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Vies sous occupation : « Je souhaite être enterré chez moi, à Isdod »

mercredi 3 avril 2013 - 07h:33

PCHR Gaza

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Mohamed Mohamed Mohamed Tuman avait 19 ans lorsqu’il a été contraint, sa famille et lui, à fuir leur maison à Isdod, actuellement connue sous le nom d’Ashdod. Le vieux de 85 ans se souvient de la date du 20 décembre 1948 qui coïncide avec leur Nakba (catastrophe) où un village entier a été vidé de ses 8500 habitants. Quelque temps auparavant, les habitants des villages voisins arrivaient par centaines à Isdod, rapportant des récits sur les massacres auxquels ils venaient d’assister dans différents endroits, à l’instar de Qibya, Basheet, Deir Yassin et la mosquée de Dahmash. La situation, marquée par des menaces d’attaques des groupes juifs ainsi que le retrait de l’armée égyptienne de la région, a poussé les quelques 30.000 citoyens à fuir à pieds et à marcher pendant des jours à la recherche d’un lieu sûr et sécurisé.

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Mohamed, 85 ans, montre sa carte d’identité délivrée par la Municipalité d’Isdod en 1947

Parti à sa rencontre, le PCHR Gaza a permis à Mohamed de raconter les souvenirs du jour où sa famille a été déplacée de sa maison. Il commence : « Nous avions très peur d’être tués. 48 villageois avaient déjà été assassinés, dont mon frère Ahmed qui était résistant et qui a été tué par des colons juifs. 15 autres étaient faits prisonniers. J’ai gardé les noms de chaque personne tuée ou emprisonnée, et je m’en souviens toujours. Ce jour-là, mon père m’avait chargé d’aller parler avec le commandant Egyptien pour lui demander ce qu’ils avaient l’intention de faire. Je n’ai pas pu le rencontrer mais j’ai réussi à interpeller un soldat Egyptien. Je lui ai demandé s’ils comptaient rester pour nous défendre ou bien se retirer. Il a répondu qu’il ne savait rien et qu’il allait s’informer auprès d’une tierce personne. Vers 16h de la même journée, il n’y avait plus aucun soldat. A leur place, il y avait des groupes de Juifs armés jusqu’aux dents, venus de la colonie voisine de Nizanim. Ils avaient des armes, des chars et des avions de guerre. Nous par contre, nous n’avions absolument rien, sauf le recours à une ultime chance de survie : le départ. »

« Le trajet vers le sud était ardu, » poursuit Mohamed « Le village en entier avec ses hommes, ses femmes et ses enfants a choisi l’exode. Ma famille et moi pouvions à peine prendre sur nos dos une petite quantité de farine pour préparer le pain et quelques vêtements. Nous avions passé une nuit à Hamama, une autre à Majdal [actuellement appelé Ashkelon] et la troisième nuit à Herbyia. Nous dormions sous les arbres, craignant d’être attaqués. Nous manquions terriblement de nourriture. Après quatre jours de voyage, nous étions enfin arrivés à Khan Younis où des amis y vivaient déjà. Nous avons également retrouvés certains membres de ma famille que le chaos avait dispersée. Nos amis nous avaient offert un abri en paille pour nous y loger. Cinquante ans sont passés depuis notre arrivée ici, mais au lieu d’un abri en paille, j’ai construit une maison sur le même site. »

A l’époque, Mohamed était un jeune marié qui devait se battre pour construire une nouvelle vie avec son épouse Basima. Il se souvient : « J’avais trouvé du travail dans les champs, mais je ne gagnais que 10 piastres par jour. C’était à l’époque le prix d’un kilo de sucre. En 1949, nous avons eu notre premier enfant, ma fille Turkiyya. Mon épouse ne parvenait pas à l’allaiter comme il se doit, donc nous devions acheter du lait à un voisin possédant une vache. »

Il poursuit : « Ma mère est décédée l’an suivant, pendant que nous vivions encore dans la hutte de paille. C’était une vie dure et amère où sévissait la pauvreté. J’ai travaillé dur dans l’agriculture puis la vente des produits afin de gagner l’argent nécessaire pour la survie de ma famille. Mes mains étaient gercées et rugueuses à force d’utiliser les outils et de travailler dans la terre. Nous avons vécu dans la souffrance pendant quinze ans jusqu’en 1963, lorsque l’UNRWA nous avait fourni un logement dans le camp de réfugiés de Khan Younis où nous avons passé toute notre vie. Un an d’après, j’ai commencé le travail chez des proches qui avaient une firme pour la confection des vêtements. »

Vint ensuite la guerre de Six Jours de 1967. Mohamed et sa famille étaient forcés de fuir le camp de réfugiés pendant un moment : « Nous étions terrifiés. Nous nous sommes dirigés vers une région appelée El Mowasi, pas très loin de la mer. Là-bas, nous avons pris des arbres pour refuge. Après sept jours, les avions de guerre israéliens ont commencé à larguer des tracts nous ordonnant de retourner au camp en brandissant des drapeaux blancs. Nous nous sommes exécutés. Mais hélas, j’avais perdu mon travail après la guerre. Notre niveau de vie était en-dessous de la moyenne. Ma belle-sœur (la sœur de mon épouse) et mon frère vivaient à Lod, en Israël. Ils m’ont envoyé une autorisation pour les rejoindre et m’ont trouvé un travail comme ouvrier. »

Cette nouvelle destination vers le nord allait permettre à Mohamed de revisiter sa terre natale. Il raconte : « Quand je suis arrivé à Lod, j’ai demandé à ce qu’on me conduise à mon village. En voyant Isdod, j’ai à la fois ri et pleuré ; j’ai ri car je venais de revoir mon village, et j’ai pleuré car il n’était plus le mien, il est à présent occupé. C’était en fait un mélange de sentiments. »

En effet, avant qu’ils ne soient forcés au déplacement, les Tuman étaient une famille d’agriculteurs et des propriétaires fonciers, possédant 120 dounams de terres près du village . Mohamed cultivait la terre en compagnie de ses quatre frères et de leur père : « En me baladant, je suis tombé sur une vieille clé qui était au sol. Je l’avais reconnue comme la clé du moteur du puits et qui a été volée à l’époque. Je l’ai donc récupérée et emportée avec moi à Khan Younis. »

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Mohamed assis devant la carte de la Palestine, accrochée au mur de sa maison

Le travail de Mohamed s’est poursuivi en Israël jusqu’en 1978 : « A l’époque, les Palestiniens n’avaient pas de grands problèmes pour se déplacer entre Gaza et Israël. Lorsque mon fils Tutkiy a grandi, il m’a rejoint en Israël. Nous retournions passer quelques jours à Khan Younis toutes les deux semaines, sinon chaque mois. J’avais une famille nombreuse à prendre en charge : quatre garçons et cinq filles. Durant ma présence en Israël, j’ai profité pour visiter mon village Isdod à plusieurs reprises. Finalement, après 20 ans, je suis définitivement retourné à Khan Younis où j’ai ouvert un magasin. »

Il est d’autant plus douloureux pour Mohamed d’évoquer les toutes dernières offensives israéliennes sur la Bande de Gaza, à savoir « l’Opération Plomb Durci » de 2008/2009 et « l’Opération Pilier de Défense » de novembre 2012 : « C’étaient deux épreuves pénibles où toute la Bande de Gaza était en danger permanent. Nous avions extrêmement peur, encore plus peur que lors des précédentes guerres. Cette fois, Israël possédait un arsenal de guerre très sophistiqué, avec des obus et des avions de chasse. Il n’y avait plus d’endroits sûrs à Gaza. Quant à moi, je suis à présent très vieux, et j’ai été sur un fauteuil roulant pendant trois ans. Je ne peux plus rien faire pour résister à l’occupation. »

Aujourd’hui, l’envie de retourner à Isdod est toujours forte, même après 64 ans d’éloignement forcé. A ce titre, Mohamed explique : « Je rêve toujours de pouvoir y retourner. Je donnerai cher et tout ce que je possède rien que pour y retourner. C’est à Isdod que je suis né et c’est à Isdod que je resterai à jamais attaché. L’avenir de mes neuf enfants et de mes quarante-deux petits enfants dépend de notre retour chez nous en Palestine. J’espère du fond du cœur qu’on m’enterre chez moi, à Isdod. »

Selon les estimations, au moins 700.000 Palestiniens avaient été durant la Nakba de 1948 forcés de quitter leurs maisons. Selon la définition opérationnelle de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les Réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), les réfugiés Palestiniens sont des personnes normales dont la résidence entre juin 1946 et mai 1948 était la Palestine, et qui ont perdu et leurs maisons et leurs moyens de subsistance suite au conflit arabo-israélien de 1948. Les descendants des réfugiés Palestiniens autochtones sont également éligibles à l’enregistrement. S’agissant du 1er janvier 2012, l’UNRWA avait enregistré 4.797.723 réfugiés Palestiniens, dont 1.167.572 vivant dans la Bande de Gaza.

En vertu du droit international, tous les individus ont un droit fondamental de retourner dans leurs foyers quand ils ont été déplacés pour des raisons hors de leur contrôle. L’obligation des états à respecter le droit au retour de chaque individu est une norme du droit international coutumier.

Le droit au retour des réfugiés Palestiniens est expressément affirmé dans la Résolution 194 de l’Assemblée Générale de l’ONU de 1948 stipulant « qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins. » La Résolution prévoit également que « des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables. »

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27 février 2013 – PCHR Gaza – Vous pouvez consulter cet article à :

http://www.pchrgaza.org/portal/en/i...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha


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