est imposée dans le mode d’action sur le terrain, en inventant des moyens de résistance innovants, imprévisibles pour l’occupant. Amir nous a cité quelques-unes de ces innovations : « nous avons distribué des tracts aux jeunes du Néguev afin que chacun d’entre eux puisse raconter son histoire personnelle suite au plan Prawer. Nous avons également circulé dans les marchés munis de haut-parleurs pour informer la population de ce plan et la sensibiliser contre la propagande israélienne. Nous avons même enregistré une chanson rap pour parler du sujet. Nous avons organisé dans 10 villages des actions commémorant la Nakba à travers lesquelles nous avons voulu montrer le lien existant entre le plan Prawer et la Nakba ».

Ces initiatives innovantes ont eu leur impact à un autre niveau. Imane parle de « la création du premier théâtre arabe dans le Néguev, dans la ville de Rahat ainsi que des initiatives culturelles et artistiques encourageant les rencontres entre Palestiniens et pour faire connaître les Palestiniens aux non-Palestiniens, particulièrement par le biais des expositions folkloriques et du cinéma, la mise en place de cafés littéraires, mais aussi l’interaction des habitants des villes de cette région avec ces manifestations positives, et enfin, la création d’un réseau d’universitaires de Rahat afin d’augmenter leur nombre dans la ville ».

Le mois dernier, les gens du Néguev ont entamé une grève différentes des autres, selon Wafi Bilal, par le fait que cette fois-ci « vers la fin, le mouvement a eu lieu dans toutes les zones de la Palestine historique. Dans le but de briser l’isolement imposé par l’occupant et sa tentative de fractionner la résistance. Bien que l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) semble abandonner les Palestiniens des territoires occupés, les jeunes Palestiniens de la Bande de Gaza et de Cisjordanie mais aussi ceux qui se trouvent à l’étranger sont sortis sans attendre l’aval de leur « représentant légitime et unique » et sans tenir compte du plan de manifestation que leur ont préparé ceux qui se sont auto-désignés comme dirigeants et responsables ».

Aujourd’hui, les jeunes sont sur le devant de la scène, face à l’effondrement du leadership et de la sous-représentation officielle.

Le conseil régional des villages non reconnus est lui-même divisé mais aussi le comité directeur des Arabes du Néguev, entre les représentants des partis politiques, les membres de la Knesset et les chefs des Conseils locaux. Parmi les dirigeants, certains ont accepté de faire des concessions à propos des villages non reconnus en reconnaissant quelques villages contre le déplacement des habitants des autres villages, sans parler de la mauvaise coordination et de l’absence de stratégie de lutte unifiée entre les comités directeurs pour les populations arabes et celles du Néguev.

Suite à l’abandon de la scène par l’OLP, la sectorisation que veut imposer Israël aux Palestiniens à l’intérieur et en dehors de la ligne verte et la consécration des divisions traditionnelles entre Palestiniens de la Bande de Gaza, de Cisjordanie, de Jérusalem, du Néguev ou d’Acre et de toutes les autres régions, semblent prendre corps. Cependant, la ferveur de la jeunesse palestinienne lors des manifestations dans toutes les régions de Palestine conteste et brise cette prétendue tendance et augure d’une jeune génération qui se veut toujours partie prenante de la Palestine, quelle que soit sa localisation. Aujourd’hui, ces jeunes se sont tenus debout en scandant « Prawer ne passera pas » car ils ont compris qu’en perdant le Néguev, ils perdront tout le reste.

16 juillet 2013 - al-Akhbar - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-akhbar.com/node/187133
Traduction de l’arabe : Info-Palestine.eu - Fadhma Nsoumer


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