Les descendants de Palestiniens expulsés de leur village pour la création de l’état d’Israël tentent de reprendre leur terre.
- A droite, Walaa Sbeit qui a contribué à la réclamation de la terre d’Iqrit [Jonathan Cook/Al Jazeera]
Iqrit, Israël [Palestine historique] – Le rêve peut parfois devenir réalité, surtout si on le nourrit pendant de longues années. Que dire alors de ces centaines de milliers de Palestiniens qui, du jour au lendemain, la création de l’état d’Israël les a expulsés de chez eux. Aujourd’hui, la réalité s’est concrétisée dans un camp de fortune installé au sommet d’une colline balayée par le vent.
En effet, une douzaine de jeunes gens ont monté un camp sur un site se trouvant à la Haute Galilée, un endroit symbolique qui a, plus de soixante ans auparavant, témoigné de l’expulsion de leurs ancêtres.
Dans le village d’Iqrit, qui n’est pas loin de la frontière séparant Israël du Liban, seule l’Eglise Catholique témoigne d’un village qui, jusqu’en 1948, abritait 600 Chrétiens Palestiniens.
Pour Walaa Sbeit, un des leaders du camp, le groupe a été motivé par l’idée d’une reconstruction du village. « Il y a un lien qui nous unit avec cet endroit et qui ne s’est jamais rompu, » précise-t-il « Chaque été, nous organisons ici-même l’université d’été durant laquelle les enfants viennent découvrir tout ce qui concerne le village et par la même occasion leur passé. Et une fois par mois, les villageois célèbrent une messe à l’église. Pour nous, en fait, cet endroit a toujours été notre chez nous. »
La Nakba
En 1948, quelques 750.000 Palestiniens ont été expulsés de plus de 400 villages au lendemain de la création du nouvel état d’Israël sur une large partie de leur patrie. Les Palestiniens l’appellent la Nakba, ou Catastrophe. Selon l’UNRWA, l’Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les Réfugiés de Palestine, les réfugiés qui sont pour la plupart d’entre eux des descendants de ceux chassés de leurs maisons sont actuellement estimés à 5 millions.
Par ailleurs, presque tous les villages vidés de leurs occupants ont ensuite été détruits par l’armée israélienne et ce, dans le but d’empêcher les habitants ainsi que les futures générations d’y retourner un jour.
« Avant que nous ayons été en mesure de nous installer ici, le seul moyen d’y retourner était le cercueil, » précise Sbeit, 26 ans, jeune professeur de musique à Haifa qui se trouve à 50km d’ici. Il ajoute : « Nous avons le droit d’enterrer nos morts dans le cimetière du village, mais nous n’avons pas le droit de reconstruire les maisons qui nous ont été confisquées. »
C’est depuis le mois d’août que Sbeit et ses amis assurent une permanence dans le camp. Pour cela, ils ont aménagé un espace annexé à l’église et qui comprend un salon et une cuisine. A côté, ils ont des baraques en tôle utilisées comme des toilettes et des salles de bain. Ils ont également deux ânes. Les jeunes arbres que le groupe a planté et le poulailler ont été détruits par la police, ajoute Sbeit qui était perché au bord de l’un des lits que le groupe a placé en plein air depuis la fin des pluies d’hiver.
Concernant les villageois d’Iqrit, ils sont estimés à 1.4 million et appartiennent à la minorité Palestinienne d’Israël dont le quart a été déplacé de ses maisons et foyers en 1948. Aujourd’hui, la minorité Palestinienne vit dans plus de 100 communautés Palestiniennes qui ont pu résister et survivre à l’avancée de l’armée.
Un plan pratique
- Environ 600 Palestiniens vivaient autrefois dans le village d’Iqrit
[Photo of archive picture by Jonathan Cook/Al Jazeera]
Environ 600 Palestiniens vivaient autrefois dans le village d’Iqrit
Le droit au retour a toujours été une revendication pour les Palestiniens expulsés de leurs terres. Mais cette fois, l’action de Sbeit et de ses compagnons s’inscrit dans le cadre d’un mouvement parmi les réfugiés vivant au cœur d’Israël. En étant au premier rang de ce mouvement, le groupe de jeunes aspire à établir un plan pratique pour passer à l’action, tout en abandonnant les slogans vidés de sens.
Les 80 maisons d’Iqrit sont perdues à jamais, néanmoins, un comité des résidents s’apprête à publier cet été, un plan directeur du village afin de démontrer la possibilité de construire une communauté moderne comprenant 450 maisons, y compris une école pour les villageois en exil qui sont actuellement au nombre de 1500 personnes.
Le plan a été élaboré par un urbaniste professionnel de Technion, la plus prestigieuse des universités techniques d’Israël.
Les réfugiés d’Iqrit sont également impliqués dans un projet pilote pour travailler sur les aspects pratiques de la mise en œuvre du droit au retour ainsi que la compréhension des problèmes légaux, techniques et psychologiques que rencontrent les réfugiés.
A ce titre, Mohamed Zeidan, directeur d’une association des Droits de l’Homme basée à Nazareth et connu aussi pour avoir contribué à l’organisation du projet affirme : « La communauté Palestinienne est en train de vivre un moment historique. C’est la première fois que nous passons à l’action, et non pas de simples paroles en l’air. »
« Les villageois ne s’attendent pas à ce qu’Israël réponde à leurs doléances ; c’est pourquoi ils œuvrent activement pour démonter à Israël à quoi ressemblerait le droit au retour. »
Des promesses non tenues
Il n’est pas vraiment étonnant que le village d’Iqrit soit le premier à ouvrir la voie sur la question des réfugiés. En réalité, l’histoire retient que les habitants d’Iqrit n’ont pas été expulsés de leur village, ni forcés à fuir d’ailleurs comme ce fut le cas pour la plupart des villages. Les habitants se sont rendus en novembre 1948.
En effet, d’après Lutfallah Atallah, les villageois avaient accepté de quitter le village après avoir reçu la promesse de retour une fois l’armée aura complété ses opérations dans la région. Peu de temps après, le village a été déclaré zone militaire fermée.
Le septuagénaire explique : « Nous avons été placés dans des véhicules militaires et conduits au village de Rama. Ils nous ont informés que nous retournerions après 15 jours. Cependant, ces 15 jours sont devenus de longues années et nous attendons toujours le retour. »
Pour sa part, Israël ne nie pas que la promesse ait été faite et que le droit au retour des villageois ait bel et bien été appuyé par la Cour Suprême du pays en 1951. Six mois plus tard, l’armée a fait exploser les maisons dans une mesure visant à arrêter la décision appliquée.
Shadia Sbeit, coordinatrice pour le comité des résidents d’Iqrit a souligné qu’au début des années 90, un groupe d’experts du gouvernement israélien a convenu de réserver une petite zone d’Iqrit pour qu’elle soit reconstruite. Cette décision est intervenue suite aux pressions croissantes exhortant Israël à honorer ses engagements envers les villageois. Toutefois, l’assassinat du premier ministre de l’époque, Yitzhak Rabin, n’a pas permis au projet d’aboutir et tous les espoirs sont tombés à l’eau.
Quelques années plus tard, le premier ministre Ariel Sharon a décidé en 2002 de ne plus donner suite à cette décision, prétextant que la promesse donnée à Iqrit et à un autre village, Biram, ne pouvait pas être mise en œuvre car elle constituerait un précédent et donnerait l’exemple aux autres réfugiés qui pensent au retour, chose qui menace la majorité juive d’Israël.
Un raisonnement que Zeidan qualifie d’ « insensé et absurde. » Il explique : « Les réfugiés d’Iqrit sont tous des citoyens israéliens et les laisser retourner ne changera en rien le caractère juif d’Israël. »
Nettoyage ethnique ?
L’idée de recréer le village d’Iqrit est née du comportement d’Israël envers le traitement de la question des réfugiés de 1948, soumis à des examens minutieux répétitifs, notamment au sujet des circonstances ayant motivé l’abandon des réfugiés de leurs maisons – et si les dirigeants israéliens avaient exigé un programme de nettoyage ethnique.
Récemment, le chercheur israélien Shay Hazkani a découvert des documents qui confirment les soupçons selon lesquels, la revendication historique qu’Israël a utilisée comme principale justification pour refuser aux réfugiés leur droit au retour à leurs maisons n’est que pure invention des responsables israéliens.
Les dossiers, classés dans les archives de l’état, révèlent que David Ben Gourion, premier ministre en 1948 et pendant de longues années après, a installé au début des années 60 une unité de recherche afin d’essayer de prouver que ce sont les dirigeants Arabes qui avaient ordonnés aux Palestiniens de quitter et de fuir leurs villages.
Cette démarche israélienne est intervenue pour répondre à la pression croissante du président étasunien de l’époque, John F. Kennedy, invitant Israël à autoriser plusieurs centaines de milliers de réfugiés à retourner chez eux.
Ainsi, d’après Nur Masalha, auteur de plusieurs livres sur les réfugiés Palestiniens, Ben Gourion avait l’intime conviction qu’Israël gagnerait une plus large approbation internationale de sa position de refus s’il réussirait à démontrer que les villageois avaient quitté leurs maisons suivant les ordres des leaders Arabes voisins, plutôt qu’à cause d’une campagne d’expulsions de masse.
D’autres documents ont également prouvé que l’armée israélienne a eu recours à la force pour expulser les Palestiniens d’au moins 120 villages, tandis que dans la plupart des autres cas, les habitants avaient fui par peur après que leur village et ses voisins aient été attaqués.
Le procès-verbal de la réunion de 1961 révèle les propos de Ben Gourion aux responsables de la Défense qui leur explique l’importance de prouver que les réfugiés avait fui « de leur plein gré car on leur a annoncé que le pays serait bientôt conquis et qu’une fois de retour chez eux, ils ne seront pas de simples habitants, ils seront les seigneurs et les maîtres des lieux. »
Dans cette perspective, des chercheurs israéliens ont été recrutés pour rédiger un rapport pour le plaidoyer israélien devant les Nations Unies. Ils ont eu accès aux documents confidentiels, notamment ceux obtenus à partir de sources Britanniques et Arabes et dont la plupart ont par la suite été brûlés.
Le directeur de l’unité, Rony Gabbay, a reconnu dans une interview accordée au quotidien israélien Ha’aretz le mois de mai dernier qu’il n’y avait aucune preuve des allégations formulées dans le rapport publié plus tard par Israël. « Il n’y avait aucune mention dans les archives qui prouve que des dirigeants locaux Arabes avaient pressé les Arabes à fuir ou qu’ils les ont poussé à le faire comme nous l’avons prétendu dans notre hasbara (propagande). Je ne suis pas tombé sur une pareille information. »
Israël a tout aussi été embarrassé par d’autres révélations récentes qui ont remis en question sa version sur la guerre de 1948.
Au début de cette année, un magazine israélien a publié une longue interview de Yerachmiel Kahanovich, ancien soldat qui a admis avoir combiné, en 1948, les expulsions de Palestiniens de deux villes : Lod et Ramleh. Il avait tiré des obus sur une mosquée où des citoyens s’y étaient réfugiés. Avec d’autres soldats, Kahanovich reconnait avoir exécuté les réfugiés qui tentaient de s’échapper.
« Pour faire passer le message, il fallait des fois tirer sur une ou deux personnes pour que le reste comprenne la nécessité de quitter la ville. Il y a une logique qu’il faut comprendre : si vous ne détruisez pas la maison de l’Arabe, il sera toujours tenté d’y retourner. C’est pourquoi, pas de maison, ni de village signifie qu’il n’y a plus d’endroit spécifique pour y retourner, » a-t-il raconté à Yedioth Hakibbutz.
En outre, l’historien israélien Tom Segev a rendu public en mars dernier le procès-verbal d’une réunion du cabinet tenue en septembre 1948, soit quelques semaines avant la prise d’Iqrit.
D’après la transcription, dont une partie a été censurée, Ben Gourion pensait que les efforts devant provoquer de nouvelles hostilités pourraient bien être utilisés comme prétexte pour expulser 100.000 Palestiniens qui résidaient toujours en Galilée, considérée par un plan de partition antérieur des Nations Unies comme faisant partie de l’état Arabe.
« Si la guerre éclate à travers tout le pays, ne serions en position avantageuse notamment en ce qui concerne la Galilée car…nous viderions carrément la Galilée, » avait-il dit à ses ministres.
Cette déclaration laisse presque entendre que Ben Gourion avait pour plan le nettoyage ethnique des Palestiniens vivant à l’intérieur des frontières élargies du nouvel état d’Israël, une allégation depuis longtemps rejetée avec véhémence par les responsables israéliens.
Cette version a été soutenue le même mois par Derek Penslar, premier professeur des études sur Israël à l’Université d’Oxford. Il a affirmé au journal Britannique Jewish Chronicle qu’Israël avait commis un « nettoyage ethnique » des Palestiniens durant la Nakba.
Retour à Iqrit, auprès de Walaa Sbeit. Le jeune nous montre au loin un groupe de maisons, à peine visible sur la frontière avec le Liban, un pays qui accueille plus de 400.000 Palestiniens dans des camps de réfugiés et lance : « La justice de la cause des réfugiés n’aurait jamais dû être mise en doute. »
« Il fut un temps où nous attendions que le monde corrige le tort que l’on nous a fait. Cette ère est révolue et le temps est venu pour que nous agissions par nous-mêmes. »
* Jonathan Cook a remporté le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Ses derniers livres sont Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books). Voici l’adresse de son site : http://www.jkcook.net.
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09 juin 2013 – Al Jazeera English – Vous pouvez consulter cet article sur :
http://www.aljazeera.com/indepth/fe...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha