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La déportation à Gaza n’est pas la victoire que méritent nos héroïques prisonniers

vendredi 22 mars 2013 - 05h:57

Shahd Abusalama

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Le combat d’un Palestinien n’a jamais été un combat pour soi. Il a toujours été question d’une résistance collective sous différentes formes dont l’objectif principal est l’aboutissement à une justice collective pour l’ensemble du peuple palestinien. Il existe chez nous des principes nationaux qui identifient notre lutte pour la liberté, et chaque révolutionnaire Palestinien doit embrasser ces principes ; le plus important étant notre droit au retour que nous considérons comme l’objectif sacré et suprême, écrit Shahd Abusalama.

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Portrait de Samer Issawi, dressé par l’artiste Palestinien Doc Jazz

Ayman Sharawna est finalement libre. Mais je me demande s’il s’agit bel et bien de la victoire à laquelle aspirait le gréviste de la faim, c’est-à-dire, sortir vivant de la prison, quelles que soient les conditions de sa libération ? Je ne le pense pas. Toutefois, pour sa mère Zahra, cela importe peu s’il va à Gaza « le plus important est qu’il soit libéré. » En y repensant, je me dis qu’au fond, je comprends parfaitement les propos d’une mère qui, submergée par son instinct et ses émotions maternelles, craint pour la vie de son fils et veut absolument le voir libre et vivant, même si de nombreux checkpoints de l’apartheid israélien les séparent.

Généralement, lorsque je me retrouve dans une situation compliquée et que les gens ont tendance à juger superficiellement, il me vient à l’esprit le vieil adage qui dit : « Celui dont les mains sont dans l’eau n’est pas comme celui dont les mains sont sur le feu. » Du coup, je me dis que je ne suis pas bien placée pour essayer d’imaginer la nature de la pression inhumaine qui a pu être exercée sur Ayman Sharawna. Toutefois, étant la fille d’un ancien détenu qui a purgé une peine de 15 ans, et à force de lire et d’entendre les expériences vécues en prison d’autres anciens détenus, je peux mieux comprendre et mieux deviner la portée de la situation.

Le Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme (PCHR) a condamné l’expulsion vers Gaza de Sharawna, qualifiant de « déportation forcée » l’acte d’Israël qui, pour rappel, constitue une violation du droit international. Ainsi, Israël est lui seul tenu pour responsable de cette déportation, ce qui veut dire que Ayman n’avait pas agi de sa propre volonté.

Cependant, j’étais choquée d’apprendre que l’homme qui a choisi le chemin de la grève de la faim pendant plus de huit mois et qui a pu résister et rester ferme, celui qui a supporté toutes les douleurs et les pressions, puisse céder devant un tel chantage ; être expulsé vers Gaza pour au moins dix ans en échange de sa libération. Personnellement, ce n’est pas la victoire à laquelle je m’attendais. J’ai accueilli la nouvelle avec un visage choqué et des yeux pétrifiés, incapable de verser la moindre larme.

Affectivement parlant, j’aurais bien pu célébrer et accepter le point de vue de Ayman qui dit que « A Gaza comme à Hébron, les gens appartiennent à mon peuple. » Toutefois, je ne peux m’empêcher d’écouter mes soucis et préoccupations intérieures. Car au fond de moi, je crois que nos réactions et positions guidées par les émotions serviront certainement les objectifs à long terme de l’occupation israélienne, notamment la transformation de la Bande de Gaza en un ghetto isolé de la Palestine et l’expulsion d’autant de personnes que possible des territoires occupés de la Cisjordanie et de la Palestine de 1948. A ce stade, j’ai vraiment peur que cela n’ouvre la voie à Israël pour qu’il intensifie sa politique systématique de nettoyage ethnique d’un plus grand nombre de prisonniers politiques Palestiniens et c’est cette même peur qui m’empêche de goûter à la victoire de la libération de Ayman Sharawna.

Mes idées étaient donc noyées dans mes soucis et mes préoccupations, n’était-ce la déclaration de Samer Issawi au sujet de la déportation qui a diminué mon stress et a ravivé mes espoirs. Je m’attendais à ce qu’une opinion aussi admirable et aussi forte émane de cet homme à la fois têtu, droit, digne et pondéré qui, au détriment de son soulagement corporel, continue une grève de la faim entamée il y a presque sept mois et refuse de renoncer à ses principes. Samer est conscient des objectifs à long terme qui motivent les pratiques inhumaines de l’occupation israélienne. Il estime qu’on ne peut pas guérir le mal par le mal et que sa détention, une violation en elle-même, ne peut se régler par une autre violation.

Selon lui, la grève de la faim qu’il a choisi d’adopter n’est pas un combat personnel ; c’est une œuvre collective. C’est pourquoi, il refuse d’être libéré sous condition d’être déporté, même si la région d’accueil se trouve au cœur même de la Palestine historique.

Et justement, un avocat Palestinien, Fawwaz Shloudi qui, après plusieurs tentatives, a réussi à rendre visite à Samer Issawi lui avait demandé s’il accepterait d’être déporté vers Gaza en échange de sa libération. La réponse de Samer était comme suit :

Concernant l’offre de déportation vers Gaza que me propose l’occupation israélienne, j’affirme que Gaza fait incontestablement partie de ma patrie et son peuple est mon peuple. Cependant, je voudrais être clair sur un point : Gaza complète ma patrie, la Palestine, c’est pourquoi, je visiterai Gaza lorsque je voudrai et lorsque je sentirai le besoin de le faire car j’estime que je jouis de mon droit de me balader partout où je veux, de l’extrême nord à l’extrême sud et quand je veux. Je refuse catégoriquement d’être déporté à Gaza parce que cette pratique réveille en moi les souvenir amers d’un processus d’expulsion dont a été victime le peuple Palestinien en 1948 et 1967.
Nous nous battons pour la liberté de notre terre et le retour des réfugiés en Palestine et de la diaspora, et non pas pour en ajouter davantage de déportés. Cette pratique systématique israélienne qui ambitionne de vider la Palestine des Palestiniens et à drainer des étrangers pour peupler notre terre est un crime. C’est pourquoi, je refuse d’être envoyé à Gaza et je n’accepterai qu’une libération vers Jérusalem car je sais pertinemment que l’occupation israélienne vise à vider Jérusalem de sa population et à réduire les Arabes en un groupe minoritaire. La question de déportation n’est plus une décision personnelle, mais plutôt un principe national. Si chaque détenu cède sous la pression et accepte d’être déporté en dehors de Jérusalem, cette dernière finira vidée de son peuple.
Je préfèrerais mourir sur mon lit d’hôpital plutôt que d’être déporté loin de Jérusalem. Jérusalem est ma vie et mon âme. Si l’on venait à me déraciner d’ici, c’est mon âme qui serait arrachée de mon corps. Ma vie n’a aucun sens loin de Jérusalem. Aucune autre terre ne saura m’adopter et m’enlacer comme le fait Jérusalem. En conséquent, mon retour sera vers Jérusalem et nul autre endroit. Je conseille et j’exhorte tous les Palestiniens à s’accrocher à leur terre et à leurs villages et de ne jamais céder aux intimidations et aux souhaits israéliens. Je ne considère pas cette question comme une affaire qui concerne Samer Issawi uniquement. Il s’agit d’une question nationale, une conviction et un principe auxquels chaque Palestinien amoureux du sol sacré de sa patrie doit s’attacher. Et pour terminer, je réaffirme pour la millième fois que je continue le chemin emprunté et je poursuis ma grève de la faim jusqu’à la liberté et le retour à Jérusalem ou alors le martyre ! [Lettre écrite en arabe et traduite vers l’anglais par Shahd Abusalama]

Pour rappel, le droit international interdit l’expulsion et le transfert des personnes en dehors des territoires occupés, que ce soit une déportation vers un autre pays ou une délocalisation forcée à l’intérieur du territoire occupé. La Résolution 607 du Conseil de Sécurité « demande à Israël de s’abstenir d’expulser des civils palestiniens des territoires occupés » et « demande fermement à Israël, la puissance occupante, de respecter les obligations que lui impose la Convention de Genève. » Mais pour nous les Palestiniens, l’histoire nous a toujours prouvé que ces provisions ne sont que des paroles. Nous avons connu assez de paroles en l’air et de conventions et de « lois internationales relatives aux droits de l’homme » qui ne s’appliquent PAS sur nous, comme si notre humanité était mise en question.

Si les Nations Unies et tous les gouvernements du monde restent sur leur position de spectateur en continuant leur soumission aux crimes d’Israël, ne réagissant que par le silence, nous ne devons PAS normaliser leurs violations même au prix de nos vies. Des personnes comme Samer Issawi nous apprennent à rester ferme et à ne pas compromettre nos droits. Merci Samer, merci de nous inculquer les principes de la liberté et de la dignité, sans lesquels, la vie n’aurait aucun sens.

* Shahd Abusalama est artiste, blogueuse et étudiante en littérature anglaise dans la bande de Gaza.
« Mes dessins ainsi que mes articles sont ma façon de transmettre un message, et le plus important pour moi est d’élever la conscience de la communauté internationale au sujet de la cause palestinienne. Je suis très intéressée à saisir les émotions des gens, les images de ma patrie, la force de mon peuple, de sa détermination, de sa lutte et de sa souffrance. »

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19 mars 2013 – Palestine from my eyes – Vous pouvez consulter cet article à :

http://palestinefrommyeyes.wordpres...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha


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