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Feuille de route pour l’Apartheid

mercredi 31 juillet 2013 - 06h:37

Mohammed Ayoob

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Tout le monde, y compris John Kerry, tente de sauver Israël de lui-même. Sauf que l’establishment israélien, qui parle parfois avec une langue tordue mais en réalité, poursuit une politique qui a mis au rencart tous les perspectives d’une solution à deux États.

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Palestine occupée. Scène de checkpoint

Cette politique se résumait en les termes suivants il y a trois ans selon l’historien israélo-britannique Avi Shlaim lorsqu’il faisait référence à la colonisation ininterrompue par Israël de la Cisjordanie : « Netanyahu est comme un homme qui, tout en négociant le partage d’une pizza, continue à la manger ».

Par ailleurs, alors que Netanyahu parle parfois du bout des lèvres de l’idée de deux États, certaines des figures les plus influentes dans le gouvernement israélien ont indiqué clairement que cette solution est morte. Naftali Bennet, chef du parti La maison juive juif et un membre des plus importants de l’actuel cabinet Netanyahu, a précisé que « l’idée qu’un État palestinien doit être créé au sein de la Terre d’Israël a atteint une impasse ... La chose la plus importante pour la Terre d’Israël, c’est de construire, et construire, et construire des colonies juives ».

Dann Dannon, le ministre de la Défense, député et membre dirigeant du parti Likoud de Netanyahu, a lui aussi déclaré qu’Israël devrait déclarer la souveraineté sur les colonies juives et les zones vides de la Cisjordanie, et que le sort des « blocs » palestiniens doit être « fixé dans un accord avec la Jordanie ». Cela renvoie au Plan Allon des années 1970, sauf que les « blocs » palestiniens seront maintenant beaucoup plus réduits et beaucoup plus déconnectés les uns des autres que ce que proposait le plan d’origine.

Dore Gold, ancien conseiller aux affaires étrangères auprès du Premier ministre, ancien ambassadeur aux Nations Unies et intellectuel public influent en Israël, a non seulement éliminé les frontières de 1967 mais également exclu de céder Jérusalem-Est à un futur État palestinien. Il insiste sur le fait qu’il ne peut y avoir une solution à deux États sans qu’Israël ne conserve le contrôle militaire de la Vallée du Jourdain – un refus de souveraineté que même les interlocuteurs palestiniens à l’échine la plus souple, comme Mahmoud Abbas et Saeb Erakat, ne pourraient accepter.

Alors pourquoi donc le secrétaire d’État américain John Kerry est-il si désireux de pousser les deux parties dans une autre série de négociations qui sont très susceptibles d’être non seulement improductives, mais contre-productives, en attisant la colère des Palestiniens par leur échec et en nous rapprochant un peu plus de l’inévitable troisième Intifada ? La réponse est simple. Les États-Unis ont besoin qu’Israël et l’Autorité palestinienne entament des négociations rien que pour le principe, avant que l’Assemblée générale des Nations Unies ne se réunisse en septembre afin qu’il leur soit être épargné un autre grand embarras sur la question d’un État palestinien lors de la prochaine Assemblée générale. Si Kerry peut démontrer qu’un processus de paix sponsorisé par les États-Unis est en cours, il pourra étouffer dans l’œuf les critiques à la fois contre Israël et les États-Unis à l’Assemblée générale concernant l’absence de progrès vers un État palestinien.

La principale raison de l’initiative de Kerry est de détourner la critique internationale des États-Unis pour leur incapacité à arrêter la colonisation israélienne de la Cisjordanie qui a rendu impossible un État palestinien. Il est devenu de plus en plus clair pour les observateurs un peu avertis du Moyen-Orient que l’incapacité de Washington à contrecarrer la politique israélienne de colonisation n’est pas seulement une question de « c’est la queue qui fait remuer le chien », mais que sur la question de la Palestine, le chien et la queue se sont répartis les rôles.

Paradoxalement, l’échec américain à empêcher la colonisation israélienne avec l’expansion des colonies juives et l’annexion de facto de plus en plus de terres palestiniennes, peut sembler rassurant pour l’observateur palestinien exigeant car il est plus que probable que cela se termine par une Palestine réunifiée au sein des frontières du Mandat britannique. Cela signifie que nous sommes dans un mouvement rapide vers une situation, si nous n’y sommes pas déjà arrivés, où malgré la mascarade en cours sur la relance du soit-disant processus de paix, il n’y aura qu’un seul État entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Un tel État sera basé sur l’un des deux principes qui s’excluent mutuellement : l’égalité des droits pour tous ses habitants, ou un apartheid de facto.

La dynamique de cet État fera très certainement qu’il y aura une supériorité juive et une infériorité palestinienne dans le cadre de cet apartheid. Ce sera probablement le cas parce que l’octroi de droits politiques et civils égaux à tous ses citoyens signifierait que l’État, même s’il continue à être appelé Israël, perdra son caractère juif exclusif, inversant les objectifs et les réalisations sionistes, un résultat qui ne sera pas acceptable pour la grande majorité de la population juive d’Israël. Un État d’apartheid tel que celui envisagé ci-dessus, qui est susceptible d’être le résultat au bout de la trajectoire actuelle de la politique israélienne, sera une recette parfaite pour un conflit perpétuel entre les deux peuples habitant le territoire entre le Jourdain et la mer Méditerranée.

Même un américain de grande expérience, John Mattis, ancien chef du Commandement central des États-Unis et à la retraite depuis deux mois, a averti dans une interview récente que la situation actuelle est « insoutenable ». Selon lui, sans une séparation des populations, « soit [Israël] cesse d’être un État juif, ou alors vous dites que les Arabes n’ont pas le droit de voter. Et l’apartheid, cela ne fonctionnait pas trop bien, la dernière fois que je l’ai vu pratiquer dans un pays ». En outre, les États-Unis « ont payé tous les jours ... la facture de la sécurité militaire [d’Israël] parce que les Américains sont vus comme biaisés en faveur d’Israël ».

L’émergence d’un État d’apartheid est susceptible d’être accompagné de l’opprobre international et d’entraîner un ostracisme général d’Israël - un résultat que même les États-Unis seront incapables d’empêcher, malgré leur droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies qu’il ont utilisé tant fois pour empêcher des résolutions critiques à l’égard d’Israël.

Qui plus est, les conflits au sein d’un Israël bi-national, mais sous régime d’apartheid, le conflit pourrait déborder de ses frontières et déclencher une ou une série de grandes conflagrations régionales. Si ce scénario se confirme, et étant donné les indicateurs actuels, il est probable que ce sera dans la prochaine ou les deux décennie à venir, cela aura des conséquences extrêmement néfastes pour les États-Unis et d’autres puissances occidentales qui ont d’importants intérêts stratégiques et économiques dans la région, mais sont considérés comme des fervents partisans d’Israël.

La navette diplomatie de M. Kerry et la reprise de pourparlers entre une Autorité palestinienne discréditée et un gouvernement israélien tout sauf honnête, sne pourront guère empêcher ce futur de se produire.

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* Mohammed Ayoob est un professeur d’université émérite, spécialisé en relations internationales à l’Université du Michigan.

28 juillet 2013 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib


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