La direction d’Al Jazeera ordonne le retrait d’un article de Joseph Massad, dans un acte de censure pro-Israël - puis, le remet
dimanche 26 mai 2013 - 13h:07
Ali Abunimah – EI
Dans un acte sans précédent de censure politique, Al Jazeera Anglais a supprimé un article du professeur à l’université de Columbia Joseph Massad, après avoir essuyé de vives critiques des sionistes dans ces derniers jours.
Depuis, Al Jazeera a remis l’article de Joseph Massad
Massad a dit à The Electronic Intifada qu’il avait « reçu confirmation » de son rédacteur en chef à Al Jazeera Anglais que « la direction avait retiré l’article ». The Electronic Intifada a pu confirmer pour sa part que l’article avait bien été retiré.
L’article, Les derniers des sémites, publié le 14 mai, a été enlevé du principal site anglais d’Al Jazeera dimanche matin – le lien dirige maintenant sur la page principale d’Al Jazeera. Il a également disparu de la page personnelle de Massad sur le site d’Al Jazeera.
Cet article a été l’un des plus consultés et a provoqué des courriels sur le site de même qu’il a été twitté des centaines de fois.
Al Jazeera n’a toujours pas fourni d’explication officielle à son geste.
De vives critiques
Depuis sa publication, l’article a généré de vives critiques de la part des extrémistes sionistes, notamment d’un chroniqueur dans le journal violemment anti-palestinien Jerusalem Post, et une condamnation sur Twitter de la part du filtreur du lobby pro-israélien préféré du Président Barack Obama et l’ancien gardien de prison, Jeffrey Goldberg :
John Podhoretz, rédacteur en chef du magazine néoconservateur sioniste anti-palestinien Commentary, a twitté à propos de Massad : « Félicitations aux bailleurs de fonds de l’université Colombia, pour avoir payé un salaire à ce monstrueux connard ! ».
Si le retour de bâton a été si fort c’est précisément parce que Massad va au cœur de la revendication d’Israël de représenter les juifs et qu’il rejette les critiques d’Israël l’accusant d’être antisémite en montrant qu’en réalité, c’est Israël et le sionisme qui relèvent du même antisémitisme qui a ciblé les juifs européens.
Ce faisant, Massad coupe l’herbe sous le pied des sionistes et des lobbyistes pro-Israël en démontrant que ce sont eux les antisémites et il leur enlève la plus formidable arme qu’ils brandissent contre les détracteurs d’Israël : l’accusation que l’antisionisme est de l’antisémitisme.
En neutralisant cette arme idéologique qu’Israël utilise si efficacement dans les médias occidentaux pour camoufler sa colonisation de la Palestine, la position pro-juive de Massad et son attaque vigoureuse contre l’antisémitisme sioniste sont clairement comprises par les personnalités du lobby pro-Israël, tel que Goldberg, comme une destruction totale de leur arsenal idéologique.
Le sionisme et l’antisémitisme : les deux côtés d’une même médaille
L’affirmation de Goldberg selon laquelle l’article de Massad est une « chape de revêtement anti-juive » ne pouvait être plus éloignée de la vérité.
Massad a longuement argumenté – de façon convaincante – que le sionisme et l’antisémitisme sont les deux côtés d’une même médaille. C’est un thème qu’il développe avec une grande érudition dans son livre de 2006, La Persistance de la question palestinienne, et sur lequel il revient dans son dernier article, Les derniers des sémites, publié sur Al Jazeera le 14 mai, et qui s’ouvre ainsi :
« Les opposants juifs au sionisme ont compris que le mouvement, depuis ses débuts, partageaient les préceptes de l’antisémitisme dans son diagnostic de ce que les Européens non juifs [les Gentils] appelaient la « question juive ». Ce qui a le plus ulcéré les Juifs antisionistes, toutefois, fut que le sionisme a repris à son compte la « solution » à la question juive que les antisémites avaient toujours préconisée, à savoir l’expulsion des Juifs d’Europe. . »
En décembre dernier, dans un autre article pour Al Jazeera, Massad expliquait comment « les dirigeants sionistes reconnaissaient consciemment que l’antisémitisme d’État était essentiel pour leur projet colonial » en Palestine, une reconnaissance incarnée par l’Accord de Transfert que les dirigeants sionistes ont signé avec le gouvernement de l’Allemagne nazie en 1933 (l’accord Haavara du 25 août 1933 – ndt).
Un thème que Massad développe dans son dernier article est que le soutien européen, et spécialement allemand, à Israël après 1948, ne rompt pas avec le passé antisémite :
« L’alliance de l’Allemagne de l’Ouest avec le sionisme et Israël après la Deuxième Guerre mondiale, pour fournir à Israël une énorme aide économique dans les années cinquante ainsi qu’une aide économique et militaire depuis les années soixante, comprenant notamment des chars d’assaut qui furent utilisés pour tuer les Palestiniens et d’autres Arabes, est une continuation de l’alliance que le gouvernement nazi avait conclue avec les sionistes dans les années trente. »
Les derniers des sémites est basé sur une conférence que Massad a donnée à Stuttgart, en Allemagne, à un public en grande partie allemand, la semaine dernière :
La censure
Bien qu’Al Jazeera basé au Qatar reçoive de nombreuses critiques, et souvent méritées, pour refléter la politique étrangère du Qatar, la censure de l’article de Massad pour des raisons politiques est sans précédent, car le site en langue anglaise avait, jusqu’à maintenant, bénéficié d’une indépendance éditoriale totale.
Il est notoire que les lignes rouges d’Al Jazeera ont toujours été critiques du Qatar ou de son émir, et pourtant, Massad a même publié plusieurs articles sur Al Jazeera Anglais qui critiquaient durement tant la politique étrangère du Qatar (voir ici, et encore ici) que l’émir lui-même, sans jamais être censuré.
Et Massad a écrit une multitude d’articles qui ont rendu les sionistes enragés.
Ceci indique, sans nul doute, que la décision de retirer l’article de Massad aujourd’hui a été prise au plus haut niveau.
Mais pourquoi maintenant ?
Une interprétation raisonnable serait que le retrait de l’article de Massad reflète un durcissement de la ligne éditoriale alors que le réseau lance sa nouvelle chaîne, Al Jazeera America, qui s’appuiera – pour l’accès aux systèmes câblés et la crédibilité « grand public » - sur l’établissement de bonnes relations avec les élites étatsuniennes.
Une illustration de ce à quoi ce processus pourrait ressembler est apparue quand Ehab Al Shihabi, le directeur exécutif des opérations internationales d’Al Jazeeera et responsable officiel de l’ouverture d’Al Jazeera America, s’est rendu à Chicago – où se tiendra le siège du principal bureau d’Al Jazeera.
Dans cette ville, Al Shihabi a engagé une relation chaleureuse avec son maire, Rahm Emanuel, ancien chef de cabinet du Président Barack Obama.
Emanuel, principale éminence grise du Parti démocrate aux États-Unis, est bien évidemment connu également pour ses positions radicales en faveur d’Israël.
On ne sait si Al Shihabi a quelque chose à voir directement avec le retrait de l’article de Massad – cette décision aura presque certainement été prise au niveau le plus haut à Doha – mais son flirt avec Emanuel indique parfaitement sur qui Al Jazeera va chercher à faire bonne impression.
Jusqu’à dimanche dernier, l’article de Massad a pu encore être lu dans son intégralité sur le site mobile d’Al Jazeera, mais en fin de soirée, là aussi il avait disparu.
Ci-dessous, une image de l’article censuré.
Les derniers des sémites - Joseph Massad – Al Jazeera Anglais.
En français sur : Info-Palestine
- The last of the Semites - last updated : 14 May 2013
Les embarras d’Al Jazeera qui censure puis rétablit un article anti-israélien
Pierre Haski | Cofondateur Rue89
21 mai 2013
La chaîne qatarie Al Jazeera a atteint un tel statut que tout ce qu’elle fait est analysé et débattu comme aucun autre média au monde. C’est ce qui vient de se produire avec un article très polémique, sur le site anglophone d’Al Jazeera, d’un professeur d’origine palestinienne, associé à l’université américaine de Columbia, Joseph Massad.
Cet article, très hostile au sionisme et dont la thèse est qu’Israël a besoin de l’antisémitisme pour se légitimer, a été censuré par la direction d’Al Jazeera, avant d’être remis en ligne trois jours plus tard, ce mardi, avec un billet d’explications vagues du rédacteur en chef du site.
La publication initiale de l’article a suscité de violentes critiques d’Al Jazeera en Israël et parmi les partisans d’Israël aux Etats-Unis. Puis son retrait a valu à la chaîne qatarie d’autres attaques, cette fois de la part des détracteurs de l’Etat hébreu, qui l’accusaient d’avoir cédé aux « pressions sionistes ».
En republiant l’article, mardi, Imad Moussa, le responsable du site anglophone de la chaîne d’info, n’explique pas réellement pourquoi l’article a été initialement retiré, signalant simplement que la tribune « a suscité de nombreuses questions ». Il ajoute :
« Nous aurions du mieux gérer cette affaire, et nous en avons tiré les leçons qui nous permettront de maintenir le plus haut niveau d’intégrité journalistique. [...]
Al Jazeera ne se soumet pas aux pressions, quelles que soient les circonstances, et notre histoire est pleine d’exemples de circonstances où, confrontés à des choix difficiles, nous n’avons pas cédé. C’est le secret de notre réussite. »
Source : http://www.rue89.com/2013/05/21/les...
Joseph Massad
* Joseph Massad est professeur associé de politique arabe et d’histoire intellectuelle à l’Université de Columbia. Son dernier livre s’intitule : The Persistence of the Palestinian Question ; Essays on Zionism and the Palestinians - Version française : La persistance de la question palestinienne.
Du même auteur :
Sionisme, antisémitisme et colonialisme - 24 décembre 2012
Les révoltes arabes, passées et présentes - 18 novembre 2011
C’est Israël, le danger... pas l’Iran ! - 14 novembre 2011
Les droits d’Israël - 10 mai 2011
Le sectarisme et ses mécontentements - 13 janvier 2011
Résister à la Nakba - 22 mai 2010
Oslo et la fin de l’indépendance palestinienne - 1er février 2010
Le soulèvement du Ghetto de Gaza - 6 janvier 2009
Renverser la démocratie - 7 juillet 2007
Le droit d’Israël d’être raciste - 18 mars 2007
19 mai 2013 - The Electronic Intifada - traduction : Info-Palestine/JPP