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La cause palestinienne et le droit économique

vendredi 19 avril 2013 - 10h:29

Gilles Devers

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Le droit des affaires s’affirme comme un levier puissant à la disposition des peuples qui luttent pour leur indépendance ou pour la maîtrise leur développement, alors que de partout, la force des armes est là pour installer la violence économique et sociale.

Agir en droit contre les responsables étatiques ou militaires restera toujours difficile, mais un très beau terrain d’action se dégage contre les entreprises et leurs dirigeants, avec les outils du droit des affaires.

1/ Situation générale dans les colonies

Nous disposons d’informations objectives de qualité avec le rapport du Rapporteur spécial de l’ONU pour la Palestine de septembre 2012.

« 7. Entre 1967 et 2010, Israël a implanté environ 150 colonies de peuplement en Cisjordanie. S’y ajoutent une centaine d’implantations « sauvages » – des colonies construites sans autorisation officielle israélienne, mais avec la protection, le soutien en équipement et l’aide financière du Gouvernement israélien. Ces implantations non autorisées sont depuis peu l’objet de débats dans le Gouvernement israélien pour savoir s’il y a lieu ou non de les légaliser en droit israélien. C’est là une grave accélération du mouvement de colonisation, incompatible avec le discours politique d’Israël, qui dit appuyer les négociations tendant à instaurer un État palestinien viable, indépendant, souverain et d’un seul tenant.

« 8. Jérusalem compte 12 colonies, implantées avec l’aide financière et l’assistance du Gouvernement sur des terres illégalement annexées par Israël et intégrées à la ville. Les colonies ont la mainmise sur plus de 40 % de la Cisjordanie, y compris des ressources agricoles et hydriques essentielles. De nombreuses implantations sont très étendues et forment des grands lotissements fermés ou des petites localités. Israël n’autorise pas les Palestiniens – sauf s’ils ont un permis de travail – à y pénétrer ou à en utiliser les terres.

« 9. Les colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé comptent de 500 000 à 650 000 habitants, dont quelque 200 000 vivant à Jérusalem-Est. Les statistiques révèlent que le nombre de colons (à l’exclusion de la population de Jérusalem-Est) a augmenté, au cours de la dernière décennie, à un rythme annuel moyen de 5,3 %, contre 1,8 % pour la population israélienne en général. Au cours des 12 derniers mois, cette population a augmenté de 15 579 personnes. Le Gouvernement israélien offre aux colons des prestations et des incitations dans les domaines de la construction, du logement, de l’éducation, de l’industrie, de l’agriculture et du tourisme, ainsi que des routes à usage exclusif et un accès privilégié à Israël. L’effort financier, juridique et administratif déployé par Israël dans son entreprise de colonisation a transformé de nombreuses colonies en opulentes enclaves pour citoyens israéliens, et cela dans une zone où les Palestiniens vivent sous régime militaire et dans des conditions de pauvreté généralisée.

2/ Situation économique dans les territoires occupés de Palestine (CNUCED)

Sur le plan économique, la référence est le rapport de la CNUCED sur l’économie des territoires occupés du 13 juillet 2012, TD/B/59/2.

« Les perspectives à long terme de développement de l’économique palestinienne sont devenues encore plus irréalisables en 2011 que jamais auparavant. Les restrictions à la circulation, la diminution des flux d’aide, un secteur privé paralysé et une crise budgétaire chronique assombrissent l’horizon. Le redressement de la croissance récemment observé à Gaza ne saurait être durable. Un chômage élevé persiste, qui aggrave la pauvreté : un Palestinien sur deux est considéré comme pauvre. Dans les conditions actuelles, étant donné la faiblesse de la demande privée, la réduction des dépenses par l’Autorité palestinien est contre-productive. Les donateurs doivent rendre leurs versements d’aide prévisibles et il est indispensable d’accroître les recettes budgétaires liées au commerce pour empêcher une crise socioéconomique de grande ampleur. Les effets de l’occupation sur l’appareil productif palestinien, en particulier le secteur agricole, ont été catastrophiques. L’économie palestinienne a perdu l’accès à 40 % des terres, à 82 % des nappes phréatiques et à plus des deux tiers des terres de pâturages en Cisjordanie. À Gaza, la moitié des terres cultivables et 85 % des ressources halieutiques sont devenues inaccessibles. Le développement économique palestinien passe notamment par la création d’une banque de développement agricole permettant d’assurer crédits, partage des risques et investissements. En dépit de ressources limitées, la CNUCED a continué de soutenir le renforcement des capacités institutionnelles palestiniennes dans différents domaines, y compris la formation et la réalisation de projets de coopération technique concernant la modernisation des douanes, la facilitation du commerce et la modélisation économétrique de l’économie palestinienne

« 4. L’économie palestinienne continue de fonctionner bien en dessous de son potentiel en raison de la persistance des restrictions à la mobilité (le nombre de points de contrôle en Cisjordanie est passé de 500 en 2010 à 523 en 2011), de la poursuite du siège économique de Gaza, de la crise budgétaire de l’Autorité palestinienne et de la diminution du soutien fourni par les donateurs. La situation s’est encore aggravée en 2011 avec l’augmentation des destructions d’infrastructures palestiniennes (en particulier de logements) et l’expansion des colonies israéliennes, notamment autour de Jérusalem-Est et de Bethléem (Bureau du Coordonnateur spécial des Nations Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient (UNSCO), 2011), cela s’ajoutant à l’actuelle « bantoustanisation » du territoire palestinien.

« 7. L’occupation prolongée et les conséquences socioéconomiques de l’expansion des colonies de peuplement israéliennes sont la principale cause de l’échec des efforts de développement de l’économie palestinienne. Mettre un terme à l’expansion des colonies et à l’occupation est la condition sine qua non d’un développement durable. Faute d’un rééquilibrage économique et politique radical entre l’occupation israélienne et le peuple palestinien, il ne saurait y avoir de véritable redressement économique dans le territoire palestinien occupé. Lever les restrictions israéliennes qui pèsent sur les travailleurs palestiniens (s’agissant notamment de leur mobilité) (Organisation internationale du Travail (OIT), 2012) ainsi que sur les entreprises et le commerce, et permettre à l’Autorité palestinienne de percevoir la totalité des recettes liées au commerce qui lui reviennent seraient d’utiles premières mesures à prendre pour éliminer les conséquences négatives de l’occupation et accroître les possibilités de créer un État palestinien souverain, conformément aux résolutions pertinentes de l’ONU. »

Pour apprécier la situation économique, il faut également renvoyer vers le rapport du FMI du 23 septembre 2012 et celui de la Banque Mondiale d’avril 2012. Le rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé du 27 septembre 2012 montre l’impact des privations économiques sur la santé des Palestiniens.

3/ Informations sur le rôle des principales entreprises

La colonisation, militaire à l’origine, ne peut perdurer que si elle trouve tous les relais économique nécessaires, et on arrive alors au rôle des entreprises, complice de la colonisation et les violations du droit associées. Le rapporteur spécialde l’ONU a procédé à l’analyse de l’activité de treize grandes entreprises, soulignant qu’elles ne représentent « qu’un petit échantillon du large éventail d’entreprises dont les activités sont liées aux colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé ».

Voici quelles sont ces entreprises, avec la précision que le rapport donne toutes les informations sur le type d’activités et les méthodes juridiques utilisées.

- Caterpillar Incorporated, l’un des principaux fabricants mondiaux d’équipement de construction.
- Veolia Environnement, la multinationale française, est active dans les secteurs de l’eau, de la gestion des déchets, des services énergétiques et du transport.
- Group4Security (G4S) est une société britannique offrant des services de sécurité.
- Le groupe Dexia, le groupe bancaire européen, est très présent dans les colonies.
- Ahava est une société israélienne de cosmétique spécialisée dans les produits de beauté haut de gamme élaborés à partir de ressources naturelles provenant de la mer Morte.
- Le groupe Volvo est l’un des principaux constructeurs mondiaux de camions, d’autocars, d’engins de chantier, de systèmes de propulsion pour la marine et l’industrie et de pièces pour l’aéronautique.
- Le groupe Riwal Holding, établi aux Pays-Bas, est spécialisé dans la location internationale de nacelles élévatrices.
- Elbit Systems est une société israélienne spécialisée dans l’électronique de défense.
- Hewlett Packard (HP) est le plus gros fournisseur mondial de matériel, logiciels et services informatiques.
- Mehadrin est l’un des géants israéliens de l’agro-industrie. L’entreprise produit des agrumes, des fruits et des légumes qu’elle exporte dans le monde entier.
- Motorola Solutions Inc. est une multinationale américaine d’électronique et de télécommunication.
- Mul-T-Lock est une entreprise israélienne, rachetée par la société suédoise Assa Abloy, qui se décrit comme « un leader mondial dans la conception, la fabrication, la commercialisation et la distribution de solutions de haute sécurité pour les applications institutionnelles, commerciales, industrielles, résidentielles et automobiles ».
- La société mexicaine Cemex est un leader mondial de l’industrie des matériaux de construction.

Le rapporteur rappelle que les entreprises doivent respecter le droit fondamental et il leur demande de suspendre « la fourniture de produits et services, qui contribuent à la création et au maintien des colonies de peuplement israéliennes ».

Pas dupe, il demande (§ 98) à la société civile d’engager des actions judiciaires et politiques à l’encontre des entreprises en infraction, si en s’adressant aux institutions judiciaires et politiques nationales, surtout si des activités de colonisation se prêtent à des allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

4/ Droit opposable aux sociétés privées dans le territoire palestinien occupé

Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme

Le 16 juin 2011, dans sa résolution 17/4, le Conseil des droits de l’homme a entériné à l’unanimité les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Les normes internationales des droits de l’homme, et les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du Travail (OIT), constituent un corpus de textes faisant autorité pour évaluer l’impact des activités des entreprises sur les droits de l’homme, spécialement lorsque ces entreprises opèrent dans des situations de conflit armé.

De fait, les juristes sont à l’œuvre, et ces mesures entrent dans l’ordre juridique. L’Organisation internationale de normalisation (ISO) a amendé ses statuts. La Commission européenne a publié une résolution et demandé aux États-membres des plans nationaux de mise en œuvre. L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) a adopté un plan intergouvernemental en ce sens. L’OCDE a mis à jour en 2011 les Principes directeurs pour les entreprises multinationales.

Le Pacte mondial

C’est dans ce contexte qu’il faut placer le Pacte mondial. Ce document résulte d’une démarche du Secrétaire général de l’ONU concerne la responsabilité des entreprises et a été signé par 8 700 entreprises issues de 130 pays. Pour cette action, sept organismes des Nations Unies travaillent en collaboration permanente avec le Bureau du Pacte mondial du Secrétaire général : le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, le Programme des Nations Unies pour le développement, le Programme des Nations Unies pour l’environnement, ONU-Femmes, l’Organisation internationale du Travail et l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel.

Le statut de la CPI

Aux termes de l’article 25 du statut, la Cour est compétente à l’égard des personnes physiques et, selon l’alinéa 2 « quiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement responsable et peut être puni conformément au présent Statut ». Peuvent être condamnés les auteurs et les complices, et précisions que nombre de ces groupes sont implantés dans des Etats ayant ratifié le traité de la CPI.

L’article 8, 2, a, iv, définit comme crimes de guerre, lorsqu’elles visent des personnes protégées par les Conventions de Genève « La destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire.

Selon l’article 7 1) d)constitue un crime contre l’humanité la « déportation ou transfert forcé de population ».

Le statut de la Cour définit comme crime contre l’humanité (article 7,1, j) le crime d’apartheid. L’article 7, 2, h précise que par « crime d’apartheid », on entend des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1, commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ».

Voici quelques règles, et on en trouve bien d’autres déduites. Bien sûr, il ne faut attendre aucune aide des Etats, et les initiatives ne viennent que des groupes politiques. Bien des étapes restent à franchir, mais le terrain du droit européen des affaires s’avère privilégié.

19 avril 2013 - Blog de Gilles Devers, avocat - Vous pouvez consulter cet article à :
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